L’âme fréquente aussi les beaux quartiers de l’esprit...
162 pages
Français

Découvre YouScribe en t'inscrivant gratuitement

Je m'inscris

L’âme fréquente aussi les beaux quartiers de l’esprit... , livre ebook

Découvre YouScribe en t'inscrivant gratuitement

Je m'inscris
Obtenez un accès à la bibliothèque pour le consulter en ligne
En savoir plus
162 pages
Français
Obtenez un accès à la bibliothèque pour le consulter en ligne
En savoir plus

Description

"L’art de l’aphorisme, qui est très ancien, dérive de la littérature orale et des livres de sagesse et de morale. Il a beaucoup évolué depuis. Quand on consulte Le Littré, on trouve cette définition de l’aphorisme : « Proposition énoncée sous une forme très concise, qui résume une théorie, une série d’observations ou renferme un précepte »."
Extrait de la préface par Abdelkébir Khatibi.

Informations

Publié par
Date de parution 28 août 2018
Nombre de lectures 13
Langue Français

Informations légales : prix de location à la page 0,0000€. Cette information est donnée uniquement à titre indicatif conformément à la législation en vigueur.

Extrait

AbdelmajidBenjelloun
L’âme fréquente aussi les beaux quartiers de l’esprit...
Aphorismes
Collection Humanités
1
2
LE PLAISIR DE LA SAGESSE PREFACE Abdelkébir Khatibi
L’art de l’aphorisme, qui est très ancien, dérive de la littérature orale et des livres de sagesse et de morale. Il a beaucoup évolué depuis. Quand on consulteLe Littré, on trouve cette définition de l’aphorisme : « Proposition énoncée sous une forme très concise, qui résume une théorie, une série d’observations ou renferme un précepte ». C’est souvent une sagesse plus ou moins joyeuse, parfois ironique, sinon cruelle sur les mœurs et les coutumes des uns et des autres. Parfois, ce sont des leçons de vie, offertes au lecteur comme des amulettes en guise d’aide-mémoire. Je me rappelle avoir beaucoup ri après avoir lu cet aphorisme impeccable de Henri Michaux : « Le loup qui comprend l’agneau est perdu, mourra de faim, n’aura pas compris l’agneau, se sera mépris sur le loup… et presque tout lui restait à connaître sur l’être ». Ainsi l’aphorisme est plein d’enseignements et de leçons de vie, filtrés par un esprit en éveil, amoureux de la pédagogie des ruses. C’est pourquoi un bon aphorisme ne se lit pas une seule fois, il faut le relire et se glisser sous la peau du loup ou de l’agneau.
3
Abdelmajid Benjelloun, lui aussi, est un poète et un aphoriste de talent. Je ne sais s’il aime la compagnie des animaux pour les faire causer de moralité comme dansKalila wa Dimna, mais il sait sans doute que le singe garde le silence alors qu’il peut parfaitement parler. Il garde le silence pour que l’homme ne le fasse pas travailler ! Notre auteur a compris que ce genre littéraire, qui obéit aux règles de la concision et de la mobilité des mots par une association rapide d’images et de vocables, est proche du poème qui obéit aux règles de la prosodie. Il a compris aussi que l’aphorisme est doué d’un pouvoir de suggestion : dire, en peu de mots, une pensée, une maxime, une parole essentielle, tout en se divertissant et en amusant le lecteur ou la lectrice. A remarquer que la lectrice est, ici, presque sacralisée, étant supposée plus proche de Dieu que de l’homme. Sans cette concision idéale, l’aphorisme risque de perdre le pied, de chuter, chemin faisant, dans le non-sens. Mais le non-sens n’est pas rien, puisqu’il faut le rien pour que l’être soit. Le sens est sauvé par le désordre chaque fois que la justesse des mots est rattrapée par le désir de vérité. Vérité paradoxale, plurielle, diversifiée. L’aphorisme en cherche les chemins obscurs, l’introuvable transparence. C’est sa profession de foi. Abdelmajid Benjelloun nous parle à cœur ouvert. Il est amoureux de la vie et ruse avec l’avènement de la 4
mort. Peu à peu, est esquissé le portrait d’un homme de culture, apparemment sage. Un sage qui se laisse séduire et capter par la mélodie de la vie quotidienne. Un homme de la tolérance vécue, si incarnée dans le langage et ses lois d’hospitalité. Derrière les bienséances de la société décrite ici en filigrane, derrière les masques que nous portons et les rôles que nous jouons avec ou sans talent, l’aphoriste traque le désir de vérité qui peut advenir dans tel geste, tel sourire ou cri, tel comportement saugrenu… Il sait bien que ce désir de vérité est fluctuant, dérouté par les contingences. L’aphoriste s’improvise une philosophie perspectiviste sur les ruses de « la vérité », « la réalité », « le bonheur », « la vie » etc. … Autant de mots que tout le monde utilise sans connaître le secret de leur énonciation. Cette philosophie fragmentaire, l’aphoriste la consigne en une morale, ou plutôt, l’aphorisme est une petite machine à inventer des leçons de morale pour ceux ou celles qui en demandent. Quant aux autres qui n’en demandent pas ou point, ils seront libres de leur lecture. Ils seront, ces lecteurs et lectrices, sensibles peut-être à l’instabilité, au dés arrangement et au chaos qui peut jaillir au cœur de ce livre, de ce bon livre. A bon entendeur, salut.
5
L’âme fréquente aussi les beaux quartiers de l’esprit...
Ce que le mystique fait le mieux dans sa vie, c’est sauver sa vie de la vie.
J’ai noté en exergue, à la lumière d’une proposition de Camus, que je lisais alors beaucoup, dans mon premier recueil de poèmes que j’ai éradiqué à jamais de ma bibliographie personnelle pour des raisons purement religieuses :Solidaire, solitaire. Ou l’inverse. Et je m’étonne, presque quarante ans plus tard, de n’avoir pas recouru en ce temps-là à ce jeu de mot qui en découlait directement : Solidaire. Solitaire. Solitarité.
Que vaut-il mieux s’égarer entre la réalité et la vérité, ou entre la réalité et la réalité?
La pire discourtoisie, incorrection, indélicatesse, à l’égard d’un proche, c’est se plaindre tout le temps auprès de lui.
Même le poète n’aime pas que l’aube s’érige en jour, étant d’avis que chaque chose doit rester à sa place.
Le jour vient faire sa vie dans le jour, mais nous n’y voyons que du feu, c’est à dire rien. Mais dites-moi, faut-il être poète pour confondre nécessairement le feu et rien?
Qui ne voudrait aussi souvent que possible devenir une sorte de vacataire de la vie, sans en être titulaire?
Le poète doit se faire rare en société. Et eFectivement, je me fais rare; mais à mon corps défendant, je l’avoue.
Une main prépare le ciel de longue date.
6
Oui, je voudrais un jour travailler sur une aube conquérante. De même que, comble de maniérisme artistique, sur une aube à l’état second. Le poète se manifeste au mot. Le poète se manifeste au mot conquérant. Le poète se manifeste au mot, toujours total. Le poète se manifeste au mot, vivant. Le poète se manifeste au mot, absolu. Le poète se manifeste au mot, éternel. Le poète se manifeste au mot, suprême. Quant à sa capacité de faire de la poésie avec des mots, ce n’est que de la toute petite histoire pour le mot.
Je voudrais bien vivre un jour dans la représentation d’une nymphe, ou tout au moins en matière d’amour.
Il est de nombreuses situations où l’homme ne doit rien réclamer à Dieu, mais où il doit uniquement Le louer.
Je suis ce totem tétanisé d’extase dans l’amour.
Il est tellement imbu de lui-même, qu’il pourrait parfaitement se signer un autographe, mais le problème, c’est qu’il en détient déjà de lui-même une quantité incommensurable.
Nausicaa aux joues enjouées n’est pas de tous les bains pauvres des nymphes.
Lors du dîner organisé pour la commémoration de la disparition de mon beau-père, le théologien kih Hakam, un de ses amis nous raconte ces trois anecdotes: 1)- il a connu un homme riche qui s’est marié plus de quatre-vingts fois, et qui de ce fait a terminé sa vie pauvre, en compagnie uniquement de sa première femme. 2)- un vieillard et un homme plus jeune croisent un jour une femme belle comme le lever du jour. Et le vieillard alors de cracher après elle. Le jeune lui reproche son geste en lui faisant valoir que la jeune femme n’a rien fait pour mériter le sort qu’il vient de lui réserver. Et le vieillard de lui 7
répondre que ce n’est pas contre elle que son geste est destiné, mais contre lui-même, pour ne pas pouvoir l’honorer. 3- un cheikh dezaouiaRabat, déjà assez âgé, a été de invité un jour à égorger le mouton pour le baptême de la ïlle d’un homme qui l’avait invité à ce propos. Au moment où allait passer la bête au ïl du couteau, il ït cette prière au Seigneur: asse qu’elle soit mienne un jour!”. Eh bien, il ïnira par l’épouser. L’odyssée de l’inachèvement. C’est ainsi qu’il peut résumer son amour pour M., avorté il y a plus de trente-cinq ans.
Je cherche toujours chez les femmes le visage à même de justiïer le reste de leur corps.
Il y a des moments où il faut prendre des médicaments contre la vie.
Le seul bonheur qui existe jamais est le bonheur obstiné. Qui ne se décourage pas facilement.
Qui d’entre nous ne vit pas parfois à l’aise dans le portrait immobile de lui-même?
J’ai vu la vie, gravir des mots plus essentiels que les Pyramides d’Egypte et d’Amérique tout à la fois.
L’horizon n’envoie jamais de prophéties.
Les mots sont vains salutairement avec la vanité de nos existences.
Il est des portes ombrageuses parce que fermées.
Le souvenir n’est jamais impartial. Y compris et surtout historique.
Les psychanalystes devraient ajouter à la liste des pulsions humaines la pulsion de bonté.
8
L’homme est un animal psychologique qui vit ses émotions au premier degré, auquel cas il est passionnel, au deuxième degré, auquel cas il est romantique, et au troisième degré, auquel cas, il est esthétique ou artistique.
Ne choisissez pas le moment précis où tel de vos interlocuteurs est courtois avec vous, pour lui asséner sa première vérité en face, comme par exemple la laideur, réelle, pourtant, de son nez !
Au moment précis où nous nous souvenons, notre mémoire crie oubli.
Quand cet homme est heureux, il lance : me voilà enïn mort pour la tristesse!
Tel homme est heureux, uniquement pour ne pas se compromettre avec la tristesse; mieux avec sa tristesse.
Tel homme est amoindri par le bonheur et tel autre grandi.
Nous ne rentrons jamais bredouilles du rêve, quelle que soit la fadeur de notre vie à l’éveil.
Se lever de la vie, et sourire à tout, car le tout mérite qu’on lui sourie, non pas de manière ponctuelle, mais tout le temps.
Il est des hommes rarissimes, qui sont davantage bouleversés par la vie des autres que par la leur propre.
Comment ne pas se porter au bonheur même de la femme lorsqu’on l’aime?
Un rassembleur d’hier-sque l’historien, toujours maladroit ce faisant quoi qu’il écrive.
Les grands dépensiers en absolu sont naturellement très inquiets.
9
Par moments, je reste béat devant les plus petits laps de temps qui soient, comme ces espaces qui séparent les mots, aussi bien dans la parole que dans la réexion, fût-elle la plus intelligible.
Que le monde soit beau ou ne le soit pas, Dieu existe, pardi, et le monde est beau en dépit de tout.
Tel philosophe notoire est-il un grand professeur de l’absurde à l’université de la vie, ou plutôt ce grand professeur de vie à l’université de l’absurde?
L’objectivité, que diable, n’est pas une fausse subjectivité!
Non, la poésie n’est pas un ïlon de vérité dans la réalité.
Il est des arts proches de la vie sans être la vie.
Que d’oublis se dressent droit devant nous jusqu’à l’inïni?
J’aime l’art qui ressemble à la vie. Je préfère l’art qui ressemble à la vie.
Si nos mains sont apparentées aux cieux, la réciproque est aussi vraie. Est-ce l’homme ou plutôt le mot, ce qui est le plus commun à la réalité et à la vérité?
Même en plein mouvement, il nous arrive de vivre au bord des mots, comme ïgés.
Même les situations les plus gaies sont parfois décrites avec des mots à l’odeur de feuille morte.
Un épais rideau de lumière sépare le mot du monde.
Même les philosophes ne travaillent pas forcément sur un monde de mot à partir de la vérité.
Tel artiste croit avoir un avantage sur la vie, l’idiot !
1
0
  • Univers Univers
  • Ebooks Ebooks
  • Livres audio Livres audio
  • Presse Presse
  • Podcasts Podcasts
  • BD BD
  • Documents Documents