Contes juifs
255 pages
Français

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Contes juifs , livre ebook

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Description

Leopold von Sacher-Masoch (1836-1895) n'est pas seulement l'adepte d'un érotisme auquel il a donné son nom. Fasciné par le judaïsme et blessé par le sort des juifs de Galicie, en butte à l'antisémitisme des seigneurs slaves, il a tenté de leur rendre hommage par la littérature. Il a écrit ces Contes Juifs en français, alors qu'il vivait à Paris avec sa famille.

Sujets

Informations

Publié par
Date de parution 01 septembre 2011
Nombre de lectures 94
EAN13 9782296390843
Langue Français
Poids de l'ouvrage 1 Mo

Informations légales : prix de location à la page 0,0000€. Cette information est donnée uniquement à titre indicatif conformément à la législation en vigueur.

Extrait


Les éditeurs remercient Emmanuelle Marchadier.

ÉditionsduSandre

57,ruedu DocteurBlanche

75016 Paris

LEOPOLDVONSACHER-MASOCH

CONTESJUIFS

RÉCITSDE FAMILLE

Éditions du Sandre

BESSOURÉTOWÉ

Galicie

LeProsteck.Cheder.Chassidim.Masser

HerzMachel était considéré par lesChassidim,les Zélotes
quirégnaientàSadagoura, commeprosteck.Cen’étaitpas
unhommeagissant contrairementauxlois,maisundeces
espritsbornés quinecomprennentriendecemonde,et,
parcela même,restent toujoursdansl’ombre.Pourtant,
lesChassidiml’avaiententourédebeaucoupdesollicitude
lorsqu’ilvintaumonde,etavaient toutfaitpour assurer son
bonheur surlaterre etau ciel.
ÁpeineHerzfut-ilné,que leTsadiq,lerabbin sage et
miraculeux desChassidim,auquelobéissaientleciel et
l’enfer, donnaunbilletàson père.Celui-ci,ayantmisun
zèletoutparticulierà bourrerlaloulka (pipe)du Tsadiq,
avaitdesdroitsà ce billetdestiné
àsauvegarderlenouveaunépendantles premiershuitjours.
C’està cette époque de laviequeLillith, labelle diablesse,
planeautourde la maison avecsa suite, composée dequatre
centquatre-vingtsespritsimpurs.Labande deparchemin
surlaquelle étaientinscritsles nomsdestrois anges:Senoï,
Sansenoï et Sammangelef, clouéesurlepoteaude la porte,

5

devait défendre le petit Herz contrecette avant-gardede
l’arméeinfernale.
Mais,maintenant, d’autresdémons arrivantpar milliers,
lepèrealladenouveau chezleTsadiq, d’oùilrevint, cette
fois,avec untasdepetitsbillets qu’ilavaitsoigneusement
enveloppésdans son mouchoir rouge.Surcesbilletsétaient
écritsles nomsdes patriarcheset de leursfemmes, des
prophètes, desgrandstalmudisteset Tsadiqim,et, deplus,
différents passages,pleinsd’énergie, de la sainteÉcriture et
du Talmud.
Ils’agissait donc dedisposerhabilementlesbillets.
Abraham,IsaacetJacobfurentpostésà droite de l’enfant ;
Sarah,Rebecca,Liaet Rachel, àsagauche;Moïse etle
grandBescht(le fondateurdesChassidim)furentmis
sousl’oreiller, etles autres petitsbilletsfurentplacésen
sentinellesdevantlacheminée, lesfenêtres, lestrousdes
serruresetles petitesissuresdumur.
Ála porte,setrouvaientles nomsdeJehoel,Michael,
et Sangsagaël, lemelamed(précepteurdeMoïse),puisce
passage dupsaume 55 : «Ilsauvemavie.»
Pourtant, lepetitHerzn’avaitnulle intentionde devenir
ungénie cabalistique.Ce futmêmeavecpeinequ’ilapprit
à lire l’hébreudansle cheder.Aleph etBeth luisemblaient
deuxdémonscréés pourletourmenter: il lesconfondait
toujours, etlemelamed(instituteur)luiprodiguait
inutilementdestrésorsdepatience.Lorsqu’il étaitassis
devantlesidour (livre deprière), envainluimontrait-ilsans
cesse lescaractèreshébreuxavec le deutel(baguette);en
vainlajolieRebetsin (femme dumelamed) promettait-elle
auchedriungel(écolier)desgâteauxetdesfruits;les poules
quisepromenaientdansl’école, encaquetant, l’intéressaient
plus que leshiéroglyphes qu’il lui fallaitdéchiffrer.

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Unjour,lemelamedluidit :—Écoute, Herz,aussitôt
quetuauras apprisAleph etBeth, un angete jetteradu
plafond ungroschen (sou).
Cela,lebocher (petitgarçon)lecomprit ;seulement,à
partirde cemoment,aulieuderegarderdans sonlivre, ilne
détachaitplus sesyeuxduplafond,attendantle groschenla
boucheouverte.Enin, lemelamed, à boutderessources,
eutrecoursàun moyen plusdrastique : ilplongea sesdoigts
danslagrandetabatièrequisetrouvaitsurlatable, bourra
lenezdupetitHerzd’une forteprise detabac, etlepoussa
souslatable,oùdéjà deuxautres petitsgarçonsenduraient
lemêmesupplice.Chaque fois qu’enbasunéternuement
désespérése faisaitentendre, lemelameds’écriait: -Ávotre
santé !Et toutle cheder répétaitavec lui : -Ávotresanté !
MaisHerzavait toujoursl’espritbouché.Il fallutbeaucoup
detemps pourluiapprendre l’alphabet.Unjour, lemelamed
déclara que le bocher n’avaitpasunetêteorganiséepour
l’étude, etlerenvoyade l’école.
*
* *
C’estainsiqueHerzentradanslemagasindeson père,
etque, leTsadiq retirantde luisa main puissante, il devint
prosteck.Envraiprosteckqu’il était, ilprit une femme
sansdot, eut une douzaine d’enfants, etmalgrésonlabeur
incessantetl’espritde commerce dontil étaitdoué, il lutta
toutesavie contre les soucisde la misère.
Celaletouchaitpeuque lesChassidiml’appelassent
unchamer (âne)et un schlemil(hommemaladroitet
malheureux),puisqu’ilnesesentaitpascoupable d’un seul
Hiloul hachem (délitcontreDieuoulaloi).Était-cesa
fautesi leriech(diable)etle dallès (misère) s’étaientdonné
rendez-vouschezlui?

7

Il habitaitavec sa familleunepetitemaison dontles murs
lézardés étaientétayés pardes poutres.Là,une grandepièce
étaitdivisée endeuxparune ligne à lacraie, comme les
États sontséparésentre eux,surlacarte,pardesfrontières
marquéesencouleur.
D’uncôté demeuraitHerz,avecsafemmeJudke,saille
Riffke etses autresenfants.Endeçà de laligne logeaitle
tailleurSadouelPietrouschka,avecsavieillemère,sonils
Gédéon, etsonbeau-père, letalmudisteRebJascher.
Herzendurait toutavecpatienlece :sescarmouchesde
frontièreavecSadouel, lafuméeque lepoêlerépandait
danslachambre, la pluiequitombaitdetempsàautrepar
leplafond, la nourriture insufisante, lemanque d’habits,
enintout.Deuxchoses seulementle chagrinaient: d’abord,
denepouvoirtrouverun maripour saRiffke,si jolie et
sispirituelle;puis,qu’elleseprésentât toujours
siverschmuddelt(négligée).
Ilauraitaimé à l’habillercommeuneprincesse,oudu
moinscomme lafemme d’ungentilhommepolonais.
Mais rien nepouvaitaltérerlabonne humeurdeRiffke.
Elle chantait toute lajournée, carellenepouvait travailler
sanschanter, etelletravaillait toujours.Tandis qu’elle
reprisaitsonlinge grossier,au-delà de lafrontière,Gédéon
étaitassis surlatable, lesjambescroiséescommeun pacha,
et tiraitaussi l’aiguille;seulement, c’étaientdesétoffes
superbes, de la soie, du veloursetdestissusturcs qu’il
maniait, etdontil composaitdeschefs-d’œuvre detoilettes
féminines.
Peuàpeu, lesjeunesgenscommencèrentà échangerune
parole,puisunephrase, eteninGédéonessayaderivaliser
avecRiffke;chaque fois qu’elle interrompaitsonchant, il

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commençaitànarrer, donnantcommehistoiresvraiestout
cequ’ilavaitludanslesvolumescrasseuxducabinetde
lecture.Unjour, c’étaitLe Comte de Monte-Cristo,ouLa Fille
ducapitaine,uneautre foisleVisionnaire.
Et, chaque fois qu’ilavait terminéquelquesuperbe
kazabaïka,ouquelquemanteauroyal, il invitait Riffke à
essayercettemerveille; touslevaientalorslatêtepour
l’admirer, et RebJascherlui-mêmeoubliait uninstantson
Talmud.
*
**
-Savez-vous,Herz, cequ’il fautfaire?dit RebJascher
toutà coup,unenuitquetousvenaientdese coucher.
-Que faut-il faire?
-Il fautquevousessayiezdetenterlafortune,aind’avoir
une dotpourvotreRiffke.
-Est-cemafaute,s’écriaHerz,si j’ai dumalheurentout?
Y a-t-ilune bêtise de faite àSadagoura,on nemanque jamais
de la mettresur moncompte.Quelqu’unfait-ilquelque
chose demal, c’estencoreHerz Machel, cescélérat,qui est
le coupable.Pourquoi faut-ilque jesoistoujoursle coqde
Caporé(bouc émissaire)detoutlemonde?
-Vous avezraison,Herz,réponditlevieillard, etc’est
pourquoi jeveux vousdonnerunbonconseil. C’est
aujourd’hui la nuitde laHoschanaRaba,oùchacun peut
tenterlesort.Levez-vous,nous allonscherchertrois
numérosdansleTalmud.
Herzse levaetitde lalumière.
-Donnez-moi le livre.Herzl’apporta, et RebJascher,
sans quitter sacouchemisérable, l’ouvrit, lesyeuxfermés.

9

-Regardezla page !
- C’estla pagetrente et un.
- Ehbien ! écrivez trente et un.
Levieuxouvrit denouveauleTalmud.
-Etàprésent?
-Sept.
-Écrivezdoncsept ;etcette fois ?
-Quatre-vingt-cinq.
-Écrivezquatre-vingt-cinq;maintenant,vous avez trois
numéros:31,7, 85.Ces numéros,vousles mettrezdemain
à laloterie,seccoternoterneseul, et vousengagerezdix
lorins.
-Mais où trouverdixlorins ?
-Il fautquevous les empruntiez,Herz ;l’argentemprunté
porte bonheur.
HerzMachelallale lendemainà lacampagne,pour
livrerà lachâtelaineBistonickadifférentes

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