Angoisses névrotiques et mal-être dans "Assèze l Africaine" de Calixthe Beyala
272 pages
Français

Angoisses névrotiques et mal-être dans "Assèze l'Africaine" de Calixthe Beyala , livre ebook

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272 pages
Français

Description

Quiconque a lu les romans de Calixthe Beyala a été impressionné par un métalangage psychanalytiquement orienté; de celui-ci l'écrivaine se sert copieusement pour rendre compte du comportement étrange de ses personnages. Très abondant, ce métalangage a été motivé par le fait que les acteurs évoluant dans cet univers romanesque sulfureux sont tous désaxés : ils sont rongés par un mal-être permanent. Comment en sont-ils arrivés à ce stade de délabrement mental ?

Sujets

Informations

Publié par
Date de parution 01 février 2009
Nombre de lectures 72
EAN13 9782296217386
Langue Français
Poids de l'ouvrage 1 Mo

Informations légales : prix de location à la page 0,1000€. Cette information est donnée uniquement à titre indicatif conformément à la législation en vigueur.

Extrait

INTRODUCTION

Présentant l’écrivaine Calixte Beyala, Jean-Louis
Joubertetalii (1995 : 60) écriventdans leurAnthologie:

Elle s’est révélée par des romans qui ont fait
sensation :C’est le Soleil qui m’a brûlé(1987),Tu
t’appelleras Tanga(1988),Seul le diable le savait
(1990). Elle y fait entendre la souffrance et le désir
de libération des femmes africaines et livre une
peinture violente des quartiers déshérités des villes
d’Afrique. Elle a ensuite consacré deux romans à
l’émigration africaine à Paris, vue à travers le
regard d’un enfant (Le Petit Prince de Belleville,
1992), (Maman a un amant, 1993) tandis
qu’Assèze l’Africaine(1994) revient à l’Afrique dans un
tourbillon de passions et de haines.

Si cette présentation estd’une pertinence irrécusable, du
moins en ce qui concerne la restitution chronologique et
thématique – féminisme, misère et violence des déshérités de la
ville africaine, « l’immigration africaine à Paris », « passions
ethaines » – elle appelle forcémentà complément, en ceci
que l’autopsie des acteurs de cestragédies romanesques,
acteurs frappés par la souffrance etlevice, possédés par des
passions etdes haines parfois meurtrières, demeure encore
à dresser. De quoi souffre donc, par exemple, le
petitLoukoum(Le Petit Prince de Belleville, Maman a un amant)?
Pourquoi la mère de Boroboro (Comment cuisiner son mari
à l’africaine), Anna-Claude(Tu t’appelleras
Tanga)sontelles devenues folles ? Enfin commentrendre
psychologiquementcompréhensibles cesviolences ethaines qui

6

ANGOISSES NÉVROTIQUES ET MAL-ÊTRE
dansAssèze l’Africainede Calixthe Beyala

opposent Sorraya et Assèze et les conduisentfinalement,
l’une àun suicide logique, l’autre àune attitude de
criminelle(Assèze l’Africaine),sans se référer à ce complexe de
1
bâtardise etde déchéance, de dégradation mentale si
caractéristique de l’univers romanesque beyalais ?

De fait, s’il existeunthème fédérateur de l’œuvre
romanesque de Calixthe Beyala, c’estbien le mythe de la
déchéance, de la dégradation. Si cette corruption de l’être et
de l’univers beyalais se révèle dans la décadence sociale et
des mœurs, dansune Afrique et un Cameroun en pleine
déliquescence, dansun climatatmosphérique déréglé, oùdes
pluies intempestives se déchaînenten pleine saison sèche et
des chaleurs mortelles en celle de la pluie, c’estsurtoutà
travers le corps etla psyché des acteurs, éternelszombies
errants, en mal devivre, dans cetespace
auxhorizonstragiquementplombés, qu’elle se dévoile le plus danstoute son
horreur.
C’estce mal psychologique se donnantavant toutà lire
dans lesyeuxhagards etangoissés dupersonnage beyalais,
personnage incessammenten lutte contreun déséquilibre
mental dûàuntraumatisme névrotique, que nous allons
essayer de cerner dans l’espace romanesque d’Assèze
l’Africaine.Pour réaliser ce projetd’analyse interprétative nous
recourrons à la sémanalyse entantque alliantsémiologie et
psychanalyse.
Après avoir justifié la pertinence duchoixde notre sujet
d’étude etnotre méthode d’approche (chapitre 1),
nousver

1
Complexe inauguré dans la littérature négro-africaine parLes Soleils
des Indépendancesd’AhmadouKourouma (1970) etamplifié dans
L’Anté-Peuple(1983) etUne vie et demie(1976) de SonyLabouTansi.

Assèze l’Africaine ou un projet cathartique comme
programme narratif principal

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rons ensuite, en quoi les cadres géographique etsocial sont
déterminants quantauxnévroses des personnages
(chapitre2). Après quoi serontétudiées systématiquementles
causes originelles de certains complexes de ces personnages
(chapitres3et4), la partde la christianisation, de la
scolarisation (chapitre 5) etde l’image repoussante d’une Afrique
en déliquescence, objetde honte etde quolibets, dans ces
complexes navrants (chapitre 6). Enfin à partir d’une analyse
essentiellementfocalisée sur le personnage de Christine
Assèze etde Sorraya, nous montrerons en quoi la cellule
familiale estdans l’univers d’Assèze l’Africainecomme, dureste,
danstous les romans de Calixthe Beyala, déséquilibrante
psychiquement. Étouffante de haine (chapitre 7), elle est
toujours marquée parune absencetraumatisante (chapitre 8)
d’un de ses membres. Traumatisante en ceci qu’elle crée des
situations de régression ; celles-ci s’expriment violemment,
sous forme de complexe de captation chezChristine Assèze
(chapitre 9), de quête incestueuse chezSorraya (chapitre
2
10dans les de) ;uxcas, l’exacerbation de ces situations
conflictuelles régressives culmine enfin dansune névrose
obsessionnelle.

2
Ce chapitre a faitdéjà l’objetd’une publication cf.Revue Africaine
d’études francophones, n° 12-13, Libreville2004.

CHAPITRE PREMIER

ASSÈZE L’AFRICAINE OU UN PROJET
CATHARTIQUE COMME PROGRAMME NARRATIF PRINCIPAL

3
Onva levoir, la lecture sémanalytique duromanAssèze
l’Africaineestimpérieusementrequise par la nature même
duprogramme narratif principal à l’origine de cette
créationverbale, par celle dumétalangage constamment utilisé
par l’instance narratoriale pour dépeindre le mal
essentiellementpsychologique dontsouffrent tous ses personnages.

1. Énonciation autobiographique et
contextualisation du projet analytique

D’emblée etdans l’incipit, Christine Assèze qui prétend
4
faireune œuvre autobiographique

3
Dans sa pénétrante étude -L’œuvre romanesque de Calixthe
BeyalaRangira Béatrice Gallimore pratique, elle, etnon sans beaucoup
d’efficacité, la sociocritique selon le pointdevue enseigné par Lucien J.J.
Goldmann dans son livre fondateur –Pour une sociologie du roman,
Paris, Aubier 1965. Selon « lathèse goldmannienne, (ilyaurait)une
corrélation étroite (…) entre la forme romanesque etle contexte social
dans lequel l’œuvre s’insère ». Ainsi « lavision-critique de la
littérature (…) consiste à considérer letexte littéraire commeun refletde la
société qui l’a engendré » (Rangira Béatrice Gallimore, 1997 :35).
4
Relevantde l’écriture autobiographique, la narration estici forcément
opaque etChristine Assèze, personnage éponyme etnarrateur
homodiégétique, c’est-à-dire à la fois instance narratoriale etacteur.

1

0

ANGOISSES NÉVROTIQUES ET MAL-ÊTRE
dansAssèze l’Africainede Calixthe Beyala

Je m’appelle Christine Assèze. J’habitais ce village
perdu. Quelquefois je me demandais ce que je
fabriquais là. Non ce n’est pas facile de raconter cette
histoire. Quelle voix adopter ? Comment m’y
prendre pour vous raconter ce qui m’est arrivé ? J’étais
différente à l’époque, je ne suis plus la même
aujourd’hui. Voilà déjà cinq ans que je suis mariée.
Sept ans que Sorraya est morte(p. 13).

révèle les motivations profondes de l’exercice d’écriture
auquel elleva s’astreindre: l’exorcisation d’un passé
douloureux, d’un crime longtemps etardemmentdésiré ayantfini
par se réaliser sous la forme d’une non-assistance à personne
en danger : Sorraya.

Pourquoi donc a-t-elle laissé mourir sa sœur Sorraya, –
pour se supprimer, celle-ci a avalé «untube de
barbituriques » (p.316) – alors qu’en appelantles pompiers elle
auraitsauvé la fille de son père adoptif Awono ? Question
embarrassante, car Assèze atoujours rêvé de se substituer à
elle. N’a-t-elle pastoujours souhaité sa mort, elle qui est
venue lui disputer sa place dans le cœur de son père, de son
ami Océan et, même, de son mari, Alexandre Delacroix,
qu’elle finira d’ailleurs par épouser ?Exorciser sa
culpabilitéen essayantd’en analyser, pour mieuxles intégrer dans
sa conscience, ses motivations profondes,tel
estleprogramme narratif principalque l’instance narratoriale
homodiégétique s’estdonnée à réaliser ;le programme narratif
5
d’usage choisi pour mener àterme ce projetcathartique

5
Cathartique: dugrec : catharsis : purification, purgation. En
psychanalyse : méthode psychothérapeutique consistantà débarrasser le sujetde
sestroubles physiques oumentauxen rappelantà la conscienceune idée
ou un souvenir refoulé qui les produisait.

Assèze l’Africaine ou un projet cathartique comme
programme narratif principal

11

étant justement[–Quelle voix adopter ? Comment m’y
prendre pour vous raconte

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