CAHIER BLEU   CHRONIQUE
136 pages
Français

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CAHIER BLEU CHRONIQUE , livre ebook

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136 pages
Français

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Description

Il s'agit d'une chronique de l'année 1968, à la fois journal intime et témoignage sur les événements de l'époque vécus en province. Le livre dessine ainsi le portrait d'un jeune universitaire, évoluant dans son cadre professionnel, familial et personnel, et s'interrogeant sur le sens de la révolte étudiante, et plus largement, sur la valeur de son projet de vie.

Sujets

Informations

Publié par
Date de parution 01 mai 2011
Nombre de lectures 84
EAN13 9782296811287
Langue Français

Informations légales : prix de location à la page 0,0500€. Cette information est donnée uniquement à titre indicatif conformément à la législation en vigueur.

Extrait

© L’Harmattan, 2011
5-7, rue de l’Ecole polytechnique, 75005 Paris

http://www.librairieharmattan.com
diffusion.harmattan@wanadoo.fr
harmattan1@wanadoo.fr
ISBN : 978-2-296-55177-0
EAN : 9782296551770

Fabrication numérique : Socprest, 2012
Ouvrage numérisé avec le soutien du Centre National du Livre
Le cahier bleu
Ouvrages récents du même auteur


Les Laisses de Mer. Chronique d’une carrière scientifique. L’Harmattan, Paris, 2005,173p.
Mémoire des Lieux, Mémoire des Choses. Le Losange, Nice, 2006,106 p., 74 illustrations.
Mémoire des Pères, Mémoire des Mères. Le Losange, Nice, 2007,98 p., 39 illustrations.
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Une Enfance en Héritage. Récit. L’Harmattan, Paris, 2009,138 p.
D’une rive à l’autre. Récit. L’Harmattan, Paris, 2010,148 p.
Gilbert Boillot


Le cahier bleu


Chronique


L’Harmattan
Chapitre I (hiver 1968).
L e début d’une nouvelle année est propice aux bilans. Je me souviens de ce jour d’octobre 1952 où je cherchais à reconnaître d’après une photographie le cousin éloigné venu m’accueillir sur un quai de la gare de Lyon. Premier déracinement, première souffrance. À 18 ans, je laissais la Provence et la protection familiale pour le ciel gris de Paris et l’enfermement dans un lycée sans arbre. Mais alors, l’idée me soutenait d’acheter par cette souffrance un avenir radieux. La réussite scolaire de l’adolescent devait ouvrir la route aux succès de l’adulte…
Quinze ans plus tard, je vis un second exil, vers la province celui-ci. Le nouveau dépaysement, qui me fait accéder à des responsabilités longtemps désirées, qui offre à ma famille l’épanouissement dans une grande maison en lisière de village, et surtout qui me permet de m’échapper du champ conflictuel où je m’épuisais depuis trois ans, devrait m’apporter la paix. Mais non, me voilà au contraire plongé à nouveau dans l’incertitude, dans l’anxiété de celui qui ne connait plus son chemin, qui hésite au carrefour où il est parvenu. Car je sais bien que tout retour me sera interdit sur la route que je choisirai finalement, ou qui me sera imposée. Suis-je inapte à jouir de l’instant à force de scruter l’avenir ?
Pris aujourd’hui par mes nouvelles tâches, je me souviens avec nostalgie de l’époque toute proche où mes loisirs forcés me permettaient une activité plus littéraire que scientifique, tant la mémoire est courte de la souffrance apportée par les entraves quand la liberté est recouvrée. Car l’année 1967 fut aussi celle de « Charybde », cette réussite heureuse après seulement cinq semaines d’écriture aisée. Bien naïvement je pensais alors qu’une telle facilité, un tel plaisir de plume ne pouvait qu’aboutir à la publication et au succès. Quand je me suis inquiété du destin de mon manuscrit en téléphonant à l’éditeur à qui je l’avais confié, une secrétaire m’a rassuré d’une voix suave et jeune : « Votre texte est jugé intéressant ; notre directeur littéraire va vous répondre incessamment ». Un mois plus tard, alors que j’avais déjà quitté Paris pour la Bretagne, nouveau coup de téléphone : « Nous vous demandons quelques jours encore ». Enfin je suis convoqué. Il pleuvait, pleuvait ce jour-là sur Paris ; jamais jeune auteur n’avait encore été introduit aussi mouillé dans un salon d’éditeur. « Je vous demande quelques minutes » prie poliment le directeur littéraire lors d’une brève apparition. C’est un petit homme chauve et rondouillard, plein d’urbanité. Une demi-heure se passe, et le salon sent de plus en plus le chien mouillé. Enfin revoilà le directeur : « Votre livre est bon, et surtout très bien écrit. Mais, comment vous dire, il manque un peu de matière. Il est trop mince pour être publié tel quel. Quels sont vos autres projets ? » Il m’écoute distraitement, déjà il est ailleurs. « Il ne faudrait tout de même pas trop tarder à publier. Sinon, vous allez vous impatienter, vous décourager peut-être. Cette année ne doit pas se passer sans un livre de vous… »
L’entrevue avait duré vingt minutes. Et comme je le remerciais de son accueil : « Mais non, Monsieur, c’est moi qui vous suis reconnaissant de votre visite… » Quelle politesse exquise dans ce renvoi à mes chères écritures !… Dehors, il pleuvait toujours autant. Un peu étourdi, ne sachant pas très bien si ce rendez-vous était un échec ou un succès, j’étais surtout préoccupé, là, dans la rue, de ne pas laisser se mouiller dans ma serviette le manuscrit de « Charybde » ou, pire encore, la gravure ancienne achetée chez un marchand de la rive gauche juste avant la visite à l’éditeur…
Et me voilà, de retour ici, dans la grande maison de Tassigny, découpant, collant, reprenant une fois encore mes anciens textes dans l’espoir de les amalgamer enfin. Aujourd’hui, un nouveau manuscrit est entre les mains de l’éditeur, et j’attends. Je l’ai intitulé « Scylla », sans penser au présage ni aux cruelles plaisanteries à la table des comités de lecture. J’attends avec l’inquiétude d’avoir peut-être compromis dans ma hâte une chance qui ne se représentera plus avant longtemps. Car c’est un nouveau livre qui m’était demandé, non pas un nouvel état de mes premiers écrits. J’attends, et chaque matin, dans le courrier, j’espère tout en la redoutant la réponse de l’éditeur, reconnaissable parmi toutes les autres lettres à la jolie flamme qui orne son enveloppe.
Cependant, le temps d’écrire s’éloigne inexorablement. Désormais, je suis entièrement requis par mon nouveau travail. En une journée de lecture et de réflexion, je prépare difficilement une heure de cours, et je dois parler cinq à huit heures chaque semaine devant des étudiants que je ne connais pas. J’ai désiré passionnément porter enfin les charges qui me sont confiées cette année, mais sans en avoir mesuré tout le poids…
Pour me délasser, je retourne le soir au journal de Jules Renard. Ce livre me fascine. Les premières pages sont un peu difficiles, mais il faut se laisser aller et entrer dans le texte avec empathie. Les mots, les petits bouts de phrases frappés comme des médailles font un masque dont la pudeur de l’auteur a besoin. Mais derrière le masque, on devine l’homme bien mieux que l’on ne distingue André Gide au-delà du personnage qu’il campe complaisamment dans son journal à lui. Gide tenait sa chronique pour en faire des livres. Et Renard ? Lui aussi souhaitait sans doute la publication de ses mémoires, mais après sa mort… Seul Stendhal, peut-être, a pris des notes intimes sans songer qu’elles pussent un jour être montrées… Quant à moi, sans être Gide ni Renard, je ne sais rien écrire sans un regard sur mon épaule. Inutile de me le cacher. Si je commence cette nouvelle année à tenir un journal à mon tour, ce n’est certes pas pour le brûler dans dix ans. Ni d’ailleurs pour le donner à lire un jour, ne serait-ce qu’à Sophie. Plutôt je cherche à amasser des matériaux dont j’espère qu’ils nourriront plus tard le nouveau livre que je rêve d’écrire. Le rédacteur aura besoin d’archives quand viendra le temps du souvenir et des bilans. Et le grand cahier à couverture bleue où j’écris en ce moment me rendra alors ce que le temps aura effacé dans ma mémoire.


Autre préoccupation, plus matérielle celle-ci : resterons-nous à Tassigny ? La maison est grande, confortable, certes, mais terriblement triste. C’est sans doute à cause de ses fenêtres étroites, dont aucune n’est tournée au sud, en direction des rares soleils de ce pays-ci. J’aime pourtant le paysage vu de mon bureau, fait de haies et de bosquets maintenant dépouillés, de labours déjà verdis par le jeune blé qui lève, et encadré par les deux chênes plantés au fond du jardin. Les cyprès et lR

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