Conversation avec un samovar
135 pages
Français

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Conversation avec un samovar , livre ebook

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Description

A partir de trois objets laissés par sa grand-mère, un billet de un dollar, un malika, un samovar, Lucia, architecte d'intérieur, réinvente l'histoire de Martha et de ses enfants, entre les années 1920 et 1940; des voyages transatlantiques à la confrontation avec la mort et l'extrême souffrance dans la salle commune d'un hôpital militaire, la conquête d'une nouvelle vie dans le Paris de l'entre-deux-guerres, se tisse une toile de fond plus universelle. Les objets témoignent autrement que le discours. L'ambiance qui en émerge, la narration qui en est faite nous invitent à porter un autre regard sur nos comportements, nos réactions, nos stratégies de vie.

Sujets

Informations

Publié par
Date de parution 01 février 2005
Nombre de lectures 298
EAN13 9782336266848
Langue Français

Informations légales : prix de location à la page 0,0500€. Cette information est donnée uniquement à titre indicatif conformément à la législation en vigueur.

Extrait

© L’Harmattan, 2004
9782747574211
EAN : 9782747574211
Sommaire
Page de Copyright Page de titre Ouvrages du même auteur Prologue Le billet de un dollar Le makila Le samovar Épilogue
Conversation avec un samovar
Objets et Sentiments : Quel Héritage Familial ?

Yveline Rey
Ouvrages du même auteur
Rey Y. La thérapie familiale telle quelle... De la théorie à la pratique. ESF éditeur, Paris. 1983.
Rey Y., Prieur B. Systèmes, éthique, perspectives en thérapie familiale. ESF éditeur, Paris. 1991.
Caillé P. et Rey Y. Il était une fois...La méthode narrative en systémique. ESF éditeur, PARIS. 2 è édition 1996.
Caillé P. et Rey Y. Les objets flottants : méthodes d’entretien systémiques. Éditions FABER, Paris. 3 è édition 2004.
Toutes les familles ont besoin d’une histoire. Toutes les familles cherchent une histoire à se raconter. Une histoire qui témoigne du passé, des expériences vécues. Bref, une histoire qui inscrive ses membres dans une appartenance.
Mais pas seulement, Une histoire aussi pour organiser le monde d’aujourd’hui. Donner un cadre, transmettre savoirs et savoir faire. Apprendre des codes, justifier les rites et surtout vivifier les liens. Une histoire en somme pour préparer le monde de demain. À chacun de trouver ou de s’y faire une place, de jouer sa partition, De composer sa propre mélodie. Mais ce n’est pas toujours simple, Parfois il faut changer d’histoire.
L’important n’est pas tant que l’histoire soit vraie. Les histoires de famille sont toujours vraies et fausses à la fois. L’important c’est qu’il y ait une histoire, Et qu’elle soit suffisamment lisible. Ainsi chacun pourra, à sa guise, se l’approprier, la continuer, La modifier, la réécrire, en inventer de nouvelles, Ou tout simplement tourner la page.
Conversation avec un samovar est une histoire de famille possible, Et je l’espère lisible.
Yveline Rey
Prologue
Le samovar était là sur l’étagère.
D’aussi loin que remontaient ses souvenirs, il avait toujours été là. Sur une commode, sur une table basse et maintenant sur l’étagère. Le samovar était un des rares objets que lui avait légués sa grand-mère. Certains d’entre eux gardaient trace de cette odeur poudrée, si raffinée et caractéristique de Martha. Pourtant elle n’avait été riche que des fabuleuses histoires de ses lointains voyages et d’une vie en montagnes russes.
Le samovar était là, terne, recouvert de la patine des temps mais aussi d’années poussières.
Un jour, sans trop savoir pourquoi, Lucia y passa un chiffon. Intact se mit à luire l’éclat de l’argent, encore un effort, il deviendrait miroir. Les mois passaient, il lui semblait que parfois le samovar se manifestait plus qu’à l’ordinaire, elle recommençait la cérémonie du chiffon.
Peu à peu ces moments passés en tête-à-tête avec le samovar devinrent des rituels d’une intense concentration mais qui lui procuraient également une totale évasion.
Le samovar lui parlait du temps, surtout du temps qui coule. Des temps anciens certes, mais aussi du temps présent, du temps à venir. Il dessinait une sorte de fil d’Ariane en pointillé où les blancs occupaient infiniment plus d’espace que le noir des traits.
En fait, le samovar sous les coups de chiffon laissait échapper les bribes d’une histoire, sourdre cette émotion si singulière du jamais plus qui surgit quand le vivant se heurte à la finitude d’un passé révolu.
C’est ainsi que commença la conversation entre Lucia et le samovar. Quand elle eut enfin la curiosité de le retourner pour déchiffrer avec peine les signes gravés sous la théière, elle sut que cette conversation avait commencé bien avant elle. En fait, elle découvrirait assez vite qu’elle n’était qu’une invitée tardive, une interlocutrice de passage parmi d’autres. Elle était entrée dans la danse sans en connaître la chorégraphie. Comme chacun d’entre nous, elle avait peu à peu appris les pas qui lui permettaient d’y participer. Mais ces quelques objets légués par Martha allaient apporter un autre éclairage à sa participation à ce ballet si familier et pourtant bien mal connu.
Le premier échange avec le samovar l’emplissait de respect et d’humilité, il était tellement plus vieux qu’elle et pourtant, sans aucun doute, il lui survivrait. Cette conversation cependant n’avait rien d’anodin, les phrases allaient en relier d’autres et ainsi se tisserait l’histoire ; ainsi peu à peu s’ébaucherait le dessin du canevas. Celui qu’on appelle, par défaut d’un terme plus précis, un destin ou une destinée.
Au fur et à mesure que s’engageait le dialogue avec le samovar, elle eut la curiosité de s’intéresser aux autres objets posés çà et là et qui vinrent se glisser, à leur tour, dans la conversation. Tels des miroirs turbulents, ils renvoyaient l’image d’un paysage incertain, déformé, parfois estompé. Et c’est dans cette estompe que s’installait le mystère, que fleurissaient les questions, que gambadait l’imagination.
Ces quelques objets résonnaient des joies et des drames d’une vie ordinaire sans pour autant être banale, de toutes façons, d’une vie humaine unique. En fait, pendant longtemps, Lucia n’avait pas su les voir tant ils faisaient partie du quotidien d’un univers familier. Pourtant son métier d’architecte d’intérieur la conduisait à rechercher, à travers le monde, des bibelots anciens ou des œuvres originales de créateurs contemporains. Elle n’avait jamais, jusqu’à ce contact physique, presque charnel, avec le samovar, fait de lien entre sa profession actuelle et son intérêt soudain pour ces objets laissés par Martha. C’est la perte d’autres êtres chers, la condensation de l’absence, qui les avaient rendus visibles et peu à peu lisibles. C’était aussi une remarque anodine : « que vas-tu faire de ces vieilleries ? » qui tout à coup, paradoxalement, les lui rendirent précieux.
Pêle-mêle on pouvait trouver ça et là :
Sur le chiffonnier en merisier de la chambre, une cassette en bois dont la laque noire était largement écaillée. La cassette contenait des photos anciennes, des cartes postales écornées, aux couleurs ternies mais surtout sur le dessus de cette pile hétéroclite un billet d’un dollar, plié en deux et tout aussi défraîchi.
Dans la potiche en céramique de l’entrée, une canne en bois de néflier, plus exactement un makila, bâton traditionnel basque, qui disputait depuis des années sa place au milieu de parapluies de toutes formes et de différentes tailles. Il avait bien failli disparaître dans les déménagements successifs. Et puis maintenant sur une étagère, le samovar qui à chaque passage du chiffon retrouvait un peu de sa splendeur.
Il fallut un certain temps à Lucia pour réaliser que ces objets étaient liés par un fil qui resterait mystérieux et peut-être redoutable tant qu’elle n’interrogerait pas la mémoire des quelques personnes encore en vie et qui avaient connu Martha ; tant qu’elle n’irait pas à la recherche d’autres indices. Mais surtout tant qu’elle se refuserait à penser qu’elle avait quelque chose à voir avec cette histoire ou pire, que sa vie n’était qu’une sorte de chapitre d’un récit qui continuait de s’écrire au gré des générations. Ces objets devenaient alors des sortes de témoins, silencieux et néanmoins bavards, qui faisaient surgir de l’ombre d’étranges coïncidences et des surimpressions plus ou moins inattendues.
Il ne s’agissait aucunement pour Lucia d’envisager une simple détermination du passé sur le présent. Mais la fréquentation des antiquaires avait contribué à développer chez elle une curiosité qui, simultanément, la rapprochait et l’éloignait des choses. Par les objets, elle avait appris à se familiariser avec certains usages et singulières coutumes de pays lointains, à découvrir des légendes oubliées. En même temps, ces objets qui donnaient plus à voir qu’à entendre, faisaient office de médiateurs dans cette exploration de mondes plus ou moins connus. Ils focalisaient l’attention sur leur forme, leur étrangeté, leur esthétique et simultanément introduisaient un recul qui permettait d’acquérir une vision d’ensemble plus globale.
Le billet de un dollar tout fripé et sur lequel était inscrit à l’encre bleu délavé un encor

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