Au Miami-Beach-Club
117 pages
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Description

Extrait : "Je m'appelle Jawad. Je suis né à Oujda, le 25 août 1981. Je vais avoir bientôt 19 ans et je viens juste d'obtenir enfin ma carte nationale d'identité.
Je déteste Oujda, et je déteste mes grands-parents à qui mon père m'a confié lorsqu'il est parti pour travailler en France. J'avais alors cinq ans. Ma mère et mes sœurs, elles, sont en Algérie, du côté d'Oran. Je ne les ai presque jamais vues à cause des histoires de fron-tière entre le Maroc et l'Algérie. On ne savait jamais quand on pouvait passer. La dernière fois que la chose a été possible, j'étais âgé de onze ans. C'est ma grand-mère qui m'a emmené passer quinze jours chez elles. Mais on n'y a pas été bien accueillis. Je crois que ma mère avait décidé de couper définitivement les ponts avec sa belle-famille, et qu'elle ne voulait plus entendre parler de nous. C'est ce que je pense aujourd'hui. La preuve en est que nous n'avons plus eu de nouvelles d'elle depuis cette visite."

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Publié par
Date de parution 21 janvier 2019
Nombre de lectures 14
Langue Français

Informations légales : prix de location à la page 0,0000€. Cette information est donnée uniquement à titre indicatif conformément à la législation en vigueur.

Extrait

FRANÇOIS TROTET
AU MIAMI-BEACH-CLUB Roman
ÉDITIONS AÏNI BENNAÏ 131, bd d’Anfa, 20000 Casablanca, Maroc eds.aini.bennai@wanadoo.net.ma
er 1 semestre 2019 Publication numérique YOUSCRIBE
© Éditions Aïni Bennaï 2019 ©François Trotet
Au Miami-Beach-Club
François Trotet
Je m'appelle Jawad. Je suis né à Oujda, le 25 août 1981. Je vais avoir bientôt 19 ans et je viens juste d'obtenir enIn ma carte nationale d'identité. Je déteste Oujda, et je déteste mes grands-parents à qui mon père m'a conIé lorsqu'il est parti pour travailler en France. J'avais alors cinq ans. Ma mère et mes sœurs, elles, sont en Algérie, du côté d'Oran. Je ne les ai presque jamais vues à cause des histoires de frontière entre le
Maroc et l'Algérie. On ne savait jamais quand on pouvait passer. La dernière fois que la chose a été possible, j'étais âgé de onze ans. C'est ma grand-mère qui m'a emmené passer quinze jours chez elles. Mais on n'y a pas été bien accueillis. Je crois que ma mère avait décidé de couper déInitivement les ponts avec sa belle-famille, et qu'elle ne voulait plus entendre parler de nous. C'est ce que je pense aujourd'hui. La preuve en est que nous n'avons plus eu de nouvelles d'elle depuis cette visite. Le lendemain de notre arrivée, ma grand-mère s'est rendue dans un village du bled, voir des membres de sa famille à elle, et elle m'a laissé chez ma mère. Pendant tout mon séjour, mes sœurs, plus âgées que moi, m'ont complètement ignoré, quant à ma mère elle n'a pas arrêté d'être sur mon dos à me gronder, pour un oui pour un non ! Et c'est à peine si j'ai pu mettre le nez dehors une ou deux fois. On ne m'a présenté ni à mes oncles ni à mes tantes, alors que d'après ce que je sais, ma mère, dont les parents sont tous deux morts avant
ma naissance, a deux frères et trois sœurs, et que tous ont des enfants, dont certains de mon âge. ïls sont par conséquent mes cousins, et je n'en ai rencontré aucun pendant que je me trouvais chez ma mère ! Pour ce qui est de mon père, en revanche, comme il est Ils unique, je n'ai, de son côté à lui, ni oncle ni tante. J'ignore quelles histoires se cachent derrière la séparation de mes parents. Ni mon père ni mes grands-parents ne m'en ont parlé et je n'ai jamais osé leur poser de questions sur le sujet. Tout ce que je sais c'est que ma mère est donc d'origine algérienne, comme ma grand-mère paternelle d'ailleurs, et je pense que son mariage avec mon père a dû être un mariage arrangé qui a Ini par mal tourner… C'est peut-être d'ailleurs pour ça que mon père est parti travailler en France au lieu de rester à Oujda. Je n'ai donc pas vraiment de mère et j'ai un père absent !
En ce moment je travaille à Tanger, au Miami-Beach-Club. C'est l'été qui commence. ïl fait chaud et les touristes sont déjà là. Le Miami est l'un des nombreux balnéaires qui se trouvent en bordure de plage, le dernier avant leYatch-Club et le port. C'est un établissement qui possède une vaste terrasse et une salle joliment décorée. Dans la journée, il n'y a pas vraiment grand monde car les autres balnéaires sont mieux aménagés pour accueillir les vacanciers qui fréquentent la plage, ils possèdent des cabines de déshabillage et des douches, alors que nous, nous n'en avons pas. Le Miami, lui, en fait, se contente d'être un bar avec terrasse. En revanche, à partir de vingt heures, c'est la grande auence, car l'établissement est surtout et avant tout un bar de nuit, avec l'autorisation oîcielle de rester ouvert très tard. Voilà presque deux mois que j'ai quitté Oujda pour venir ici, à Tanger. Je suis parti avant la In de l'année scolaire car la chaleur commençait à m'être insupportable,
et j'en avais plus qu'assez d'entendre tous les profs nous bassiner à longueur de cours avec leur histoire de bac ! Sans compter le harcèlement de mes grands-parents sur le sujet. Le bac, j'en ai rien à faire, c'est pas lui qui me donnera du boulot au Maroc. Je sais que mon père va être furieux d'apprendre que j'ai fugué et que je ne l'ai pas passé alors que j'avais de bonnes notes dans presque toutes les matières. Mais il n'a qu'à s'en prendre à lui-même ! ïl va être encore plus furieux d'apprendre, si mes grands-parents le lui disent, que je leur ai volé leurs économies ! Je ne pouvais pourtant pas partir les poches vides. Et puis ça leur apprendra à avoir sans arrêt, pendant toute mon enfance et mon adolescence, compté sou par sou et surveillé la moindre de mes dépenses, à un dirham près. Je leur ai donc pris leurs économies, même si je sais que cet argent qu'ils mettaient de côté chaque mois c'était en prévision du pèlerinage à La Mecque qu'ils ont projeté de faire dans deux ans.
Car tous deux sont très croyants et pratiquants ! ïls font leurs cinq prières quotidiennes, et tous les vendredis mon grand-père se rend à la mosquée du quartier pour écouter le prêche de l'imam. Mais je dois reconnatre que sur ce plan de la religion ils ont respecté les directives de mon père qui ne voulait pas en entendre parler, parce que lui, en revanche, n'est pas du tout croyant. Je ne sais pas si cela vient du fait que quand il était petit on l'avait obligé à fréquenter une école coranique ou bien si cela vient de la vie qu'il mène en France, en tout cas je ne l'ai jamais vu faire sa prière ni aller une seule fois à la mosquée. En plus, quand il est avec nous, il ne se prive pas de boire des bières et du vin, même devant mes grands-parents. Une fois, au cours de l'un de ses séjours, je l'ai entendu dire à l'un de ses anciens amis qui était venu à la maison le revoir, que la religion ne servait qu'à laisser le peuple dans l'ignorance et que toutes ces histoires d'enfer et de paradis n'étaient que des sornettes… Mes grands-parents ne m'ont
donc jamais obligé à réciter le Coran ni à faire la prière, même si, vers l'âge de sept ans, c'est moi qui avais demandé à mon grand-père de m'apprendre comment prier, et de m'emmener à la mosquée. C'était pour faire comme certains de mes camarades de classe. Mais, très vite, j'ai abandonné ces pratiques, et mon grand-père n'a pas insisté pour que je les poursuive. ïl y a juste le jeûne du mois de ramadan que j'ai dû partager avec eux, année après année, à partir de l'âge de douze ans. Et puis aussi, il y a deux ans, mon grand-père a tenu absolument à ce que ce soit moi qui égorge le mouton, au sacriIce de la fête de l'Ad el K'bir, en prononçant les rituelles paroles :Au nom d'Allah. J'ai eu beau lui dire que je ne voulais pas, et ma grand-mère elle-même d'ailleurs n'était pas vraiment d'accord, il m'a quand même obligé à le faire. Ça m'a tout simplement écœuré ! Les plaintes de la bête qui savait que sa dernière heure était arrivée pendant que mon grand-père m'aidait à la suspendre par les pattes dans
le garage dont on avait laissé les portes ouvertes, ces plaintes rauques qui faisaient écho à d'autres plaintes identiques s'élevant dans le voisinage ; et puis ce ot de sang qui a jailli comme une fontaine, et les convulsions de l'animal agonisant ! Une horreur ! Je l'ai donc fait, contraint et forcé, mais j'ai déclaré ensuite à mon grand-père que je ne le ferai plus ! Aussi, l'an dernier, il a de nouveau dû faire appel à un égorgeur. Je crois, en fait, qu'il m'avait obligé à pratiquer cet égorgement pour montrer à tous les voisins que j'étais devenu un homme, et que j'étais un bon musulman !
Ce n'est pas la première fois que je claque la porte au nez de mes grands-parents. Mais cette fois je me suis juré que c'était pour de bon ! Je n'ai plus rien à faire à Oujda. C'est une ville morte ! ïl parat que du temps où la frontière avec l'Algérie était encore ouverte il y avait beaucoup d'animation, mais depuis ce n'est vraiment plus le cas. À Tanger au moins il y a de la vie, ça bouge, et puis la chaleur n'y est pas
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