Hiver grec
118 pages
Français

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Hiver grec , livre ebook

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118 pages
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Description

Stan, peintre à succès, s'offre un voilier et part avec Olga sa compagne dans les Cyclades. Yannis le skipper grec est aussi du voyage. Expert en cuisine et en mythodologie, il est révolté contre l'Europe et peut être aussi contre les hommes. Pour Stan la vie à bord est oppressante. Au-delà du récit et des doutes du narrateur, ce roman nous invite à poser le regard sur la Grèce, celle d'aujourdh'ui, pathétiquement mise au ban de l'Europe et celle d'hier et de toujours, à la source de notre culture.

Sujets

Informations

Publié par
Date de parution 01 mai 2012
Nombre de lectures 5
EAN13 9782296490130
Langue Français

Informations légales : prix de location à la page 0,0550€. Cette information est donnée uniquement à titre indicatif conformément à la législation en vigueur.

Extrait

L’Hiver grec
Amarante


Cette collection est consacrée aux textes
de création littéraire contemporaine francophone.

Elle accueille les œuvres de fiction
(romans et recueils de nouvelles)
ainsi que des essais littéraire
et quelques récits intimistes.


La liste des parutions, avec une courte présentation
du contenu des ouvrages, peut être consultée
sur le site www.harmattan.fr
Patrick Nissen


L’Hiver grec
© L’Harmattan, 2012
5-7, rue de l’École-Polytechnique ; 75005 Paris
http://www.librairieharmattan.com
diffusion.harmattan@wanadoo.fr
harmattan1@wanadoo.fr
ISBN : 978-2-296-96616-1
EAN : 9782296966161

Fabrication numérique : Actissia Services, 2012
À tous les amoureux de la Grèce.
I IMAGES
« Périmélé ligo » , le chauffeur du bus demande à son chef l’autorisation de retarder un peu le départ. Sa VHF crachouille une réponse. Mais le chauffeur ne l’écoute pas. Il a déjà repris sa conversation avec le vieillard assis à sa droite dans l’autre travée. L’ancêtre ne paie pas de mine. Il est décharné, voûté, son habit pue, mais il garde le verbe haut. C’est un individu comme on en voit tant par ici. Un hybride de misère et de grandeur. Il émet en parlant une sorte de longue plainte empreinte de fierté. Le chauffeur l’écoute avec respect et probablement compassion, en opinant.
Un motocycliste débouche en trombe, pétaradant sur l’étroit parking où est garé le bus. Il rejoint le duo. C’est peut-être lui que le conducteur attend. Le contact entre les deux hommes est plus qu’amical. Fraternel. Large accolade, tout juste s’ils ne s’embrassent pas.
« Yia sass ! » Le motocycliste salue à la hâte le vieillard, avant d’entreprendre le chauffeur avec ferveur.
Maintenant le chauffeur et le motocycliste se parlent d’abondance et surtout, très fort. Ils ignorent le vieillard qui se détourne d’eux. En changeant de position, celui-ci s’est tassé sur lui-même et ses yeux humides et fiers semblent toiser l’horizon, comme portés au loin par un sentiment d’abandon.
Un sentiment ambigu d’abandon. C’est ce que nous éprouvons, ma compagne Olga et moi, depuis que ce bus nous a ramassés sur la route et qu’épuisés, nous nous sommes comme abandonnés à lui. Nous étions trop fourbus pour poursuivre à pied notre promenade. Nous avons aperçu la silhouette bleue du bus, nous l’avons hélée. Le chauffeur a bien voulu s’arrêter. Il nous a même accueillis avec une franche sympathie. Nous lui avons simplement demandé « Vathy ? » – c’est la plage où nous nous rendons. Il nous a répondu « Nè » (oui). Sa parole nous suffit. Aussi renonçons-nous à comprendre pourquoi, depuis bientôt vingt minutes, nous stationnons sur ce parking après avoir sillonné une bonne partie de l’île. Car c’est sûr, nous irons à Vathy. Ce chauffeur est un chic type, il ne nous a pas menti, il nous conduira à Vathy. Oui, mais quand ? Le chauffeur a l’air si peu pressé. Il a dit « périmélé ligo » (attends un peu). Nous comprenons très mal le grec, mais suffisamment pour savoir que ce n’est pas une simple parole de circonstance. En ces lieux, c’est principalement une philosophie. Un art de vivre… Nous sommes aussi ici pour le partager. Donc pourquoi voudrions-nous accélérer le cours du temps qui paresse avec délice ? De ce point de vue, s’abandonner c’est extra.
En revanche, ce qui n’est pas plaisant du tout, c’est de se sentir abandonné. Peut-être comme ce fier vieillard dont les yeux rougis et humides restent obstinément rivés sur l’horizon. Sûrement comme nous qui attendons patiemment, assis au fond de ce bus inconfortable, presque vide, que l’on veuille bien nous faire savoir ce qui justifie une aussi longue attente. Après tout, nous ne sommes pas du bétail ! Quelques mots, un sourire entendu, un simple geste, un regard – bref une attention – suffiraient à notre bonheur...
C’est souvent, de nos jours, ce qui est désagréable en Grèce lorsqu’on est étranger : on se sent admis, toléré, sans plus. Les Grecs me semblaient plus amicaux autrefois. Je crois même me souvenir qu’ils étaient réputés pour leur hospitalité. Aujourd’hui de nombreux touristes se plaignent de leur comportement souvent désagréable et parfois hostile.
La Grèce est un pays magnifique, dommage qu’il y ait les Grecs, me susurre Olga à l’oreille, tout en soupirant.
Peut-être, mais que serait la Grèce sans les Grecs ? En ce qui me concerne, j’interprète leur apparente indifférence comme une forme de respect, du moins en général.
Pour moi c’est du mépris.
Pour moi c’est de la dignité.
Ouf ! Le motocycliste ne s’attarde pas. Il salue le chauffeur et le vieillard avant de descendre du bus avec la même exubérance qu’il y était monté. Vers nous rien, aucun signe, pas même un regard. Il repart en pétaradant, laissant dans son sillage un panache de fumée suffocante et pour nous, comme la sensation d’être des zombies.
Je n’ai pas compris l’essentiel de ce qui se disait entre le chauffeur et le motocycliste, sinon qu’ils ne se disaient rien d’essentiel. En tous les cas, pas de quoi retarder un bus et entraver le service public. Mais l’important, c’est que maintenant le chauffeur se décide à partir. Il chausse – non sans ostentation – ses lunettes de soleil (bien que celui-ci ne brille pas) et d’un tour de clé lance le moteur.
Le bus se faufile dans les rues étroites d’Apollonia « avec ses maisons blanches, ses fleurs, et ses clochers » indique notre guide (une édition récente). Il évite les obstacles avec une audace qui me fait frémir. Décidément le chauffeur manie le volant et le verbe avec la même dextérité. Tout en dialoguant à nouveau avec le vieillard, il répond aux salutations des villageois que nous croisons par un grand geste de la main, un coup de klaxon et surtout un mot amical ou une plaisanterie pour chacun. Il est triomphant comme un aurige ou un footballeur recevant les hommages de la foule après la victoire. Sauf que lui reste modeste, totalement spontané et super sympa, précise Olga soudain épatée. Je partage son enthousiasme pour ce digne représentant des insulaires de Sifnos, à l’accent chantant et au physique puissant mais doux, caractéristique selon moi des figures noires ou rouges peintes sur les poteries antiques.
Soudain, le bus s’arrête en rase campagne. Le vieillard en descend. Sans payer ? Le bus reprend sa course, mais quelques mètres plus loin il stoppe à nouveau, le temps pour le chauffeur d’échanger quelques mots avec un automobiliste circulant en sens inverse. Il repart, s’arrête encore, cette fois pour charger une passagère semble-t-il en veine de confidences, que l’on débarquera sitôt qu’elle se sera épanchée. Ambiance étonnante et distrayante. C’est heureux, car bien que le bus roule à vive allure (quand il roule), le trajet paraît maintenant interminable. C’est plus fort que moi, ce doit être inscrit dans mes gènes, je finis toujours par m’impatienter.
Pourquoi s’impatienter ? Pourquoi vouloir se hâter, alors que nous roulons peut-être vers l’abîme… et que le drame aurait pu encore être évité ?
Enfin, dans l’immédiat, pas de quoi s’inquiéter, j’aperçois un panneau indiquant que cette fois nous sommes sur la bonne route.
Ce sont les derniers jours de l’hiver, mais le printemps s’est déjà installé. Bien que familier de la Grèce – j’y séjourne au moins une semaine chaque année – je ne l’ai jamais visitée en cette saison. Je ne connais de ce pays que sa face la plus rude, asséchée et décharnée par l’été. Donc, c’est un peu comme si je le redécouvrais. Je m’étonne d’y trouver ces écrins de verdure scintillant des plus éclatants joyaux de la floraison printanière : marguerites blanches et jaunes, coquelicots écarlates, mauves… mauves. Je me grise de cette orgie de couleurs posées en fines touches sur la toile vert tendre des champs. Le spectacle est saisissant pour le peintre que je suis, spontanément sensible à la couleur comme d’autres le seraient à la biodiversité ou à la pauvreté. Surtout ici à Sifnos, jadis réputée pour son or et de nos jours pour sa végétation (c’est, précise mon guide, la plus verte et la plus fleurie des Cyclades).
Le ciel d’aujourd’hui est gris, il rehausse les coul

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