Cinq pieds de terre, l aurore
250 pages
Français

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Cinq pieds de terre, l'aurore , livre ebook

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Description

Que ce soit en Espagne, aux Antilles, en Aquitaine ou dans le Languedoc, le monde est beau, quand on prend la peine de le contempler ; de s'y mouvoir aussi pour mieux le connaître - chacun sous l'angle d'un point de vue singulier. Ces nouvelles et récits mettent en scène des gens qui ont été heureux, et pourraient l'être encore, s'ils ne venaient à prendre conscience, un jour, des aspects scandaleux, des tares, de l'infamie parfois, de nos sociétés riches et absurdes.

Sujets

Informations

Publié par
Date de parution 01 décembre 2009
Nombre de lectures 257
EAN13 9782296685444
Langue Français

Informations légales : prix de location à la page 0,0950€. Cette information est donnée uniquement à titre indicatif conformément à la législation en vigueur.

Extrait

Cinq pieds de terre, l'aurore
Michel Prat
 
 
Cinq pieds de terre, l'aurore
 
 
Nouvelles et Récits
 
 
L'Harmattan
 
 
© L'Harmattan, 2009
5-7, rue de l'Ecole polytechnique, 75005 Paris
 
Fabrication numérique : Socprest, 2012
Ouvrage numérisé avec le soutien du Centre National du Livre
 
http://www.librairieharmattan.com
diffusion.harmattan@wanadoo.fr
harmattan1@wanadoo.fr
 
ISBN : 978-2-296-10138-8
EAN : 9782296101388
 
A Christiane
 
« La politique dans une œuvre littéraire, c'est un coup de pistolet dans un concert, quelque chose de grossier et auquel pourtant il n'est pas possible de refuser son attention. »
 
Stendhal
 
 
« (...) il faut que Ie sujet ait occupé dans Ie nouveau terrain sa nouvelle place, autrement dit que Ie sujet ait déjà été, voire partiellement à son insu, installé sur ce nouveau terrain, pour pouvoir porter sur l'ancien invisible Ie regard instruit qui lui rendra visible cet invisible. »
 
Louis Althusser
 
Les textes qu'on va lire relèvent tous de la fiction. Seuls les lieux sont réels (et encore...). Toute ressemblance avec des personnes existantes ou ayant existé, serait purement fortuite.
 
SANTO DOMINGO DE SILOS
 
 
Je n’avais aucune raison de me trouver à Silos. Ou plutôt si, j’en avais une, mais ancienne, semblable à un air lointain, hésitant au bord du souvenir.
 
J’y étais venu pour la première fois trente ans auparavant. C’était l’été alors, la Castille rapiécée, aux champs de formes et de nuances diverses, avait pour dominante la couleur des éteules et de l’herbe rase, sèche. Quelques rares bosquets, quelques lignes d’arbres, interrompaient seuls, ça et là, sa monotonie. De loin en loin, une éminence tabulaire d’un gris-violet dominait des étendues quasi désertiques, los páramos.
 
A l’époque, je partageais la vie d’une étudiante en espagnol, à demi ibérique d’ailleurs, par sa famille, qui avait voulu suivre à Burgos, pendant deux mois, les cours pour étrangers de l’Université. Je l’y avais rejointe pour quelques jours. Tandis qu’elle étudiait, je me promenais dans la ville.
 
Le río Arlenzón, en ce début d’août, se réduisait à un filet d’eau sale. On se demandait comment pouvaient bien survivre les bancs de poissons qu’on voyait s’égailler, soudain, quand des enfants y jetaient des cailloux.
 
La Cathédrale, les monuments en général, les sites touristiques, m’eurent vite lassé. Je leur préférais les rues fraîches de la vieille ville, les bistros à cidre, où l’on servait en guise de tapas de grosses sardines grillées. L’une de ces ruelles, riche en estaminets, avait été rebaptisée « la calle de los elefantes ». Les jeunes gens qui y allaient en bandes « alternar », c’est-à-dire, d’un côté à l’autre, passer d’un établissement à un autre, prétendaient en effet que, parvenu au bout, on ne pouvait manquer de voir des éléphants roses.
 
J’aimais aussi, aux heures chaudes de l’après-midi, m’installer à une table dans le grand salon suranné du Círculo de la Unión. On y servait de délicieuses glaces à la vanille nappées de caramel. De vieilles dames franquistes composaient l’essentiel de sa clientèle. Les étudiants étrangers (on me prenait pour tel, non sans raison), y étaient admis par dérogation. On était en août 1968 : un jour, l’une d’elles se tourna vers moi avec un grand sourire, et me dit :  « Dé Gaouillé, los estudiantes… », en faisant le geste de tordre quelque chose.
 
A présent, j’étais à Silos depuis cinq jours déjà. J’avais pris pension dans une petite auberge, non loin du monastère, au bas d’une ruelle pavée en forte pente, et partageais mon temps entre une nouvelle que j’essayais d’achever (il y était question d’un amour pour deux femmes, dont l’une, la préférée, ne pouvait qu’être repoussée, parce qu’elle ressemblait trop à la sœur jamais eue, ou à la mère), des promenades, et la lecture de la Vida del Buscón .
 
En février, à Silos comme ailleurs, les travaux des champs se réduisent à presque rien, les habitants du village se tiennent chez eux, et l’on ne croise dans les rues quasiment personne. Les touristes, bien sûr, sont absents. C’était d’ailleurs pour être seul que j’avais choisi d’y venir en cette saison : j’avais éprouvé le besoin de prendre quelque distance avec ma femme et ma vie, et, bien que je ne fusse revenu ici que de loin en loin, je savais que je m’y sentirais en pays familier.
 
J’y étais arrivé à la nuit tombée, et le lendemain, dès mon réveil, étais allé revoir ces villages qui, longtemps restés à l’abandon, aujourd’hui restaurés le plus souvent, sont encore semblables dans l’ensemble à ce qu’ils devaient être du temps de Cervantes : Lerma, Covarrubias…Puis j’étais venu prendre possession de cette chambre au papier peint bleu pâle orné de fleurs blanches, meublée d’un grand lit (« una cama de matrimonio »), d’un inconfortable fauteuil, d’une table en bois blanc teinté au brou de noix. A droite de la fenêtre donnant sur la ruelle en pente, se trouvait un lavabo. Toilettes et douche étaient au bout du couloir.
 
On ne pouvait pas dire que ce fût le grand luxe, comme on voit. Mais c’était dans mes moyens (la littérature nourrit mal celui qui entend n’écrire qu’à sa guise ; seul un petit revenu familial me permettait de joindre les deux bouts). Et je m’y sentais bien. D’autant mieux qu’au restaurant du rez-de-chaussée, fréquenté par des maçons travaillant au monastère et des livreurs de passage, on servait une nourriture roborative et savoureuse : boudin castillan, chuletas, cocido, cochinillo asado le dimanche, et vin de Navarre tous les jours, épais comme le suc des baies en automne.
 
J’avais été surpris par le paysage. Dans ma mémoire, la campagne castillane, que je n’avais vue qu’en été, semblait pour toujours revêtue du jaune violent de certains tableaux de Van Gogh. Ses villages se tapissaient dans des replis de terrain soulignés d’un trait vert sombre, là où avaient bien voulu pousser quelques arbres. Or, je venais de traverser un plateau verdoyant à perte de vue, que parcourait le vent seul. J’aurais pu me douter, bien sûr, que le blé, si on le moissonne en été, commence à pousser dès la fin de l’hiver, et ne diffère guère alors d’une herbe grasse. Telle est la force du souvenir, cependant, que je demeurai pour un temps stupéfait de ma découverte.
 
Quelques jours après mon installation, un soir, poussé non par la piété (je ne suis pas croyant), mais par l’ennui, et parce qu’une petite affiche, placardée près de la porte de l’auberge, avait attiré mon attention, j’étais allé écouter les vêpres dans l’église du monastère.
 
Ce dernier, qu’il soit vu de loin, d’une colline, ou de plus près, frappe par son aspect massif, son absence de grâce. Mais à l’intérieur, la cour du cloître, bordée de doubles colonnes romanes soutenant des arcs de belles proportions, paraît très élégante par contraste. Un gros cyprès, dont la légende dit qu’il incitait Miguel de Unamuno à la méditation, y rythme de son ombre les heures du jour.
 
Il règne souvent, autour des monastères, une qualité de silence exceptionnelle. Il n’est pas rare qu’au cours des siècles celle-ci se soit répandue dans tout un village. C’est le cas à Silos. Un jour, sur la grand-place où la pierre sans ombre se chauffait au soleil, j’avais vu descendre d’un car des touristes, passablement agités et vulgaires, ainsi qu’ils sont souvent. A peine regroupés sur le dallage grossier, ils s’étaient tus d’un coup.
 
Ce soir-là, la nef était déserte. J’avais attendu quelques instants dans le silence épaissi par la pénombre du lieu, puis les moines, par la droite et la gauche, avaient pénétré dans l’abside. Bientôt, leurs voix avaient retenti sous les voûtes. J’avais alors laissé bercer mon esprit par la courbe sinueuse des parties alternées, allant de la psalmodie au chant le plus ardent ; par le silence aussi, établi soudain, que venait briser le chœur à l’unisson.
 
J’éprouvais un sentiment d’insatisfaction, pourtant. Certes, sa beauté rendait émouvant le plain-chant de ces moines, mais il résonnait d’une façon singulière, me semblait-

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