Les jours rouges
143 pages
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Les jours rouges , livre ebook

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Description


À Toliara et alentours, Malgaches, Karana et Vazaha se croisent, se mêlent et s’emmêlent pour le meilleur et pour le pire. On nage. Dans le cours imprévisible, les remous, la mêlée, parfois hors des flots. On vit en ville comme au village. Dans les gargotes, sur les routes de goudron éclaté et les pistes de sable. Comme chez soi en dur, en tôles ou en vondro. Reclus ou en ribote. On improvise. Aux détours d’un zébu, d’un fou, d’un trépassé ou d’un éloquent soudard. Dans le charivari infernal, le vif des traditions locales, les êtres marchent au charbon ou flottent, dévient malgré eux de foutaises en désespoirs, de malentendus en traquenards ou états de grâce. On se chamaille. On palabre pour un bien commun, un canard qu’on déplume ou un sort venu de nulle part. On s’étripe pour le sel et la terre, on rouscaille, chante la guigne ou la poisse, on s’esclaffe, se dégage, rit de l’homme, la femme qui n’a pas fini d’en voir. Et si au final les genres, les classes, les origines se confondaient pour laisser planer tous les doutes ? Et si, pétris et navigués, dénudés, au lieu de fuir, nous acceptions que tous étions du même cru, de la même trempe, sans distinction ? Qu’il en déplaise à Dieu, aux illustres Aînés, aux arrogants et férus du langage sinistré, il nous est offert de boire la vie jusqu’à la lie, la lune nouvelle et l’art de résonner du tsapiky au soleil de l’amour noir.

Sujets

Informations

Publié par
Nombre de lectures 4
EAN13 9782373630749
Langue Français

Informations légales : prix de location à la page 0,0030€. Cette information est donnée uniquement à titre indicatif conformément à la législation en vigueur.

Extrait

Ben Arès
Les jours rouges
nouvelles
Bibliothèque malgache
La pluie
Nous l’attendions, elle si rare, si précieuse dans notre sud aride, déshérité par les eaux divines et les coins de verdure. Depuis des lu nes et des lunes, pas une goutte n’était tombée des cieux ! Les prières des plus gra nds sorciers, de nos plus illustres ombiasyn’étaient, semble-t-il, point entendues. Le soleil, chaque jour, nous assommait, conduisait nos corps de commerçants des rues – gargotiers, vendeurs de soupes, d’ailes ou d e cuisses grillées, tireurs deposy posyrateurs de bicyclettes ou de, conducteurs de charrettes à bras ou à zébus, répa chaussures, porteurs, légumières, bouchers de sauci sse, de porc ou de bœuf et poissonnières étalant des crabes, poulpes, crevette s, calmars, mérous, les colonies de mouches tournoyant autour des jus, du sang, de la s aumure et des sueurs, charbonniers parmi les sacs, le charbon étendu pour être débité, trié à proximité du tas d’ordures, dépotoir fumant du quartier, vendeuses d e mangues, citrons,sambosou ces beignets triangulaires fourrés d’oignon, de pomme d e terre et de viande hachée,soky ou pâtés d’oursin, démerdeurs, ivrognes, filles tra înant ci et là à l’affût de quelque picaille – à l’état d’inertie. Jour après jour il en imposait. Et les rues, pistes et chemins étaient désertés aux heures les plus brûlantes, hormis par nous les tire urs deposy posydormant les quatre fers en l’air, les bouches grandes ouvertes, à même le sol, à l’ombre de notre véhicule ou dessous, hormis par nous vendeuses sur le marché , pliées en quatre et roupillant sous les quatre pieds de notre petit présentoir de courges, tomates ou poivrons, ou étalées sur la planche et ronflant à côté des verdu res à l’agonie réclamant d’être régulièrement humectées, hormis par nous errants, v aquant à nos mirages, délires et déboires, amours fuies, gagnées chichement et perdu es. Pas une goutte depuis plusieurs mois ! Et les nuits , sans soleil ou de soleil noir, suffocantes, terribles de même. Et les nuits, nos c orps de gens de petits métiers ou sans métier comme durant les jours, en nage, dans u n manque éloquent d’air. Jusqu’à l’aube, un répit, bref intermède de fraîcheur aussi tôt venue, aussitôt partie, cruelle, comme toute fraîcheur qui se respecte. De nuit en n uit. De jour en nuit qui se chevauchent, se suivent et se ressemblent. On ne sait plus par quelle volonté ou quelle provid ence. TelleL’Eau-Des-Yeux versée pour soulager la sécheresse de l’âme, suite à l’annonce de la perte d’un proche. Elle vint enfin. Se manifestèrent en quelqu es heures deux ou trois petites averses insignifiantes. Quelques gouttes en somme. Puis ce fut la torrentielle, drue, lourde, après l’apparition en fin d’après-midi d’un vent, d’un souffle annonciateur. Comme si les prières ou les louanges des plus grand s sorciers, enfin, d’un seul cri ou d’une seule voix étaient parvenues jusqu’àL’Ouïe-Des-Cieux. Elle s’abattit sur la terre. Le ciel, houleux, sans distinction aucune avec la mer qui borde la ville, déferla. Nous étions tout à coup pr ojetés entre les fureurs de deux eaux, l’eau en trombes violentes par seaux et par seaux s ur nos têtes, et l’eau inondant à vitesse impressionnante la surface de la croûte ter restre. Le bleu semblait à jamais perdu dans l’immensité grise. Des bâtisses aux toit ures percées donnaient à voir à l’extérieur ou à l’intérieur de nouvelles architect ures, avec des colonnes liquides de diverses grosseurs. Des gouttières débordantes, des descentes fortement sollicitées faisaient jaillir aux soudures éclatées des jets an archiques. Elle était d’une telle pression, d’un tel débit sur le goudron, le sable, le béton, la brique, le bois, la tôle, les flaques, les mares grandissantes, les cours naissan ts, qu’elle la coupait, qu’elle avait suspendu toutes les conversations, noyé les cris de délivrance. Un concert
assourdissant de sons répercutés par le sol, les pi erres et tous les matériaux s’empara de l’air, dehors comme dedans. Et les rues, avenues , boulevards devinrent très vite des rivières, des rivières d’eaux noires emportant branches arrachées, feuilles de manguier ou de tamarinier, cartons ou morceaux de c ontreplaqué, des rivières qui, au bout d’une heure, là où les évacuations manquent à l’appel, où les canalisations de la ville sont particulièrement détériorées, avaient dé bordé de leur lit. Hommes, femmes, enfants étaient affairés, dans les maisons, les cas es, avec des bassines, marmites remplies, vidées, remplies, vidées, passant de main s en mains. D’autres étaient entassés, en silence, les pieds baignés jusqu’aux c hevilles, devant des épi-bars ou gargotes. Nous les tireurs deposy posy étions sur les routes ou chemins immergés, recroquevillés parfois derrière une petite bâche d’ appoint, sur les banquettes de nos inséparables. Nous les vendeuses et les vendeurs de fruits et légumes pataugions les pieds dans les mares, sous nos structures de bois, sous nos bâches vertes ou bleues, avec des sachets de plastique sur nos têtes. Moi l’ un ou l’autre fou, soudard ou zonard, hurlant de bonheur, complètement dénudé, tendais le s bras au ciel, puis m’étendais, chantant et délirant dans cette vaste baignoire off erte. Moi l’enfant du boucher, épargné désormais par les réunions de mouches, saut ais, courais dans les flaques après l’enfant de la poissonnière. Deux heures plus tard, la torrentielle laissa place à la fine et la fine à la fin de la pluie, à la tombée de la nuit. Dans les rues, sur l es places, nous échangions notre humeur euphorique, des plaisanteries au sujet du dé sarroi des uns et des autres devant l’ampleur des dégâts matériels. Nous nous mo quions gaiement des mieux lotis, desVazaha ouKarana, Indiens et Pakistanais précipités au plus bas de l’inconfort qui à nous, ne nous est nullement étranger. Nous les ge ns de petits métiers ou sans métier nous voyions tous dans le même bain et en riions. N ous, les pieds dans l’eau jusqu’aux mollets ou aux genoux, nous mettions en r oute, en direction de nos quartiers, de nos habitations parmi les autres memb res de nos familles. Nous retrouvions des cases sinistrées, des espaces commu ns submergés par les eaux sales, une petite place devenue un étang au centre des quatre ou cinq cases, une cuisine commune en suspens où généralement le feu c ommun, où la grande marmite, le terrain de jeux, le lieu des lessives. Nous retr ouvions nos cases, enfants, assiettes, l efataperasur le lit, lesosoaou le riz bouilli dans une marmite posée dessus. No us retrouvions leszazageignant, à moitié assoupis ou somnolents, sur les dos, les bustes des mamans aux seins sucés, pétris à longueur de jo urnée, les aînées, adolescentes les plus responsables se démerdant, écopant comme e lles le pouvaient, fatiguées d’écoper, et souriant de constater que la mare deda ns comme dehors, souriant de constater que c’était inutile, souriant du sort, ap préciant la fraîcheur malgré tout, comme c’est pas permis, remerciant les sorciers pou r cette pluie, enfin, et Dieu comme c’est pas permis. Nous en étions là. Et cette nuit-là, le jour procha in, la nuit prochaine, quelques jours et nuits à la suite. Avec le retour incontournable de la chaleur, les eaux stagnantes qui pénétrèrent lentement la terre. Nous avec les moust iques en fête, les cafards noirs juteux, les divers coléoptères, vers et termites, l es rats et les souris galeuses. Nous avec leszazamorveux, suant ou grelottant, éternuant, toussant, avec les fiévreux, diarrhées et les vomissures de petits corps. Nous a vec les toitures à renforcer, les cases à retaper, nettoyer, ventiler. Avec les grand es lessives, les bouchées doubles et les retours urgents au boulot, pour les bouches à n ourrir, les soins contre les maladies… Nous en étions là. Avec ce que malgré tou t nous ne perdons jamais : le détachement, les prières auParfumé, les Merci à Dieu d’être en vie !
Les eaux séchèrent, le vent se leva, et le soleil à nouveau régna en notre royaume de la poussière inexpugnable.
Invitation
Sur le coup de quatorze heures plein soleil, je par tis avec elle, à bicyclette, sur le chemin cabossé de caillasse et de terre sablonneuse . Elle en amazone sur la barre transversale avec les avant-bras appuyés au centre du guidon ; moi nous menant vaille que vaille sous le bleu dense, sur des pistes pouss iéreuses et cahoteuses longées d’épineux, en slalomant entre des poules ou des can ards de passage. Après quelques centaines de coups de pédales depuis notre logement gardé d’Analamanga, nous traversâmes le quartier d’Andako ro par la voie principale et ses quelques étals d’ail, tomates cerises, oignons, man ioc et patates douces, avant de virer à la piste en lacets menant aux cases regroup ées, à la maison de ses proches les plus directs. Les quatre cases étaient disposées de manière à laisser une aire de regroupement au centre, avec un espace ombragé par une toiture en chevrons tordus couverte de jonc ou devondroe en, un espace pour des bassines à lessive, une cuisin plein air et sesfataperaou petits feux de charbon. Dès notre arrivée, des femmes sortirent de leurs oc cupations. Elles nous rejoignirent, nous souhaitèrent la bienvenue. J’éta is en nage. Rien de surprenant sous quarante degrés. Je fus d’emblée invité à m’avancer, me baisser, entrer dans une case en tôle ondulée de deux mètres de large sur trois d e long environ, tenue par une structure s’élevant à deux mètres du sol, avec des montants importants aux angles, d’autres de moindre importance tous les cinquante c entimètres, et des bois trouvés faisant office de solives pour la toiture en pente douce. On me pria de trôner à côté du lit, sur la chaise en sapin placée à côté de la pet ite fenêtre ouverte découpée dans la tôle, qui créait un courant d’air avec la porte d’e ntrée, tandis qu’elle, ma compagne, leur enfant ou leur parente, conversait gaiement av ec ses sœurs, cousines et tantes, belles-sœurs et nièces vêtues delambahoany, à trois ou quatre chignons ou aux chevelures tressées, tout en plaisantant sans doute avec les hôtesses sur le confort très rudimentaire des lieux vu par mes yeux. Puis e lle s’installa à mes côtés, bien rieuse, amusée en somme par notre arrivée qui provo quait des éclats de voix et des mouvements soudains. La case fut aussitôt investie dans la bonne humeur par des dames et des jeunes femmes venues s’accroupir ou s’ asseoir, se serrer et se planter devant nous. La marmaille aussi,zazaentre six mois et trois ans, ne tarda pas à faire son entrée. À quatre pattes ou dressés tout en se d andinant, ils participaient à cette mise en scène d’un accueil à l’étranger vénéré, hon oré et attendu que je fus. Grande sœur envoya sans tarder une sœur, nièce ou c ousine chercher une bouteille de rhum et deux bouteilles de bière. Je donnai de q uoi offrir une autre tournée à grande sœur qui envoya une deuxième sœur, cousine ou nièce faire la nouvelle commission. Sur le mur de la tête de lit, face à moi, une desse rte était couverte d’un tissu mité, brûlé par endroits, tombant jusqu’à un balatum usé. Elle semblait remplir la fonction de commode, supportant un téléviseur, un lecteur de cd /vcd ; par ailleurs celle d’insolite vaisselier. Sur le mur en vis-à-vis, entre le lit e t la porte d’entrée, une table bancale portait une valise débordant de jeans, shorts, coll ants, chaussures à talons, chemisiers, robes et jupes pêle-mêle. Au centre de la pièce, une table basse présentait un cendrier, un vase de fleurs artificielles, trois , quatre cigarettes achetées à la pièce, et désormais quelques verres de bière, de rhum ou c oca, lesquels, déjà, se vidaient et se remplissaient en moins de temps qu’il ne faut po ur le dire. Sur le côté opposé à celui du lit, une étagère recevait un savon, un sha mpoing, un peigne, des pinces et diadèmes, de l’huile verte pour cheveux, et sur la planche supérieure, un radio cd cassette démantibulé.
Je fus interpellé par ma compagne qui fit les prése ntations. À droite de l’étagère, sur une chaise caduque au coussin éventré, Kakasy ; à g auche de celle-ci, en position accroupie, Sana ; près de l’entrée, Fareta, Olivia, Mana, Clementine, Titaky, Mamy, Rahary, Maiva,à genoux ou sur leurs fesses ; entre elles, sur ell es, plusieurszaza en caleçons t-shirts troués, ou simplement nus. Ma bel le était assise à mes côtés, à ma droite, sur le double lit. Près d’elle, Chantal sié geait, forte en gueule et du séant. Vera et Nestor, âgés de cinq ou six ans s’esclaffaient tout en sautant sur le matelas posé sur un sommier à ressorts. Fuyant les conversations, le s rires et les cris à bâtons rompus, je ne cessais de me retourner pour chatouiller l’un e, chatouiller l’autre. La doyenne de la famille, Grand-mère ouNenibefit son entrée et me salua. D’autres cousines ou nièces,zaza en trombes, débarquèrent, s’entassèrent dans tous les recoins, devant la porte d’entrée. Grand-mère se fa ufila afin de s’agenouiller pour me tendre dix mille francs comme cadeau de bienvenue. Je répondis à l’hospitalité de Nenibecheter une nouvelle, déjà éclipsée, en donnant à grande sœur de quoi a bouteille de coca, deux autres de bière, une autre de vingt-cinq centilitres de rhum… La petite monnaie pour des cigarettes commença à ci rculer, puis les cigarettes elles-mêmes, passant de doigts en doigts, de lèvres en lè vres pour quelques coups tirés, se consumant toujours jusqu’à la limite extrême. Les v erres n’étant pas assez nombreux, les bouteilles passèrent de main en main, de bouche en bouche, se vidèrent à une vitesse folle. À défaut de coca, unzazaattrapa une bouteille de bière, la bascula et, la langue au goulot, renversant la tête pour placer la bouteille dans l’axe de l’œsophage, il avala la mousse et les quelques larmes du breuva ge restant. Petite sœur, cousine ou nièce rit dezaza. Elle, à côté de moi, de même. Deux autreszazaune attrapèrent bouteille de bière des mains de Kakasy. Un de plus tenta de subtiliser une bouteille de rhum local mais sœur Rahary dans une crise de fou r ire lui prit des mains et se contenta d’humecter ses lèvres après avoir dispersé quelques gouttes sur le sol en guise de bénédiction de ce jour, ni tout à fait dif férent, ni tout à fait semblable aux autres jours. Sur ces entrefaites, dans la douce ivresse collecti ve, des sons tournoyants, répétitifs de basse et de guitare étaient peu à peu montés de volume. Je m’en réjouis. Maeva m’apprit qu’un bal-poussière était annoncé dans le quartier, au cœur, à l’endroit le plus ouvert. La raison, s’il y en avait une, me resta in connue. Je n’entendis point parler de quelque événement à célébrer. L’important aux yeux des femmes, c’est que ça allait être la fête, qu'elles danseraient tout leur saoul, que boire à l’œil avec l’un ou l’autre charmé allait être tenté, que les jeux de séduction iraient bon train...
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