Ecoute-moi, je suis la Reine
206 pages
Français

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Ecoute-moi, je suis la Reine , livre ebook

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Français

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Description

Marianne et Angélique, la fille et la mère... Marianne, la soixantaine, semble bien dans sa vie, avec l'homme qu'elle aime et une famille joyeuse qui se recompose souvent autour d'eux, dans leur grande maison villageoise du Val de Loire. Angélique est morte depuis longtemps et Marianne la croyait à jamais sortie de sa propre vie. Elle décide pourtant un jour de répondre enfin aux questions si souvent éludées. Qu'est-ce qui les a toujours séparées, sa mère et elle ? Pourquoi son enfance en a-t-elle été saccagée ?

Sujets

Informations

Publié par
Date de parution 01 mai 2009
Nombre de lectures 179
EAN13 9782296926288
Langue Français
Poids de l'ouvrage 9 Mo

Informations légales : prix de location à la page 0,0800€. Cette information est donnée uniquement à titre indicatif conformément à la législation en vigueur.

Extrait

Écoute-moi, je suis la Reine
© L’Harmattan, 2009
5-7, rue de l’Ecole polytechnique, 75005 Paris

http://www.librairieharmattan.com
diffusion.harmattan@wanadoo.fr
harmattan1@wanadoo.fr

ISBN : 978-2-296-07989-2
EAN : 9782296079892

Fabrication numérique : Socprest, 2012
Marie Clavelier


Écoute-moi,
je suis la Reine


Roman


L’Harmattan
Pour Gérard
et pour tous les hommes de ma tribu, grands et petits,
qui participent au bonheur de ma vie d’aujourd’hui,
cette histoire qui raconte surtout les femmes.
Chapitre 1
9 janvier
D éprime de janvier, aussi fidèle au rendez-vous que les gastros de la Saint-Sylvestre… Inévitable spleen de l’Épiphanie…

Les lumières se sont éteintes…
Les échos des rires, des cris joyeux, des grandes palabres de coin du feu semblent encore s’attarder aux détours de la maison.
Mais les traces de la tribu se sont doucement effacées, comme les empreintes de petits doigts dans la buée des vitres que je n’ai pas encore faites.
Les rallonges de la grande table ont rejoint leur coin de grenier et j’ai vu filer ce matin dans l’aspirateur les derniers cheveux d’anges scintillants qui s’accrochaient encore au tapis.
Et puis voilà que le cœur se pince bêtement au moment de déposer le sapin encore bien vivant près de la poubelle…

Pourquoi ?
Pourquoi ne puis-je chaque année m’avouer sans honte que je détestais me lever aux aurores, et que je préfère traîner avec un bouquin sur le canapé plutôt que de cuisiner pour le régiment tout en m’obstinant stupidement à ranger la maison soufflée par la tornade ?
Et janvier n’est-il pas aimable, en ces jours de si mauvais temps que l’on peut enfin hiberner sans vergogne dans la maison bienveillante et douce ?
Alors voilà, j’ai rejoint la pagaille de mon minuscule bureau surchauffé, niché sous les toits : avec ses livres empilés sur le divan, ses photos en fouillis sur les étagères et les grandes taches bariolées des dessins d’enfants punaisés au mur, il me rassure, et j’y retrouve avec gratitude sa bonne odeur de tanière. Puis en cette fin d’après-midi, n’est-ce pas sous le Vélux que le jour en partance oubliera le plus longtemps sa lumière ?
J’entends le piano en bas : Louis compose sans relâche depuis le début de l’après-midi… Je pense soudain à cette chanson d’hiver de Vigneault que j’écoutais si souvent dans une autre vie, à une époque où l’amour était dehors, et qui me faisait rêver :

J’ai rentré le bois mis le contrevent …
Le froid peut coller son nez sur la porte
Il n’entrera pas la place est trop forte
L’amour est dedans … l’amour est dedans.

Pourquoi alors cette sensation de vide, cette angoisse vrillante qui ne veut pas me quitter ? Je tends la main pour attraper mes lunettes ; puisqu’il faut bien se résigner à en porter pour lire et taper, j’ai fait enfin refaire à ma vue celles des derniers mois de ma mère, oubliées depuis quatorze ans, depuis sa mort en fait, au fond d’un tiroir dans leur bel étui rouge. C’est vrai qu’il y a quatorze ans, et sans doute jour pour jour… Et que j’avais donc oublié pour la treizième fois ; je n’ai jamais su commémorer, il faut bien l’avouer.
Il n’est que cinq heures et demie de l’après-midi et le ciel s’assombrit comme s’il allait neiger. Mais non, c’est simplement la nuit qui s’annonce et je vais allumer. Le piano vient de se taire en bas : Louis s’offre une récréation. Il a dû aller chercher du bois pour la cheminée car j’entends brièvement ronronner la tronçonneuse du côté du bûcher. Il ne lui reste donc plus, comme disait la chanson, qu’à mettre le contrevent et je le lui dirai !
Quand me déciderai-je enfin à écrire sérieusement, à aller voir une bonne fois du côté de ce qui m’attend depuis si longtemps et que je remets lâchement de jour en jour au surlendemain ? Je sais bien pourtant qu’il le faudrait.
Pas le temps … Trop de choses agréables à faire … Pas envie … Trop dur pour moi … Et puis, de toute façon, je suis trop vieille …
Ouais… Je vais faire glisser le volet du Vélux, presque aveugle cette fois, sur la nuit qui tombe pour de bon et me démoralise définitivement. Un coup d’œil sur les lumières du village qui scintillent à peine dans la brume et rappellent tout de même qu’il subsiste un soupçon de vie dans ce néant…

… Je n’ai pas eu le temps de prendre un livre… Une bonne odeur derrière moi de terre mouillée, de forêt à champignons et de feu de bois : c’était Louis avec sa grosse chemise écossaise qui se veut canadienne, les cheveux tout hérissés d’humidité. Il m’a prise par la main, me trouvant tristounette, comme il dit, et m’a entraînée en bas jusqu’au vieux canapé, devant la cheminée où le bois s’était remis à crépiter. Sur la petite table, dans les larges bols en faïence à cerises qu’il était allé dénicher tout au fond du placard de la cuisine, fumait un beau vin chaud embaumant la cannelle et l’orange.
Je me suis emparée de mon bol pour l’admirer, le humer et m’y réchauffer les mains et j’ai dit à Louis en me nichant à son côté que, oui, c’est vrai, l’hiver a du bon.

Mais l’angoisse lovée dans ma poitrine comme le renard du petit Spartiate me dévore toujours le cœur. Encore et encore.
Pourquoi ?
Qu’est-ce que j’ai aujourd’hui, moi ?
Elle
D’abord ma mère, bien sûr.
Ma mère centre du monde. Car tout alors gravitait autour d’elle.
Soleil éblouissant. Source de toute lumière comme de toute ombre.
Rires, éclats de joie, chansons.
Tout en elle était solaire et je vois bien que son souvenir éclaire encore cette nuit.
Cette blondeur resplendissante et ce teint clair : la seule blonde des cinq enfants Bardin…
Cette peau de blonde qui ne bronzait pas mais se dorait de taches de rousseur… Souvenir de ses bras de jeune femme et de leur duvet doré, dans les étés à robes légères.
Et ces yeux d’un vert très clair, à la fois lumineux et transparent, vert d’eau limpide et d’herbe fraîche, vert un peu inquiétant des yeux de chats…

Amour étonnamment charnel, comment en eût-il été autrement ? Aucun souvenir de peau à peau, de corps à corps, de caresses et de douceur. Des baisers distraits du soir et du matin, de bonjour et d’au revoir, c’est tout. Et encore ne les a-t-elle pas tous donnés.
Fascination affamée du tout petit enfant frustré pour ce corps si doux, si voluptueux qui échappait toujours à sa tendresse. Comme il échappait à mon malheureux père…

D’abord la splendeur solaire.
Puis s’avance la Reine des Neiges.
La Sorcière Blanche du monde caché. Celle qui transforme le bel été en hiver désolé. Qui fige dans la pierre, d’un seul regard, ceux qu’elle n’aime pas, ceux qui osent l’affronter.
C’est ainsi. Le silence de mort. Le regard qui, vous traversant comme invisible, vous fait douter de votre existence même, longtemps, souvent, parfois pendant des jours et des jours interminables et désespérants. La terre se prend dans les glaces… Froid. Tremblements de froid. Abyssale solitude.
Dans un rêve qui s’emparait de l’image d’un oiseau tombé du nid dans la journée, je deviens cet oiseau, trop petit pour se sauver en s’envolant, abandonné à la solitude et au désespoir, à jamais perdu…

Comment concilier ces deux images que je ne puis dissocier : le soleil rayonnant et la Reine des Neiges ? C’est que ce rayonnement n’apportait pas la vie, mais la stupeur. C’est aussi que j’étais parfois écartée du soleil, jusqu’à l’ombre qu’il n’atteignait pas.

Mystère de ma mère. Que j’ai tant aimée, petite, d’un amour inconsolable. Que j’aime encore, sans doute puisque j’éprouve soudain ce besoin désespéré de me retourner et de comprendre.
Je me croyais libérée, et je ne le suis pas…


10 janvier
Tandis que Louis dormait tranquillement à côté, je me suis relevée et je suis venue ici cette nuit pour écrire ce qui précède.

J’aurais dû dire aussi qu’elle portait un doux petit

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