Aux quatre vents
218 pages
Français

Vous pourrez modifier la taille du texte de cet ouvrage

Aux quatre vents , livre ebook

-

218 pages
Français

Vous pourrez modifier la taille du texte de cet ouvrage

Description

Paris, le 4 avril 1889. Le jeune Romain Dampierre quitte son Cotentin natal. Son oncle est mort, il va lui succéder dans sa petite librairie de la rue de Tournon. Il découvre à cette occasion, pour la première fois, un Paris fin de siècle, qui bouillonne au rythme des derniers préparatifs de l'Exposition universelle. Mais ce qu'il ignore encore, c'est que dans quelques semaines, une autre rencontre l'attend. Une femme. Un visage avant d'être un nom. Mais il en va souvent de l'amour comme des quatre vents : qui sait à l'avance où ils vous porteront ?

Sujets

Informations

Publié par
Date de parution 01 mars 2010
Nombre de lectures 39
EAN13 9782296695757
Langue Français

Informations légales : prix de location à la page 0,0850€. Cette information est donnée uniquement à titre indicatif conformément à la législation en vigueur.

Extrait

Aux quatre vents
Arnaud FREYDER


Aux quatre vents

roman
© L’HARMATTAN, 2010
5-7, rue de l’École-Polytechnique ; 75005 Paris
http://www.libraineharmattan.com
diffusion.harmattan@wanadoo.fr
harmattan1@wanadoo.fr
ISBN : 978-2-296-11386-2
EAN : 9782296113862

Fabrication numérique : Socprest, 2012
Ouvrage numérisé avec le soutien du Centre National du Livre
A mon Ariane
Granville, 10 septembre 1914


La porte de la cellule s’ouvrit, sonore sur ses gonds rouillés. Les années avaient passé et Romain Dampierre s’était maintenant habitué à ce bruit trop rare.

Il leva la tête, quittant la feuille sur laquelle il était en train d’écrire, lorsque le garde en faction, de sa voix toujours directe, lui lança :
- Le directeur veut vous voir.

Romain ne demanda pas d’explications. Il les savait inutiles. Il se contenta de tendre ses poignets afin qu’on lui passât les menottes. Lorsque le fer glissa autour de ses paumes, il sentit pourtant son cœur battre, tout au bord de ses mains : c’était peut-être la réponse qu’il attendait.

Le garde le suivit, de près, dans ce couloir de crépis sombre, si souvent parcouru. On voyait la lumière du jour en son bout, aveuglante.

Dans la longueur de ce corridor, il ressentit une petite brise sur son visage. Elle le rendit à un peu de vie. Car ce vent sur sa peau avait soudain un parfum de liberté.

Il annonçait d’habitude les heures de promenade. Celles que Romain employait toujours à marcher sans répit, pour le seul plaisir de goûter au souffle que l’océan portait jusque-là. Mais ce n’était pas vers la cour qu’on le dirigeait aujourd’hui.

Romain et son garde quittèrent en effet le quartier des prisonniers. Il fallut encore se glisser le long d’un mur trop blanc et une porte s’ouvrit enfin.

Une pièce apparut, grande et peu meublée : des rideaux de lourde étoffe que le soleil éventrait avec ferveur, des rayonnages de dossiers en tous genres et une table robuste, parfaitement disciplinée, s’y disputaient l’espace. Le directeur de la prison, un dénommé Jules Langlois, s’adressa sans attendre à Romain :
- Asseyez-vous.

Il était de ces militaires dont la stature suffisait à inspirer le respect. Romain songea qu’il ne l’avait vu que peu de fois en cinq ans. Mais il savait combien cet homme était soucieux de se montrer aussi ferme que courtois avec les prisonniers.

Il était réputé avoir pris cette habitude, lorsqu’il recevait l’un d’entre eux, de coucher un cadre de bois qui reposait à côté de son sous-main : il s’agissait là, disait-on, du portrait de son épouse défunte ; il n’aurait sans doute pas toléré qu’un des prisonniers la vît. C’est ce geste qu’il fit à l’entrée de Romain, en poursuivant :
- J’ai de bonnes nouvelles pour vous. Votre demande a été acceptée. Vous partirez pour le front dans trois jours.

Romain sentit, d’un coup, son cœur bondir dans sa poitrine. Son émotion fut telle qu’elle dut se lire sur son visage puisque le directeur ajouta :
- Ne vous réjouissez pas trop. Si d’aventure vous reveniez de cette guerre, vous retourneriez en prison.
- Ne vous inquiétez pas, monsieur le directeur, je ne reviendrai pas, répondit Romain dans l’instant.

Le silence se fit, sans doute pour permettre au directeur d’interpréter le propos énigmatique qui venait de lui être adressé. Il tendit néanmoins une feuille :
- Signez-là. C’est votre engagement.

Romain eut du mal à parapher, de ses mains liées, le document. Mais il réalisa qu’à la faveur de ce coup de crayon tant espéré, il sciait ses chaînes autant que ses menottes. Et cela le remplissait d’une joie immense.

Il regagna ensuite sa cellule, toujours sous bonne escorte.

Il passa les trois jours qui le séparaient de l’échéance à rassembler ses affaires. Il s’étonnait d’ailleurs de tout ce qu’il avait pu accumuler dans un si petit espace. Près de cinq ans avaient passé : comme ses gardes étaient relativement conciliants, cela lui avait suffi à peupler une pièce si exiguë.

Il employa aussi son temps à écrire quelques pages, comme il s’y plaisait régulièrement depuis trois années maintenant.

Le 13 septembre, à huit heures du matin, les gonds de la porte crièrent une ultime fois.
- C’est l’heure, lui lança-t-on. Deux soldats vous attendent.

Le trajet fut le même : le corridor de crépis sombre, la lumière en son bout, les murs blancs de l’édifice. Mais au moment de passer devant le bureau du directeur, Romain hasarda :
- Je souhaiterais voir monsieur Langlois un instant, avant de partir.

Il réalisa, se faisant, que, pour la première fois, il appelait le directeur par son nom.

Le garde d’escorte eut d’abord l’air étonné par sa demande : un prisonnier différant sa sortie de prison de quelques minutes, la requête était probablement peu courante.

Il frappa finalement à la porte du bureau, avant d’y glisser la tête. Romain eut le loisir d’entendre les mots échangés :
- Monsieur le directeur, Romain Dampierre, qui quitte la prison aujourd’hui, souhaiterait vous dire un mot avant de partir. L’y autorisez-vous ?
- Soit ! Faites-le entrer. Mais j’ai peu de temps.

Le directeur n’était pas un homme propre à s’épancher avec un prisonnier sortant de cellule, qui plus est lorsque cette sortie était réputée temporaire :
- Je vous écoute, fit-il.
- Il y a maintenant trois ans, vous avez autorisé que du papier, une plume et un encrier me soient fournis, en plus du matériel dédié à la correspondance habituelle. Pour cela, je tenais, monsieur le directeur, à vous remercier. Vous n’imaginez pas combien cela fut important pour moi. Cela m’a permis de continuer à vivre toutes ces années.

Il posa alors, sur le bureau, une liasse de feuilles, épaisse.
- Je me permets d’ailleurs de vous demander une dernière faveur : pourriez-vous verser ces pages au dossier que vous avez ici, sur moi ? Elles y seront plus en sûreté qu’à l’endroit où je vais.

Bien que surpris, Jules Langlois ne fut pas insensible aux remerciements du prisonnier. Mais il se contenta pourtant de répondre, un peu sèchement :
- Si cela peut vous faire plaisir. Vous avez ma parole.

Alors que Romain se dirigeait vers la porte, le directeur ajouta tout de même :
- Bon courage. Notre pays ne saurait perdre cette guerre.

On fit traverser la cour à Romain. Il y perçut déjà les embruns que l’océan charriait jusque-là, en cette fin d’été. Puis il fut face au grand portail. On lui ménagea une porte dérobée. L’heure n’était pas très avancée mais lorsque cette porte s’ouvrit et qu’il s’y engouffra, Romain détourna immédiatement ses yeux du soleil, douloureux de lumière, qui montait au loin.

Son regard ne s’y accoutuma que progressivement : il avait oublié combien était belle cette ligne d’horizon, que les années de prison lui avaient dissimulée.

L’un des deux militaires qui l’attendaient l’invita à s’asseoir à l’arrière d’un véhicule. Romain ne prêta guère attention à la rudesse de ses premiers mots :
- Tu as intérêt à te tenir tranquille. Sinon, nous n’hésiterons pas à t’abattre.

Il préféra regarder les hautes façades de la prison s’éloigner comme un mauvais rêve, lorsque la voiture commença à se déhancher sur la route mal carrossée.

Le trajet lui parut ensuite magnifique. Il regardait, avec une gourmandise de nouveau-né, les arbres qui frémissaient sous le vent et la rondeur de ces collines que le véhicule sillonnait.
- Où allons-nous ? demanda Romain à ses deux acolytes.
- A la caserne, pardi ! fit l’un d’entre eux. Puis nous embarquons ce soir pour rejoindre la ligne des combats.

Il ne chercha pas en savoir davantage : il reverrait la mer ce soir ; cette pensée acheva de lui réchauffer le cœur.
Et en fin de journée, Romain retrouva effectivement l’océan.

Le directeur, quant à lui, était encore à la prison, en train de consulter ses dossiers. Il lui arrivait souvent de veiller tard. Sa maison, qu’il habitait seul, était trop proche de la prison pour l’inviter au départ.

  • Univers Univers
  • Ebooks Ebooks
  • Livres audio Livres audio
  • Presse Presse
  • Podcasts Podcasts
  • BD BD
  • Documents Documents