L auge des chimères
119 pages
Français

Vous pourrez modifier la taille du texte de cet ouvrage

L'auge des chimères , livre ebook

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119 pages
Français

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Description

Fable noire et histoire émouvante, ce livre interroge avec humour le bien-fondé de nos évitements urbains, sociaux, humains. Avec ce roman l'auteur signe une nouvelle conjugaison de ses passions et livre un autre éclairage sur une facette ignorée de nos sociétés.

Sujets

Informations

Publié par
Date de parution 02 septembre 2015
Nombre de lectures 0
EAN13 9782336738154
Langue Français

Informations légales : prix de location à la page 0,0850€. Cette information est donnée uniquement à titre indicatif conformément à la législation en vigueur.

Extrait

Couverture
4e de couverture
Cédric Desrues-Toutain










L’auge des chimères

Roman
Du même auteur

Les Morsures de l’absence , Edilivre, 2014.
L’Immanent , Edilivre, 2013.


















© L’Harmattan, 2015 5-7, rue de l’Ecole-Polytechnique, 75005 Paris
http://www.harmattan.fr diffusion.harmattan@wanadoo.fr
EAN Epub : 978-2-336-73815-4
De l’introduction
« Que reste-t-il à penser de la marée humaine ? Hein, tu peux me le dire, toi ? Et toi ? Non, plus ?! Toi ? Toi ? » il pointe du doigt les passants. Personne ne le regarde sans mépris ou crainte. « Non, aucun ! Y en a aucun capable de me dire quoi penser de son espèce sans en passer par des raccourcis vulgaires !
Moi, je vais devenir le premier punk à chat d’Europe. Tu sais pourquoi Mali ? » interroge-t-il en pointant ses yeux embués par l’ivresse vers la nue bleue. « Parce que c’est la seule voie. Tu comprends, j’ai pas envie de taffer moi. Les ordres et les besoins des autres, tu vois quelque chose de logique là-dedans toi ?
Non, rien. Je vis, je respire, je parle, je bouffe, je baise, je dors et je picole. Qui voudrait de ça aujourd’hui ? Personne, sauf, sauf ?… Sauf les mecs comme moi qu’on appelle comme ci ou comme ça ou qu’on préfère pas appeler du tout d’ailleurs !
J’ai que ça moi ! Ça et mon pote le chat. Alors, je l’embarque, on quitte le boulot, l’appart on s’en fait expulser et les affaires on les refile à l’huissier pour lui faire plaisir. Il a une bonne tête l’huissier et même pas de lunettes. Une bonne gueule de pépère endolori, il souffre pas lui, il peine ! Toute sa carcasse et ses sursauts de vie d’anesthésié respirent pour survivre.
Moi, je veux vivre et en profiter putain ! J’aurai pas deux vies ! Y en a qu’une, alors je vous chie à la gueule si j’en fais ce que je veux et que ça vous plaît pas !!! » Ses histoires ne sont que des fictions pour attirer l’attention, se rapprocher de la vie de ces passants qui l’ignorent.

Adrien marche sur le rebord de la fontaine en tendant les bras pour garder son équilibre. Torse nu, il tourne autour, une canette de bière dans la main droite et Béhémoth sur les épaules. Le chat reste impassible. Il se contente de se pencher en fonction des inclinaisons de son ami et semble se repaître de ses gesticulations.
« C’est plus facile comme ça, hein ?! Les temps changent, la connerie reste, les idées s’effacent. Et ba justement, faut remettre ça ! Bousculer l’ordre des choses ! Insuffler une dose d’ingérable dans ces étagères pour mégères aseptisées. Y’a que les boîtes pour aimer les cases, bordel ! ». À cette heure-ci, la place est bondée. Il fait chaud, l’été expire son dernier effort sur les crânes bronzés des gens qui passent en regardant Adrien avec un regard de méfiance ou une moue d’amusement interloqué. Certains s’écartent de la trajectoire qu’ils s’étaient tracée. D’autres ralentissent pour regarder le bouffon s’affirmer. Les autres sont isolés par leurs écouteurs ou leurs téléphones et ne voient rien du spectacle.
Les cheveux d’Adrien sont noirs et ébouriffés. Le teint mat, cramé, les oreilles transpercées par deux larges écarteurs en forme de griffes noires. Il inspire un indien Cherokee à certains et juste un cinglé aux autres. Entre et sur ses omoplates court un énorme tatouage plus bleu que noir. Une main invisible ouvre la fermeture éclair improbable d’une bête chimérique assise sur son séant. Sa tête est ouverte en deux et s’avachit de chaque côté sur la mollesse de son enveloppe. S’en échappe la jambe nue d’une femme aux doigts sur le grip de la fermeture pour en écarter les deux portions. Elle s’apprête à sortir.

Julie le regarde avec dépit. Assise dans l’angle ombragé du mur d’une banque. Elle ne bouge pas. Entre ses jambes recouvertes de collants déchirés, Romus dort une minute sur deux la tête posée sur le bitume humide des élucubrations éthyliques d’Adrien.
Les yeux bleus nappés de détachement de la jeune femme le fixent sans s’investir. Un shrapnel de lumière est planté dans ses iris bleutés. La dureté de son caractère en ressort grandie, comme passée au microscope par l’intention du soleil. Elle sait qu’il y a bien longtemps que des punks se trimballent avec leurs chats sur les épaules, mais ne veut pas rompre le cours de son délire. Aujourd’hui, il a beaucoup picolé, mais semble bien. Ce n’est pas tout le temps le cas. Surtout depuis la disparition de Mali.
Les cheveux bruns de Julie sont épaissis par la saleté. Ils forment des lianes informes, mais cela n’enlève rien à sa beauté désabusée. Sa jupe en jean remonte jusqu’au milieu de ses cuisses, un peu au-dessus de ses collants. Elle est tirée vers le haut par sa position désinvolte. Julie porte de grosses chaussures en cuir coquées et noires. Elles sont usées des semelles aux lacets. Maintenant, Romus en mâchouille un de côté en regardant Adrien et son pote chat s’agiter au centre de la place. Ils viennent de descendre de la fontaine et Adrien cherche à parler à trois hommes en costumes qui font la queue pour rentrer dans un restaurant dont la longue terrasse en devanture est bondée. Une répugnance flagrante marque leurs visages. Il s’approche d’eux et pose ses mains sur les épaules de deux d’entre eux. La bière pend au bout de sa main droite.

« Bien le bonjour, gentlemen. Dites-moi, vous n’auriez pas un ticket resto pour me dépanner, par hasard ? Mon pote et moi, on a la dalle » dit-il en faisant un geste de la tête vers la truffe de Béhémoth qui ne bouge pas d’un poil et fixe devant lui son regard jaune. D’un élan visuel spontané, Adrien regarde l’homme sur sa gauche des pieds à la tête. « Vous êtes à « laisse » dans votre costard ? On s’y sent bien ? » il dépose son cynisme avec aplomb appuyé par un sourire en coin. La question les laisse de marbre. Incompréhension. Sans se démonter, il embraye. « Voyez, j’ai plus une thune et j’ai pas envie de travailler pour en gagner. Je sais pas, je me dis que si moi je gagne c’est qu’il y a quelqu’un qui perd. Vous en pensez quoi ? » demande-t-il en se tournant consécutivement vers chacun d’eux tout en haussant les épaules. Cela a pour effet de renverser de la bière sur le dos du travailleur à sa droite. Constatant la souillure sur sa veste de costume, l’homme change de visage. Il passe d’un mépris franc et effrangé par le dégoût à une colère pourpre. D’un mouvement vif, il met une énorme gifle sur la joue gauche de ce jeune clochard ivre. Emporté par l’impact et le déséquilibre de l’alcool, Adrien bascule en arrière. Béhémoth ne bronche pas. À peine sort-il ses griffes pour les planter dans les épaules de son ami. Adrien ne sent plus rien, la chair de ses épaules est devenue insensible aux attaques des crochets blancs. Le poids du chat n’est pas anodin, Adrien s’en est fait une raison corporelle. Ses mouvements, ses déplacements, tous ses gestes sont conditionnés par la présence de son pote à poils.
Quand il se redresse, Julie s’est déjà levée et se dirige par enjambées lestes vers le petit groupe d’hommes. D’un geste, elle a ordonné à Romus de ne pas bouger. Le molosse s’y applique. Cependant, il garde un œil attentif sur son dos et dresse les deux oreilles dans la direction de ses pas. Enrobée dans un gros filet de bave partant de sa babine, pend l’extrémité du lacet.
Sur le chemin, elle enlève la ceinture en cuir enserrant sa jupe pour la maintenir en place et la roule autour de son poing. Elle contourne la fontaine et se retrouve rapidement au niveau d’Adrien.

« Oh bébé, qu’est-ce tu fais là ? » questionne-t-il avec un sourire béat.
Sa question posée, il aperçoit la ceinture et se met à sourire. Il se redresse et suit sa destinée en prenant le temps de rythmer ses pas sur une musique absente. Les bras en croix, il mime l’avion et repart en dansant n’importe comment. Béhémot reste impavide. Julie avance sans se détourner de l’homme au costume tâché. Ce dernier s’échine à frotter avec du vide entre les doigts l’auréole sombre sur le haut de son dos. Certaines personnes de la terrasse ont suivi la scène et regardent avec attention cette petite femme en noir, percée de partout, se rapprocher vivement de l’homm

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