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Description
Sujets
Informations
Publié par | Le Lys Bleu Éditions |
Date de parution | 18 novembre 2019 |
Nombre de lectures | 5 |
EAN13 | 9791037701817 |
Langue | Français |
Informations légales : prix de location à la page 0,0020€. Cette information est donnée uniquement à titre indicatif conformément à la législation en vigueur.
Extrait
Grobri Bregui
Psaumes de la crise d’Eburnie
Recueil
© Lys Bleu Éditions – Grobri Bregui
ISBN : 979-10-377-0181-7
Le code de la propriété intellectuelle n’autorisant aux termes des paragraphes 2 et 3 de l’article L.122-5, d’une part, que les copies ou reproductions strictement réservées à l’usage privé du copiste et non destinées à une utilisation collective et, d’autre part, sous réserve du nom de l’auteur et de la source, que les analyses et les courtes citations justifiées par le caractère critique, polémique, pédagogique, scientifique ou d’information, toute représentation ou reproduction intégrale ou partielle, faite sans le consentement de l’auteur ou de ses ayants droit ou ayants cause, est illicite (article L.122-4). Cette représentation ou reproduction, par quelque procédé que ce soit, constituerait donc une contrefaçon sanctionnée par les articles L.335-2 et suivants du Code de la propriété intellectuelle.
1 Préface
La poésie est une entité universelle. Mais en dépit de son universalité, elle porte les marques de la sphère géographique dans laquelle elle est produite ; ce qui lui confère des caractéristiques sui generis comme en témoignent Victor Hugo, dans la Préface de Cromwell 2 , et G. W. F. Hegel, au chapitre 3 e de son Cours d’esthétique III . Le philosophe allemand évoque l’idée du « caractère national » de la poésie en ces termes : « [la poésie] porte à la représentation le raisonnable individualisé, elle a absolument besoin de la déterminité du caractère national dont elle procède et dont la teneur et la façon de voir les choses constituent aussi son contenu et son mode de représentation, et c’est pourquoi elle continue dans cette voie jusqu’à atteindre une plénitude de particularisation et de caractérisation propre. Les poésies orientale, italienne, espagnole, anglaise, romaine, grecque, allemande, toutes sont absolument distinctes les unes des autres pour ce qui est de l’esprit, des sentiments, de la vision du monde , de l’expression , etc. » 3
Victor Hugo, le chef de file du romantisme 4 français, écrit pour sa part que « la poésie se superpose toujours à la société . 5 »
Cette spécificité, la poésie de Grobri l’habite, l’arbore, la porte à bout de bras à travers un fort ancrage culturel qui l’éclaire et la peuple de guirlandes. Les premiers vers nous plongent de plain-pied dans cet univers :
Toutes les pierres ne sont pas vivantes, Dovâ
Certaines le seront
Alors
Étanche ton regard
Trêve de pleurs
Des cendres d’autres feux peinent à refroidir
Demain les chemins blêmes
Ne sangloteront plus essaims de passions
Des poitrines galvaniseront goualantes
Ceux des quatre vents
Cette vieille dame se lambine toujours
Du temps, Dôva
Écoute
Écoute
Ce geste
Chanson de geste
Que ploient bouches délinquantes
Pieds au seuil de nos jours
Celle des nouvelles mains du bhiriégogoua
Ô ! Na gôlôlowouri
Loin de se limiter à cet amas de termes issus du terroir bété (Centre Ouest de la Côte d’Ivoire) dont est originaire le poète, il (cet ancrage) se fait jour, d’autre part, au travers du thème traité et dont le titre-oxymore de l’ouvrage dévoile majestueusement (poétiquement, j’allais dire) la quintessence : psaumes de la crise d’Eburnie .
Le titre même de cette œuvre mérite que l’on s’y arrête. Au moins pour sa qualité stylistique. Qu’est-ce qu’un psaume ? Du grec psalmos , air joué sur le psaltérion – cet instrument de musique à cordes –, un psaume constitue un texte (poétique) qui s’étend sur plusieurs versets. Ici, l’auteur emploie le pluriel (les psaumes). Nul doute que ce pluriel fait référence aux livres des Psaumes, dans l’Ancien Testament. Il ne s’agit donc d’une inscription dans un discours antérieur que Bakhtine appelle « dialogisme » et que Julia Kristeva, à la suite du premier, nomme « intertextualité ».
Mais à ces poèmes (chants) liturgiques que l’on prête au roi David, le poète superpose une réalité qui leur est foncièrement antagoniste : « la crise ». Cette juxtaposition de notions antinomiques laisse émerger un puissant oxymore qui nous rappelle Pierre Reverdy, selon qui « Le poète est une fabrique d’images. » ou encore William Shakespeare qui écrit que « La poésie la plus vraie, écrite, est celle où il y a le plus d’inventions. » Oui, la seule gloire du poète c’est de nous dérouter. De nous propulser hors de notre cockpit de tranquillité. Qui ne se rappelle pas ce vers à la fois étrange et déroutant de Paul Eluard ? « La terre est bleue comme une orange ».
Revenons au « caractère national » (dont parlait Hegel). Loin de constituer une quête d’une esthétique inféconde (ne nous méprenons surtout pas !), il constitue un pont que le poète jette sur le fleuve de l’histoire récente de sa patrie décimée par des vautours voraces avides de charognes ; par des crises âcres. Sa mémoire est hantée par ces/ses souvenirs fuligineux. C’est sans doute cette souffrance intérieure – dont il peine à se départir – qui motive ce refrain qui revient en boucle :
« Quand on a affaire à lui
Le malheur poursuit
Même dans le sombre lierre
Jusqu’au sourire des stigmates ».
Mais la douleur maximale du poète n’est guère une douleur isolée. C’est une douleur collective, somme des rêves devenus cauchemars de tout un peuple. Quand face à la ségrégation raciale qui battait son plein aux États-Unis Langston Hughes 6 psalmodiait son rêve d’une « terre d’eaux parfumées/où le crépuscule est un léger foulard/0.Indienne rose et or/ » (Cf. « Notre terre »), il ne le faisait pas pour sa seule personne, mais pour son peuple, le peuple des Âmes noires 7 . De même, la voix (sinon, l’écriture) de Grobri porte la douleur collective de son peuple dans les fers ; elle charrie le sang, le cri de son peuple qui rit jusqu’aux cris :
« Le peuple a crié…
Avec folie
Sa gésine a
enfanté
Aux heures plus tristes
Aux heures plus dures
Aux heures plus âpres
Aux heures plus vides
Du désespoir ou
Succombait
Liberté
Harpe sonore
Chant du peuple
Tu seras
Flots en puissance
Flammes d’orage
Père sacré
Libérateur
Pour le sang du tabouret »
Le peuple du poète, c’est aussi la ville de Duekoué dans l’ouest de la Côte d’Ivoire, symbole de la Côte d’Ivoire martyrisée :
C’est ici
Que la fin est revenue sur ses pas
Sur une terre silencieuse
Sur laquelle elle marchait nu-pieds
Alors que les yeux érubescents
Ivres ne séduisaient aucun cœur
Petit Duekoué
Guitrozon
Marais salants
Sur lesquelles ires des chasseurs
Folâtres jouissaient
Pour tenter de repeindre la peau
De la terre
C’est ici
Que les ossements
Ont eu nom et ethnie
C’est ici
Que sur l’once du temps
Les larmes du ciel se sont séchées
C’est ici
Que l’Afrique de ses calames
À continuer d’écrire son temps
C’est encore ici
Pour que jamais ne s’efface des mémoires le drame, le poète jette le réverbère de sa plume sur les routes orageuses, les sentiers cahoteux sur lesquels son peuple, traversant la mer rouge de ses larmes acides, a dû se risquer, malgré lui, implorant la miséricorde de Dieu :
Parce que nos mains
Ét