Corps étranger
155 pages
Français

Corps étranger , livre ebook

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155 pages
Français

Description

Thomas est un homme fragile dont l'enfance est marquée par les silences, les manques, une part de solitude. Il lutte pour s'extraire de l'écorce familiale. Sa rencontre avec un jeune homme brillant s'impose comme une parenthèse enchantée. Elle convoque des souvenirs, elle doit lui permettre de devenir autre, de combler ce vide. Sa vie en est bouleversée, désorganisée. Toujours lucide, il sombre dans une obsession amoureuse faite de petites humiliations et d'espoirs sans cesse entretenus.

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Informations

Publié par
Date de parution 05 octobre 2017
Nombre de lectures 1
EAN13 9782140048913
Langue Français
Poids de l'ouvrage 2 Mo

Informations légales : prix de location à la page 0,0650€. Cette information est donnée uniquement à titre indicatif conformément à la législation en vigueur.

Extrait

Pascal FrancèsVanson
Corps étranger
/ Littérature
Rue des Écoles
Roman
CORPS ÉTRANGER
Rue des Écoles Le secteur « Rue des Écoles » est dédié à l’édition de travaux personnels, venus de tous horizons : historique, philosophique, politique, etc. Il accueille également des œuvres de fiction (romans) et des textes autobiographiques. Déjà parus
Dalstein (Joseph),Faites entrer le coupable, roman, 2017. Duhamel (Philippe),Des fleurs sur une tombe, roman, 2017. Diaz (Claude),Les blessures de l’absence, roman, 2017. Berchmans (Nijimbere),L’école anormale de Kiremba, récit, 2017. Bélard (Paul),La course des érables, roman, 2017. Victor (Michèle),Nous, les enfants de Diogène,roman,2017. Lauze (Frédéric),Téchouva, roman, 2017. Fouque (Philippe),Je viendrai tôt demain matin, roman, 2017. De Ridder (Guido),Les poches pleines d’enfance, récit, 2017. Perriard (Franck),Le retour des Brûleurs de loups, roman, 2017 Paton (Laurence),Quitter les lieux, récit, 2017. Charvet-Bernard (Christiane),une aube encore barbouillée de Comme nuit, roman, 2017. Ces douze derniers titres de la collection sont classés par ordre chronologique en commençant par le plus récent. La liste complète des parutions, avec une courte présentation du contenu des ouvrages, peut être consultée sur le site www.harmattan.fr
Pascal Francès-Vanson Corps étranger Roman
© L’Harmattan, 2017 5-7, rue de l’École-Polytechnique, 75005 Parishttp://www.editions-harmattan.fr ISBN : 978-2-343-13085-9 EAN : 9782343130859
Pour Bruno
1  Depuis plus d'une heure, je goûte au plaisir de la réclusion volontaire. Une nouvelle fois.  Ma main frôle délicatement le sol duveteux dans un geste machinal. La pulpe des doigts, un peu sèche, s'accroche par endroits aux boucles synthétiques de la moquette. À l’intérieur du placard, elle a toujours été plus douce, presque intacte, jamais foulée par les semelles de chaussures lourdes et sales. Parfois, j’utilise le dos de la main : la caresse est lente mais le contact réchauffe la peau. Si j’insiste, si j’accélère, le contact devient brûlure.  Un rai de lumière crue et rasante passe sous la porte et éclaire le relief délicat des fibres emmêlées. Une canopée bleu ciel 100 % viscose. L'odeur de propre est rassurante. La poudre pour moquette s'est incrustée dans les replis avant d'être soigneusement aspirée. Le spot de pub promet une tempête de fleurs blanches qui s'insinue jusque dans les narines, miracle de la chimie. Je pense aux molécules en suspension, je les sens m’imprégner, me pénétrer traîtreusement.  Si je lève les yeux vers le plafond, le noir est presque complet. Je scrute l’ampoule nue. Assis par terre, jambes repliées, le réduit d'1m50 sur 1m50 paraît profond. Un ascenseur à l’arrêt, en équilibre. Un puits, sec, ordonné, assaini, mais un puits quand même. On ne peut pas s'allonger mais on peut étendre les jambes. Le dos plaqué dans le recoin inutilisé, je perçois la présence
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des vêtements pendus ou pliés, des boîtes, des bagages empilés. Vus d'ici, ils ne semblent appartenir à personne, occupant simplement l'espace, le densifiant. Parfois, il m’arrive de tirer le câble de la télévision et de poser l’écran contre les boîtes à chaussures, calé par le relief de la moquette. Je laisse le monde s’insinuer dans le placard.  Je repense à ce grand magasin toulousain où j’ai volontairement échappé à la surveillance de ma mère, à quatre ou cinq ans, peut-être six. J’ai passé un long moment assis sur l'étagère inférieure d'un rayon, le dos calé bien au fond contre le métal froid et laqué, masqué par les pans des robes de chambre et des chemises de nuit en pilou. Univers molletonné, rose et bleu pastel. Escarpins, bottes, ballerines : j’ai regardé passer les pieds des clientes, partagé entre l'excitation de la fugue et la peur d'être grondé. La chute de l'histoire, je ne m'en souviens pas. Y a-t-il eu une gifle ?  J’ai parfois le sentiment d'être resté calfeutré depuis tout ce temps parmi les vêtements suspendus.  Depuis, je me suis accordé de nombreuses fuites : des appartements minuscules, des chambres closes, d'autres placards, lumière éteinte, des cabines de vestiaire, d'essayage, de douche, de sauna, des toilettes de train. Longtemps, j’ai passé la nuit sous les draps. Un long jeu de cache-cache sans partenaire, d'étranges parenthèses un peu folles mais maîtrisées.  De l'autre côté de la porte, Éric Satie s’épuise au piano et rompt le silence de l’appartement.  Depuis quelques semaines, je l’ai entièrement aménagé, jusque dans le moindre recoin, dans l'urgence de la nouveauté, pour apprivoiser au plus vite la rupture. Petit univers impeccable de maîtrise et de bon
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goût. Il a fallu laisser Romain sur le bord de la route. Une relation de deux ans ponctuée de silences et de dérives. Nous n’avons plus rien à nous dire, ou si peu. Aucun projet en attente, aucune palpitation commune. Sa présence me manque encore, par poussées, mais j’aime cette indépendance retrouvée, cette solitude consentie. Pour le moment. e  Le déménagement vers le XI arrondissement s’est fait rapidement. Romain m’a aidé à fermer les cartons et en deux jours tout était plié. J’ai acheté quelques nouveaux meubles soigneusement choisis, déballé les dizaines d’objets qui me suivent dans tous mes exodes : des livres, des boîtes, des carafes. Passion pour les contenants, pour les cavités et les replis secrets.  Dans ma cage adorée, je sais la ville tout autour. Son mouvement perpétuel s’impose, son grognement continu de bête endormie me rassure, son énergie me contamine parfois. Cœur, artères, circulations, poumons verts, personnifications que la littérature a célébrées, épuisées. Paris est un organisme vivant dont la complexité me fascine et m’effraie, depuis l’enfance. Dans l’espace confiné du placard, je deviens un atome environné de matière.  Mélodie nasillarde du téléphone. Le message préenregistré du répondeur concurrence Satie. Je reconnais la voix de ma mère, à son timbre, à ses inflexions, à son débit. Le discours est étouffé par la distance et l’épaisseur de la porte. Je crois comprendre qu’il est question de mon père, de nourriture, de préoccupations domestiques, de visites chez le médecin. Je m’accorde quelques minutes encore.
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