Les éléphants de Copenhague
66 pages
Français

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Les éléphants de Copenhague , livre ebook

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Description

Parfois, on traîne derrière soi des éléphants dans des endroits peu adaptés. Une prise de conscience est alors nécessaire. C’est le sujet de ces nouvelles. Animaux des climats chauds dans un climat froid ou vice versa, c’est ainsi que nous sommes, souvent. Nous tremblons ou transpirons, sans comprendre pourquoi. Ces indicateurs thermiques en disent long sur nos émotions et nos désirs inconscients. Une seule certitude : quel que soit le climat, la solitude y souffle un vent glacé.

Informations

Publié par
Date de parution 25 novembre 2014
Nombre de lectures 2
EAN13 9782312035093
Langue Français

Informations légales : prix de location à la page 0,0012€. Cette information est donnée uniquement à titre indicatif conformément à la législation en vigueur.

Extrait

Les Éléphants de Copenhague
Caroline Fabre-Rousseau
Les Éléphants de Copenhague
Nouvelles














LES ÉDITIONS DU NET 22, rue Édouard Nieuport 92150 Suresnes
© Les Éditions du Net, 2014 ISBN : 978-2-312-03509-3
Avant-Propos
"La vie ressemble beaucoup au jazz, elle est plus belle quand on improvise". Gershwin
J'anime une émission de jazz à la radio, intitulée :"Des Vies de jazz". J'y raconte la vie de grands musiciens. Je me glisse dans leur peau, j'explore leur enfance pour comprendre leurs succès, leurs désillusions, leur manière de recondir ou de s'enfoncer. Ils me fascinent.
J'écris aussi des nouvelles. Je raconte la vie de gens ordinaires, croisés dans la rue, le tramway, ou dans le journal. J'improvise sur les notes qu'ils laissent s'échapper. Je me glisse dans leur peau, j'invente leur enfance, leur famille, leur environnement. Ils me fascinent tout autant.
Connus ou inconnus, les gens que je croise m'inspirent. Ces quelques nouvelles sont une variation sur le thème du froid. Celui que l'on veut fuir en allant au soleil, mais qui revient toujours quand on est seul.
Les éléphants de Copenhague
Trente, trente et un, trente-deux, ouf, ils sont tous là ! Compter, distribuer les billets, les tickets, payer le restaurant, faire les comptes, le matin, prendre des nouvelles, donner la météo, conseiller l’imperméable ou la paire de lunettes, c’est tout juste s’il ne faut pas les habiller, et le soir compter encore. Et toute la journée répondre aux questions. Seule, si je pouvais être seule ! Oui, mais quand je suis seule dans ma chambre d’hôtel, j’ai tellement peur de la journée du lendemain, que je dois prendre un somnifère pour m’endormir. Je fais des cauchemars, l’immense araignée de Louise Bourgeois sur Radhus-Platzen {1} me nargue, s’avance vers moi, va m’étouffer !
Aujourd’hui encore j’ai failli la perdre ! Et cette fois pour de bon. Madame Martichon… Elle traîne, elle musarde, on l’attend, on la secoue, je la gronde, elle n’en fait qu’à sa tête. J’ai été bien bonne d’aller à sa recherche. Tout le groupe la fuit. J’aurais pu la laisser là avec son appareil photo et son air idiot. Oui, mais voilà, je suis responsable, je suis consciencieuse, je fais ce qu’on me dit de faire, et je le fais de mon mieux.
Ce matin, à force de courir partout pour acheter les tickets du bateau, j’ai déchiré ma veste. Heureusement, personne n’a rien remarqué. Ma veste est orange, pour qu’on me voie bien. Fonctionnelle, elle protège de la pluie et du froid. Elle est affreuse, je ne peux plus la supporter. Ah si j’avais le temps de faire les boutiques, de musarder au hasard, sans plan, de me perdre ! J’ai vu de jolies vestes dans les magasins. Oui mais,… il fallait d’abord installer le groupe dans le bon bateau et partir à l’heure de Nyhavn. Je détaillerai les façades bariolées des maisons une autre fois, je ferai peut-être du shopping le dernier jour.
Dans la ville libre de Christiana {2} , je n’ai pas vu beaucoup de boutiques. Juste du shit, vendu sur des tréteaux en plein air. J’aurais dû en acheter et me fumer un joint tranquille pour me détendre. Comme ça, devant tout le monde. C’est mieux que d’avaler un comprimé le soir pour dormir. Mais je ne l’ai jamais fait, et là ce n’est vraiment pas le moment. Toutes ces volutes de fumée partout, on doit bien respirer quelque chose. C’est peut-être pour ça que ma vigilance a baissé et qu’elle a disparu. Madame Martichon ! Il n’y a qu’elle pour porter un nom pareil. Du sur-mesure. Placide, rustique, avec son gros sac en bandoulière et ses chaussures pour pieds sensibles, elle détonnait au milieu des hippies aux pieds nus. Ils étaient très en colère. Ils voulaient lui prendre son appareil photo. Si seulement ils l’avaient fait ! Elle prend beaucoup trop de photos ! Elle en prend même pour deux, car pour l’instant je n’ai pas trouvé le temps de sortir l’appareil de son étui. Ceci dit, je devrais, ça me forcerait à regarder ce que je visite.
Pour l’instant, je ne vois que les guichets dans les gares, les guichets dans les ports, les guichets dans les musées, les panneaux sur les quais, les notices qu’il faut traduire, les menus qu’il faut expliquer, les couronnes danoises qu’il faut compter et recompter. Tous ces châteaux, je les confonds. Tous ces Frédéric IV V VI, ou Christian IV V VI VII VIII X, je m’y perds. À part Christian VIII. Lui, je sais qu’il était fou. Victime de son éducation, paraît-il.

– Madame Martichon, que faites-vous là ? Tout le monde vous attend. On a déjà laissé passer deux bateaux. Vous savez qu’il est interdit de prendre les habitants de Christiana en photo. On n’est pas dans un zoo, Madame Martichon.

Ouf ! On est partis, les hippies ne nous ont pas rattrapées. Ils ne courent pas vite… Trop de marijuana sans doute. Et aucune envie de sortir de leur île. Ils sont trop bien chez eux et entre eux. Loin du monde et de ses contraintes.
Ce n’est pas mon cas. Je suis à la tête d’un troupeau d’éléphants. Les rois danois les adorent, depuis la création de .l’Ordre de l’Éléphant par Christian I er . Un ordre très fermé, réservé à la famille royale. Christian V l’a tout de même ouvert aux femmes. Il ne devait pas y avoir assez de monde, je suppose. On devrait me décorer de l’Ordre : je traîne de vieux éléphants, dignes et lents, je les empêche de se perdre, je les conduis dans les musées, les châteaux, les églises, les brasseries, les bateaux, les parcs, les restaurants. Ils prennent en photo les éléphants de l’Église du Sauveur, à présent, avant d’escalader l’escalier en colimaçon. Pourvu qu’il n’y ait ni chute, ni malaise ! Pour les sex-shops, ils se débrouillent tout seuls. Il y en a près de l’hôtel. C’est normal, l’hôtel est proche de la gare. Les Danois sont sans complexe : ils exposent des gadgets dans les devantures, comme des chaussures ou des légumes. Phallus géants, fouets, films pornos, porte-jarretelles rouges, menottes, il y en a pour tous les goûts. Mes éléphants se marrent, s’arrêtent sans prévenir et regardent. Je ne sais pas s’ils ont déjà acheté quelque chose. Il y a peut-être des vieillards libidineux dans le troupeau. Le reste du temps, ils regardent avec étonnement les Danois qui se saoulent à la bière dans la rue en plein jour et ceux qui sabrent une bouteille de champagne au-dessus d’une couverture de pique-nique dans un parc, le soir. Ils manquent constamment de se faire écraser par les cyclistes tout puissants. Une armée de cyclistes qui font vigoureusement tinter leur sonnette si on marche sur leur piste par erreur.
Trente-deux, ils sont trente-deux, c’est beaucoup trente-deux pour une seule femme, qui plus est de trente ans plus jeune qu’eux. De vrais gamins ! Il fallait les voir au Parc Tivoli ! Ils voulaient faire des tours de manège, la grande roue ! Moi, j’aurais bien voulu me payer un jeu de massacre : lancer des sacs de sable sur des piles d’assiettes, ça m’aurait fait du bien ! Il y en avait des vaisseliers entiers. Mais bon, je suis restée digne, de toute façon, il était temps de rentrer à l’hôtel, j’avais les comptes de la journée à faire. Je suis fière de moi, Jean va être content, je tiens bien le budget. Avec moi, son association ne va pas être en déficit. Mais quelle torture ! C’est bien la première fois de ma vie que je tiens les comptes tous les jours. Et il faut faire les conversions. Et tous les soirs estimer les dépenses du lendemain et sortir du coffre la somme exacte. Mais pourquoi Jean n’a-t-il pas voulu que je paie avec une carte bleue ? Il m’a raconté n’importe quoi. Ici tous les musées et tous les restaurants acceptent les cartes. Très gentil ce Jean, mais un peu ringard. Ceci dit avec lui on en apprend ! Magistral ! Normal c’est un prof d'H.E.C. et de prépa. Enfin c’était, car dans le groupe tout le monde est à la retraite, ou presque. Pour ne pas m’endormir, je prends des notes quand il fait les conférences dans les musées. Mais quand est-ce que je vais pouvoir relire toutes ces notes ? Comme j’aimerais choisir un tableau, rester longtemps devant, seule, en choisir un autre, revenir voir le premier. Mais non, impossible, je dois suivre et compter.

Ce restaurant était un vrai succès. Pourtant mes éléphants ne sont pas faciles à contenter. Ce sont des intellectuels, mais la nourriture ça compte. Et au Danemark, la nourriture est un peu spéciale : harengs à toutes les sauces, pommes de terre et pain noir. J’avais fait mes recherches

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