L aliénée
91 pages
Français

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L'aliénée , livre ebook

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Description

Les histoires d'amours triangulaires : mari-épouse-amant ou maîtresse, emplissent la littérature. Pourtant, sur ce schéma a priori banal, L'Aliénée conte un autre vécu. Ce roman, avec une discrétion et une retenue empruntées à certains classiques du XVIII° siècle, n'est pas tant une histoire d'amour adultère qui naît et s'épuise, qu'une introspection. Au fond de tout amour, le plus charnel, le plus fusionnel, ne retrouve-t-on pas la solitude, l'incommunicabilité de l'être humain ?

Sujets

Informations

Publié par
Date de parution 01 mars 2010
Nombre de lectures 45
EAN13 9782296933286
Langue Français

Informations légales : prix de location à la page 0,0450€. Cette information est donnée uniquement à titre indicatif conformément à la législation en vigueur.

Extrait

L'ALIÉNÉE
Myriam KISSEL
 
 
L'ALIÉNÉE
 
Roman
 
 
L'Harmattan
 
© L'HARMATTAN, 2010
5-7, rue de l'École-Polytechnique ; 75005 Paris
 
Fabrication numérique : Socprest, 2012
Ouvrage numérisé avec le soutien du Centre National du Livre
 
http. / /www.librairieharmattan.corn
diffusion.harmattan@wanadoo.fr
harmattan1@wanadoo.fr
ISBN : 978-2-296-11398-5
EAN : 9782296113985
 
« Ainsi la mort l'attirait doucement vers les belles régions incertaines qui tentent les âmes sans espoir. »
 
Épaves , Julien Green.
CHAPITRE UN
 
Elle est seule dans la maison. Debout sur la mezzanine, près des étagères, tout en épiant le moindre bruit, avec avidité elle feuillette l'album de photos. Les feuilles de plastique sont collées par le temps, les couleurs des clichés ternies. Une maison, un jardin, un groupe de jeunes gens, et parmi eux une jeune fille. Sur un des clichés celle-ci apparaît seule. Allongée à même le sol devant des buissons elle est nue. En appui sur le coude gauche, elle fixe l'objectif, souriant sans gêne, sûre d'elle ; mince avec un corps musclé de danseuse, de petits seins, de très longs cheveux foncés. De son visage aux pommettes hautes, aux yeux verts en amande, au front bombé, au menton fin, émane déjà la beauté distante que possède la femme adulte qu'elle connaît à présent. Dans une autre pochette se trouvent des clichés beaucoup plus récents, deux ou trois ans peut-être. Sur l'un d'eux la jeune femme, les cheveux plus courts, le corps un peu plus étoffé, se tient de trois-quarts. Vêtue d'un collant de danse noir et d'un long T-shirt vert, debout dans l'embrasure d'une porte, elle sourit au photographe avec une expression provocante et mystérieuse. Sur un autre encore, elle se tient debout entourée de trois enfants, deux garçons, dans un paysage du Midi de la France ; elle regarde l'objectif d'un air calme, satisfait.
 
Elle s'imprègne de chaque détail de ces images qui appartiennent à un passé où elle-même n'existe pas ; à une vie qu'elle ne connaîtrait jamais, dont elle ne partagerait rien de plus ; un passé sur lequel elle n'avait aucune prise. Cette jeune fille, cette femme qu'elle scrute désespérément, ce n'est pas elle.
Elle rangea l'album et les pochettes exactement comme elle les avait trouvés. Si M. se rendait compte qu'elle les avait sortis, elle se trouverait, une fois de plus, humiliée.
Humiliée.
 
* * *
 
Deux ans auparavant.
Elle venait d'être recrutée à la Faculté des Lettres de l'université de G. Une nouvelle ville, un nouveau travail. À part les membres du Conseil Scientifique qui l'avaient auditionnée, elle ne connaissait personne, sauf ceux des enseignants et des administratifs qui, la croisant dans un couloir ou un bureau, se présentaient. Aussi appréhendait-elle autant qu'elle l'attendait la première réunion du Département de Lettres, au début du mois de septembre. Elle s'assit au hasard entre deux enseignants qu'elle ne se rappela pas avoir vus -au reste, à cause de l'émotion, elle ne reconnaissait personne. Le directeur du Département, un homme jeune à l'air fatigué, proposa un tour de table. Il y avait deux-tiers d'hommes pour un tiers de femmes, en tout dix-huit enseignants. Parmi les diverses spécialités, littérature comparée, littérature médiévale, linguistique, textique, elle remarqua celle d'histoire du cinéma, qui l'intéressait tout particulièrement par goût personnel. L'enseignant était un homme d'une cinquantaine d'années avec un accent du Midi. Elle-même, dernière arrivée, se présenta comme chargée des langues anciennes en Deug et Licence ; elle n'avait personne à qui demander conseil puisque celui auquel elle succédait était mort brutalement en juillet. Le directeur de Département distribua divers documents, intitulés et contenus des modules, maquettes des enseignements, modalités des partiels et examens. Il y avait beaucoup d'éléments qu'elle ne comprenait pas, mais elle n'osa pas poser de questions. Enfin le directeur annonça que la séance était levée et que, comme chaque année, on allait se retrouver au restaurant voisin.
Elle fut prise d'hésitation. C'était l'occasion ou jamais de faire la connaissance, de façon informelle, de ses collègues. Quelqu'un la prit par le coude : « Allez, viens, tu vas me suivre en voiture, c'est tout près, le Néflier. » Elle crut reconnaître le professeur de littérature médiévale.
Ils étaient douze à table. Elle se trouva entre l'enseignant qui l'avait guidée et l'enseignant de cinéma. Ce dernier se pencha vers elle, se présenta, M. R., et lui demanda si elle aimait le cinéma. Elle répondit qu'ils partageaient apparemment la même passion : lui avait une prédilection pour le cinéma français des aimées 1960-1970, Truffaut, Melville, elle l'expressionnisme allemand et le cinéma soviétique. M. lui retraça son parcours professionnel et ce qui l'avait amené à enseigner le cinéma ; vingt ans auparavant, ç'avait été une démarche novatrice. A présent, il faisait cours en Deug II, et cherchait un collègue pour partager le module « cinéma » de l'Université pour tous ; il y avait une projection tous les quinze jours, le jeudi de 18 à 20 heures. Si cela l'intéressait, elle pourrait rédiger des notices de présentation tandis que lui se chargeait de l'analyse filmique. Il lui donna son numéro de téléphone ; la première séance du semestre aurait lieu le 2 octobre : Loulou de Pabst.
Elle se sentit tout d'un coup intégrée au Département. Toutes ses appréhensions s'étaient évanouies.
Le repas tirait à sa fin lorsqu'elle vit ses voisins de table lever les yeux et regarder vers la porte d'entrée du restaurant. Une femme venait de pénétrer dans la salle. Elle était d'une taille un peu au-dessous de la moyenne, mince, avec un long cou portant un visage triangulaire. Ses cheveux d'un roux flamboyant, vaporeux, mettaient en valeur son teint mat. Elle était vêtue d'un tailleur vert-eau moiré. Elle lança « Bonjour » à la cantonade et se dirigea vers M. R. tandis que deux ou trois enseignants lui rendaient son salut. M. R., se levant à moitié, embrassa la femme sur les lèvres et lui dit : « Je te présente A. K., notre nouvelle collègue. C'est aussi une férue de cinéma. Voici Anne-Laurence, mon épouse. » La femme lui tendit une main raide tout en lui adressant un sourire de pure politesse. Vue ainsi de près, elle paraissait approcher la quarantaine. Malgré sa froideur, il émanait d'elle une séduction immédiate, celle des êtres tellement sûrs d'eux qu'on ne peut échapper à leur emprise, qu'on ne peut mettre en question leur pouvoir -et de fait, durant les quelques secondes où elles se considérèrent, elle sentait les regards converger vers cette femme, Anne-Laurence, qui constituaient comme un champ de forces généré par elle.
Anne-Laurence se tourna vers son mari et s'adressa à lui à voix basse. Il hocha la tête et répondit : « Dans un quart d'heure, ça te va ? » Elle fit signe que oui, tourna les talons et sortit. Il était 14 heures trente. Le déjeuner s'acheva. Elle eut beaucoup de mal à retrouver le chemin de l'immeuble où se trouvait l'appartement qu'elle avait loué, situé à l'écart de la ville. Elle eut l'impression de rouler longtemps. Elle était fatiguée par la réunion, par les nouveaux visages, par le souci qu'elle avait eu tout au long de la matinée de ne pas commettre d'impair. Elle recopia le numéro de téléphone de M. R. dans un carnet posé près du téléphone ; c'était, avait-il précisé, celui de son bureau personnel, un studio qu'il avait en centre-ville.
 
* * *
 
Sept mois plus tard.
Elle aperçut de loin la voiture de M. et se gara à côté. M. était sur la pelouse, debout près d'un banc, fumant une cigarette.
« -Tu es là depuis longtemps ? -Le plaisir de t'attendre fait partie de celui de notre rendez-vous. » Il lui prit le bras au-dessus du coude : « Viens, allons au bord du lac. » Il y avait peu de monde en ce jour de semaine. Ils marcha

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