Cayennaises
119 pages
Français

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Cayennaises , livre ebook

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Description

Les récits qui composent ce recueil prennent leur source dans un pays réel mais si méconnu qu'il en devient facilement imaginaire. Un homme retrouvé mort sur la plage, des femmes que tout le monde dit folles, un légionnaire inconsolable... pour chacun de ces personnages, la vie doit reprendre sous un jour neuf. Eux n'ont jamais existé, mais ils sont à l'image de ce pays bien réel : ils attendent leur propre résurrection.

Sujets

Informations

Publié par
Date de parution 01 juin 2009
Nombre de lectures 73
EAN13 9782336275628
Langue Français

Informations légales : prix de location à la page 0,0500€. Cette information est donnée uniquement à titre indicatif conformément à la législation en vigueur.

Extrait

© L’Harmattan, 2009
5-7, rue de l’Ecole polytechnique, 75005 Paris
http://www.librairieharmattan.com diffusion.harmattan@wanadoo.fr harmattan1@wanadoo.fr
9782296090446
EAN : 9782296090446
Sommaire
Page de Copyright Page de titre La visite du petit diable Manmandilo Le don La folle d’Iracoubo Cœur par terre La pêche miraculeuse Le chemin du retour Écritures
Cayennaises
nouvelles

Bernard Brocq
La visite du petit diable
I l était une fois, à Cayenne, une femme que personne ne fréquentait plus. Ses amis et même ses parents s’en étaient peu à peu éloignés. Elle n’avait plus d’amants, ses sœurs étaient parties, elle ne semblait plus attachée à personne et ses voisins ne lui parlaient pas. Si bien que sa société, à l’époque où se situe mon récit, était presque réduite à rien.
Elle habitait rue du XIV juillet, dans une maison créole blanche et verte. Au numéro 6 bis. Cette maison existe toujours. Un snack chinois avec une petite terrasse est installé presque en face, mais cette femme n’est plus là.
Parfois, elle se promenait sur le trottoir, dans sa rue, jusque sur la place des amandiers, sans la moindre coquetterie. Elle sortait en jupon, traînant les savates, sans s’être peignée. On la prenait pour une folle. On la voyait se promener, et son chagrin n’échappait à personne, mais on ne lui en demandait pas la raison. Personne ne savait pourquoi elle était si malheureuse. Et tout le monde racontait qu’elle avait fait son testament et disait qu’elle voulait mourir.
On ne pouvait pas s’empêcher de se poser des questions et de parler. Elle semblait abandonnée, comme si elle était restée en présence d’un absent. L’homme qui l’avait quittée ? L’enfant qu’elle avait perdu ? Son manque d’amour était criant et personne ne se proposait pour le combler : je me sentis bientôt le devoir d’intervenir.
En plein midi, je me présentai devant cette maison. J’étais là, debout, ne sachant comment m’y prendre. La rue était animée. J’étais encore en train de réfléchir lorsqu’un cracké me demanda un euro, puis une cigarette. « Tout ce que tu veux » lui dis-je, et ma proposition généreuse suffit pour que son âme s’enflamme. Il cessa aussitôt ses prières pour s’éloigner en hurlant.
Vers vingt-trois heures, ce même cracké me vit entrer. Il arrêta quatre policiers qui patrouillaient en voiture pour leur dire ce qu’il avait vu. Aucun ne le prit au sérieux, arguant avec raison qu’un cracké voit le diable tous les jours.
La porte était encore ouverte. Pour entrer, je n’eus qu’à pousser les deux battants de bois et le bout de dentelle qui dissimulaient l’intérieur. J’étais dans une petite pièce au sol de pierre. Une autre porte située en face donnait sur un jardin, un peu de lumière descendait d’un large escalier. Je distinguais une table, deux chaises et une étagère presque vide fixée au mur.
Je m’assis et attendis. Il faisait bon, l’air passait de la rue au jardin. Bientôt la nuit devint plus claire. La lune s’était levée et balayait la ville. Cayenne s’était tue déjà, trop tôt. Quelques rares voitures passaient dans l’avenue Léopold Héder.
Un peu de bruit me parvint de l’étage. J’entendais distinctement marcher au dessus de ma tête. Elle descendait. J’allais connaître les raisons de sa peine. J’espérais — pour réussir à lui redonner goût à la vie — qu’elle ne fût pas de ces saintes que les larmes et les cris embellissent.
Elle allume la lumière et ne s’aperçoit pas tout de suite de ma présence. C’est en relevant les yeux qu’elle me remarque. Elle sursaute.
— Qui êtes-vous ?
C’est bien elle... Elle a un léger accent chantant, de longs cheveux aux reflets roux, un cou et des épaules de reine. Je ne bouge pas. Je suis toujours assis et je ne dis pas un mot. « Qu’est-ce que vous faites là ?... » Je souris.
— Tu as d’autres questions ?
Elle n’est pas assez troublée.
— Quoi ? Mais qui es-tu ?... Sors d’ici tout de suite !
— Je vais te dire qui je suis. Et je vais sortir, dis-je en posant calmement les yeux sur elle, mais avant, j’aimerais m’entretenir avec toi. »
Elle ne semble pas avoir peur. En revanche, j’ose l’avouer, sa beauté m’impressionne. Devant moi, elle cherche quelque chose, un téléphone.
— J’appelle la police...
Mais lorsqu’elle l’a trouvé, elle ne s’exécute pas et répète d’un ton menaçant « je vais appeler. »
— Tu es en colère ?... J’ai vu de la lumière à l’étage. Je suis entré. Je savais que tu étais là.
— Je ne te connais pas.
— Tu te trompes.
— Mais qu’est-ce que tu veux ?...
Pour toute réponse, l’ampoule du plafonnier saute et nous nous retrouvons dans la nuit.
— Apporte un peu de lumière, une bougie, et assieds-toi en face de moi.
Elle ne bouge plus du tout. Sa silhouette se découpe dans la nuit diffuse. Lentement, elle gratte une allumette, approche un cierge. Et nos ombres s’étirent. Elle se penche, égoutte un peu de cire sur le coin de la table, y fixe le cierge. A ce moment, son visage est près du mien. Ses narines se dilatent comme celles d’un animal aux aguets. Elle se recule et s’assoit.
Plus que tout, ses épaules me plaisent... Sa robe de nuit se termine en un collier de dentelle qui danse sous la lumière. Les traits de son visage sont si fins qu’ils se dessinent précisément dans la pénombre quand ceux de ses seins restent flous sous le linge et la flamme.
— Je peux t’aider, lui dis-je. Je connais un peu tes états d’âme. » Elle me regarde avec courage... « Ça te surprend, mais c’est vrai. Peut-être que j’en sais plus que toi sur toi-même. »
Elle lâche un pchiiiit qui cherche à me blesser.
Je m’avance au dessus de la table.
« J’aimerais que tu te comprennes mieux. Rien d’autre. Tu n’as plus goût à la vie. Mais sais-tu vraiment pourquoi ? »
Elle m’écoute maintenant, avec plus d’attention.
« Tu n’as plus envie de vivre. Mais ce n’est pas encore une envie de mourir. C’est juste un manque de bonne volonté... N’est-ce pas ?... Et je peux t’aider. »
— Je crois que je sais qui tu es.
Je m’entends ricaner dans la pièce, pendant qu’elle répète « qu’est-ce que tu me veux ? Va-t-en... »
— Demande-toi plutôt ce que je vais te faire !
J’approche mon visage de la flamme.
« Je suis là, et je ne n’ai pas envie de partir. Pas encore. Je partirai au lever du soleil, si au lever du soleil tu as encore envie que je parte. Nous avons la nuit devant nous. N’aie pas peur : je voudrais seulement t’entendre... Explique-moi pourquoi ton testament est déjà chez le notaire, quelques rues plus loin, tout près d’ici.
Elle sursaute. Ma question l’a réveillée.
« Tu n’es tout de même pas surprise que je le sache... Les diables, comme les notaires, savent ce qu’est un pacte : des mots, simplement des mots. Et puis, tu ne caches rien, ma belle. Tout le voisinage est au courant. »
Maintenant, elle s’agrippe convulsivement à la table. Elle voudrait parler mais n’y arrive pas. Je retire mon visage de la lumière.
« Et oui... Depuis que je sais ça, la curiosité ne me laisse pas en paix. » Elle secoue la tête comme pour se réveiller, sans refuser, comme on s’ébroue en cauchemardant. « Une belle femme comme toi ?... Je voudrais comprendre. »
— Tu partiras au lever du jour...
— Oui, je te l’ai dit.
Elle ajoute en me fixant de ses grands yeux magnifiques :
— Tu partiras, même si je n’en ai plus envie ?
— Promis...
Elle s’affaisse sur sa chaise, renverse la tête en arrière et se met à gémir. J’ai beau leur prêter toute mon attention, les sons qui sortent de sa bouche sont inintelligibles. Elle brame. Sa dignité s’en va. Elle murmure enfin :
— Mon histoire est très banale, diable... Je suis une pauvre femme... avec des cornes qui te feraient rougir... » Et peu à peu, sa voix s’affirme dans la nuit. « Je suis restée onze ans avec le même homme... Un homme?... Un gamin. Je ne veux pas parler de lui. Je sais ce que j’ai vécu. J’ai été prise pour une conne. J’ai eu ce que

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