La lecture à portée de main
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Description
Sujets
Informations
Publié par | L'Harmattan |
Date de parution | 01 avril 2011 |
Nombre de lectures | 81 |
EAN13 | 9782296802834 |
Langue | Français |
Informations légales : prix de location à la page 0,0700€. Cette information est donnée uniquement à titre indicatif conformément à la législation en vigueur.
Extrait
Le faiseur de pluie
Espaces Littéraires
Collection dirigée par Maguy Albet
Dernières parutions
Lucile DESBLACHE, La plume des bêtes. Les animaux dans le roman, 2011.
Elizabeth LEGROS CHAPUIS, Le Mexique, un cas de fascination littéraire au pays des chiens morts, 2011.
Claude FRIOUX, Le Chantier russe. Littérature, société et politique. Tome 2 : Écrits 1969-1980, 2011.
Najib REDOUANE, Yvette BENAYOUN-SZMIDT (dir);° L’œuvre romanesque de Gérard Etienne. E(cri) ts d’un révolutionnaire, 2011.
Fabrice BONARDI (sous la dir. de), La nouvelle Georges Sand , 2011.
MD. SHELTON, La révolution imaginée. Haïti et les autres, 2011.
Mireille NICOLAS, Henri Bosco, Le Mas Théotime, 2011.
Nathalie DE COURSON, Nathalie Sarraute, la ¨Peau de maman, 2010.
René AGOSTINI, Théâtre poétique et/ou politique ?, 2010.
Joëlle BONNIN-PONNIER, Les Goncourt à table, 2010.
Christine LARA, Pour une réflexion xommuno-culturelle de la lecture , 2010.
Bernard POCHE, Une culture autre, La littérature à Lyon, 1890-1914, 2010.
Lalie SEGOND, De la déficience: représentations, imaginaire, perceptions du handicap dans la littérature contemporaine , 2010 ;
Claude FRIOUX, Le Chantier russe. Littérature, société et politique. Tome 1 : écrits 1957-1968, 2010
Céline GITON, Littératures d’ailleurs. Histoire et actualité des littératures étrangères en France, 2010.
Hassan WAHBI, La beauté de l’absent , 2010.
Claude HERZFELD, Paul Nizan, écrivain en liberté surveillée, 2010.
Manuel Garrido Palacios
Le faiseur de pluie
Roman
Première édition © Calima , Ed. Palma de Mallorca, 2006.
Traduit de l’espagnol
par Isabelle Toledo et William Rozenblat
Photograf ì e : Héctor Garrido
© L’Harmattan, 2011
5-7, rue de l’Ecole-Polytechnique, 75005 Paris
http://www.librairieharmattan.com
harmattancam@yahoo.fr
harmattan1@wanadoo.fr
ISBN : 978-2-296-54340-9
EAN : 9782296543409
Fabrication numérique : Socprest, 2012
Ouvrage numérisé avec le soutien du Centre National du Livre
À Noé, Iván, David, Leo, Violeta
À sa mort, il livra son âme au vent ;
parmi les morts
sa piété fut récompensée
et après la mort, il retrouva la lumière.
Epigramme funéraire grec
La pluie tombe. Il pleut,
Interminablement, depuis l’aube.
On ne voit plus ni le ciel ni la terre,
Seulement l’eau.
Silence.
Que dire
sans qu’elle imprègne tous mes mots ?
Portrait à la hâte
José Manuel de Lara
Je ne passerai pas outre ce que
mon pauvre entendement me permet de dire,
car Il sait bien donner à chacun
tout ce dont il a besoin
pour son salut.
Guzman de Alfarache, I, II, IV.
Mateo Alemán
… Tante Carmélita répétait tous les soirs en se couchant qu’aujourd’hui avait été disciple d’hier et maître de demain. Quelquefois elle ajoutait pour qu’on retienne bien la phrase : « C’est comme si je disais : passer du sentier battu à la zone douteuse », et pour finir elle gémissait après un soupir : « Malheureux le solitaire qui n’a personne pour le relever ! ». C’était son rituel quotidien avant les prières qu’elle avait l’habitude de dire sur un vieux prie-Dieu ramené de l’église pour le faire réparer par oncle Wenceslao et qu’elle n’avait jamais rendu. Voilà ce qu’elle disait, Tasio : « Malheureux le solitaire qui n’a personne pour le relever ! ». C’est sûr que si elle nous voyait ici tous les deux, elle échangerait son dicton pour cet autre : « Malheureux le dernier qui n’a personne pour l’enterrer ! ». On savait que c’était des mots tirés de son Hymnaire mais quand c’était elle qui les disait, on les aurait crus sculptés dans l’air transparent d’Herrumbre {1} . Le matin, elle chantait :
Dans ton envol, gente hirondelle,
te voilà au-dessus de tout,
n’oublie pas que depuis le ciel
tu ne fais sur terre pas plus d’ombre
que la plus fine des ombrelles.
Ma mémoire se pose sur le village alors que revient, inutilement, l’heure de l’Angélus, celle prévue pour mon enterrement, Tasio, mon ami. Le dernier acte achevé, on est moins que rien ; moi, enfermé dans le cercueil des ténèbres ; toi, mort sur ta chaise de paille. Moi qui ai eu tellement de peine de te laisser sans une main qui puisse t’enterrer quand les miennes te manqueraient, voilà que la mort nous a emportés tous les deux, sans un amen miséricordieux. Ah, Tasio, personne ne viendra fleurir notre tombe commune, cette maison ! Y’a pas de doute : toutes les morts sont la mort et plus encore ici, où même la solitude se sent seule ! Je sais bien que ça sert pas à grand-chose que je m’obstine à communiquer avec toi puisque tu ne me réponds pas. Si la nuit où tu m’as veillé, tu n’as pas poussé le moindre soupir pour te soulager, comment pourrais-je prétendre que tu dises quoi que ce soit, maintenant que tu ne respires plus, dans ce village d’Herrumbre, notre tombe ? Tu vois, Tasio, que tu m’écoutes ou pas, je veux te dire que quand je suis mort, j’ai eu la sensation d’arriver dans un endroit où j’étais déjà venu, comme l’impression de retourner quelque part, sans pouvoir préciser à quel endroit. Tante Carmélita se soulageait, à chaque fois qu’elle sentait son âme craquer : « Si ce n’était pas faire offense à Dieu, j’aimerais ne pas être née ». Est-ce qu’elle voulait dire ne jamais être partie de cet endroit-là pour ne jamais devoir y revenir ? Remarque que moi, je pensais la même chose quand je me demandais à moi-même pour quoi j’étais venu au monde, pourquoi à Herrumbre et pour quelle raison j’ai vécu à errer entre ces murs, pendant presque un siècle jusqu’à ce que la malchance me fasse tomber dans le Lessif, comme on fauche un épi. Lessif, ça te fait pas penser à délaisser, à marécage, à lessivé ? À l’enfer ça fait penser, oui ! Comme si ça n’était pas suffisant, voilà encore une chose que je ne sais pas : à quoi ça fait penser, Lessif. Le savoir, c’est la goutte qui reste après avoir bu la vie. S’il y a une chose que je crois savoir, c’est que je ne suis plus qu’une mémoire où un rêve même ne trouverait plus place. Le Livre du Sage disait que « tout ce qui entre par les portes des sens, passe par la douane de la raison ; là tout est contrôlé ; c’est elle qui examine, juge, disserte, conclut et tire la quintessence des vérités ; elle avale en lisant, elle dévore en regardant, elle rumine en méditant, elle réduit les objets en menus morceaux, en révèle le moindre détail… ». Ce travail de mémoire qui est le mien n’est qu’un bilan hâtif, sec, une fois gommée la limite de ce quelque chose entre deux riens qu’a été la vie. Toi, tu as vécu un brin plus que moi ; juste assez pour me fermer les paupières et éteindre ma lumière ultime. Et après, qu’est-ce qui t’est arrivé ? Une fois assis, là, tu n’as pas levé la tête de toute la veillée. T’étonne pas que je désire la même chose que tante Carmélita : ne pas être né. C’est sûr que j’aurais pu quitter le monde des vivants par un jour fade, en me pendant à la poutre maîtresse, celle qui supporte le poids d’un corps, ou en m’ouvrant la gorge avec la lame d’un couteau, ou en me jetant dans le miroitement d’un puits, tout simplement, comme l’a fait tante Carmélita, la pauvre, condamnée à son calvaire : passer du médecin à la rebouteuse et de la rebouteuse au médecin un jour sur deux ; je l’entends encore : « À chaque chien sa niche, à chaque abeille sa ruche, à chaque douleur sa potion ». Ce qu’elle cherchait, c’était pas une fin quand elle désirait ne pas être née, mais un non-commencement, être restée là-bas ; depuis le début, n’avoir jamais été ici. Son Hymnaire disait : « Pourquoi tu pleures, ma sœur ? Parce que je suis née, je pleure ». Qui te pleure ? Qu’est-ce que ça peut bien faire qu’on vienne au monde, qu’on y trébuche quelques lustres et puis si j’t’ai vu, j’me rappelle plus ! Qui se rend compte que tu n’es plus là, dans ce pays perdu ? Il n’y a que ta mère, Tasio, il n’y a qu’elle qui ressente le vide que tu laisses ; c’est vrai que moi, je peux pas le savoir avec certitude puisque j’ai pas connu la mienne, mais j’ai souvent entendu chanter
C’est un nuage éphémère
cet amour que tu me donnes ;
par contre celui de ma mère
était un amour véritable ;
l’autre par quiconque est offert.
Tu vois, Tasio, la vie repose sur deux piliers : l’amour et le reste. Moi, j’ai pris appui sur le reste parce que je suis jamais tombé sur cet amour véritable dont parle la chanson