L Entreciel
121 pages
Français

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L'Entreciel , livre ebook

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Description

Dans ces nouvelles, l'auteur s'affirme comme un écrivain de l'"entre-deux". Difficile à dire ce qu'est la sensation de vivre entre deux eaux, d'avoir demeure à l'entresol, à l'entreciel... N'y a-t-il pas un flou essentiel dans la condition humaine, à moins de se payer d'illusions? Nous vaquons dans l'incertain, qui est l'air et la lumière de notre aquarium. Aussi le monde nous est-il toujours étrange, les autres inaccessibles et nous-mêmes en perdition... Voici des personnages qui glissent dans des villes irréelles, avec une solitude naturelle.

Sujets

Informations

Publié par
Date de parution 01 janvier 2010
Nombre de lectures 32
EAN13 9782296691339
Langue Français

Informations légales : prix de location à la page 0,0500€. Cette information est donnée uniquement à titre indicatif conformément à la législation en vigueur.

Extrait

L’Entreciel
© L’Harmattan, 2009
5-7, rue de l’Ecole polytechnique, 75005 Paris

http://www.librairieharmattan.com
diffusion.harmattan@wanadoo.fr
harmattan1@wanadoo.fr


ISBN : 978-2-296-10898-1
EAN : 9782296108981

Fabrication numérique : Socprest, 2012
Ouvrage numérisé avec le soutien du Centre National du Livre
Marie Gerlaud


L’Entreciel


nouvelles


L’Harmattan
Préface
Une voix de la fragilité


La voix de Marie Gerlaud, telle que nous l’entendons pour la première fois dans ses nouvelles, a l’assurance de celles qui, bien posées, sont fortes d’une tenue sans artifice. Rien chez elle du laisser-aller de ceux qui bavardent plutôt qu’ils n’écrivent, non plus que des artifices de ceux qui tentent de nous faire croire que, plus que l’escalier lui-même, est importante leur façon de le descendre. D’avoir eu la chance d’être un de ses premiers lecteurs je garde le sentiment de ce privilège rare : être en première loge quand se lève un chant neuf et, depuis, j’ai eu l’impatience de partager avec d’autres ce plaisir qu’est la reconnaissance d’un écrivain sans esbroufe dont il semble que le seul enjeu soit de témoigner de cette vibration qui rend si émouvante notre avancée sur le fil ténu d’une vie fragile en laquelle palpite « l’ombre mystérieuse d’une enfance incertaine », selon la belle expression prise dans son Entreciel.
Dans cette nouvelle, qui donne son titre au recueil, dans les autres aussi, La Caresse, Un si étrange sourire, L’homme qui descendait la rue, Marie Gerlaud s’affirme comme un écrivain de l’entre-deux, de cette expérience au fond assez commune, mais difficile à dire qu’est la sensation de vivre entre deux eaux, d’avoir demeure à l’entresol, à l’entre-ciel, ni tout à fait les pieds sur terre, ni tout à fait la tête au ciel. Un peu dans les nuages, ou dans la brume. N’y a-t-il pas un flou essentiel dans la condition humaine, à moins de se payer d’illusions ? N’y a-t-il pas plus d’inconsistance dans ce qu’il est coutume de nommer le réel que nous le laissent entendre les discours convenus ? Nous vaquons dans l’incertain, qui est l’air et la lumière de notre aquarium. Aussi le monde nous est-il toujours étrange, les autres inaccessibles et nous-mêmes en perdition. Mais celle-ci n’est pas dramatique : le désespoir serait de trop, déjà une certitude, une emprise. Simplement le fait d’être là, insensé, comme sans origine ni destin, sans attaches ni attelles, hors de l’histoire, celle qui modèle les siècles. La leur est une fragile anecdote, mais toute de rêverie, de sensibilité, et dont ils n’auront jamais la clef.
Les personnages de Marie Gerlaud n’ont pas de prise sur le monde, non plus que de prise les uns sur les autres. Ils glissent dans des villes irréelles, se frôlent sans se toucher. On les sent néanmoins soumis à des jeux d’ondes complexes, sensibles aux chatoiements de la lumière, aux vibrations de l’espace, à la présence de quelques êtres qu’ils rencontrent. La solitude leur est naturelle, occupée par un monologue qui est tâtonnement, ressassement, présence de quelques mots qui sont de compagnie, mais peu domestiques, présents, mais insoumis. Mais écrire vraiment, c’est-à-dire en vérité, en sincérité, n’est-ce pas toujours être ainsi aux prises avec la langue qui murmure dans nos têtes, coule dans notre sang, et tenter de saisir ce qu’elle a à nous dire ? À ceci près que l’écrivain a à résoudre cette quadrature du cercle : donner forme, fermeté, à cette voix fragile. Ce qu’a réussi Marie Gerlaud.

Gilles Plazy
Un si étrange sourire
D epuis plusieurs heures il était assis à son bureau, plusieurs heures d’une inefficacité totale. En fait, il n’avait absolument rien fait. Il n’avait pas tendu une seule fois la main vers la corbeille à courrier et n’avait pas ouvert la moindre enveloppe. D’habitude à cette heure-ci, un peu plus d’un tiers du courrier était trié, il avait déjà actionné au moins trois fois la pédale de la déchiqueteuse qui se trouvait à la gauche de la table et la trappe par laquelle les petits morceaux d’enveloppes déchirées disparaissaient dans le dernier sous-sol lorsqu’elle était pleine s’était ouverte deux fois.
Il y avait trois niveaux de sous-sol, travaillant au second, il ne s’était jamais rendu au premier, jamais, non plus, au troisième.
Aujourd’hui, il n’avait rien fait. Absolument rien. Il se tenait assis, parfaitement immobile, parfaitement droit. D’une droiture qui ne lui coûtait aucun effort, d’une immobilité que l’on aurait dite aussi naturelle que celle d’un arbre. Il se tenait assis exactement comme il le faisait tous les matins du lundi au vendredi depuis quelques années.
Trois. Trois années. Cependant, aujourd’hui, après s’être assis il n’avait plus fait un geste.
Il était arrivé à huit heures et quart, il avait traversé l’entrée sans y prêter attention, et s’était machinalement dirigé vers la corbeille à roulettes dans laquelle plusieurs enfants auraient facilement pu se tenir. Ses mains s’étaient posées sur la barre de la corbeille, il l’avait poussée jusque sous ses casiers et l’avait calée contre le mur. Puis, consciencieusement, il avait fait basculer les enveloppes contenues dans les casiers dans la corbeille. Ses casiers étaient marqués d’un point rouge. Il ne s’occupait pas de ceux marqués de signes différents : seulement les points rouges. Il avait donc tiré à lui, l’un après l’autre, ces casiers-tiroirs qui étaient chargés par leur extrémité opposée. Il imaginait qu’il devait y avoir de l’autre côté du mur, une sorte de quai de déchargement pour les wagons postaux. Il imaginait un employé transférant les sacs contenant ces monceaux d’enveloppes du train aux casiers, les jetant dans leurs gueules avides. Cela se passait de l’autre côté du mur. Du côté qui ne le regardait pas. Du côté qui n’était pas le sien. Pour ce qui était de sa partie, quand le casier était presque totalement sorti de son logement, il devait libérer un cliquet métallique permettant ainsi son basculement vers le sol. Dans le même temps, par un mystère mécanique, la face marquée du point rouge s’ouvrait et les enveloppes glissaient comme sur un toboggan pour atterrir dans la corbeille. Les enveloppes. Les lettres. Habituellement, lorsqu’il en arrivait aux derniers casiers, la corbeille étant déjà pleine, il devait tasser de ses deux mains son contenu pour faire de la place aux enveloppes restantes, puis il tassait de nouveau pour s’assurer que le surplus ne s’échapperait pas lors de l’acheminement de la corbeille jusqu’à son bureau. Son bureau. Il manœuvrait la corbeille dont les roulettes pivotaient sans bruit sur elles-mêmes et se dirigeait vers l’ascenseur. La porte en était si large que rien qu’à la regarder on était pris de vertige. Du moins avait-il eu ce sentiment la première fois. Après, il n’y avait plus pensé. La porte s’ouvrait très silencieusement malgré son poids et, toujours le premier jour, il avait admiré l’inventeur de cette mécanique parfaite. Puis, comme pour le reste, il n’y avait plus pensé non plus. Il descendait au second sous-sol.
La descente durait à peine une minute ; la porte se rouvrait d’elle-même toujours aussi silencieusement. Là, il clignait un peu des yeux à cause du changement de lumière, prenait comme par réflexe sa respiration et sortait derrière sa corbeille sans avoir à prendre de précautions particulières puisqu’il ne croisait jamais personne. En trois ans, cela ne s’était jamais trouvé qu’il se heurte à qui que ce soit. Ensuite il parcourait des couloirs et des couloirs en poussant sa corbeille tout en surveillant du coin de l’œil son chargement. L’air était aussi plat que la porte silencieuse et, à moins d’un geste brutal de sa part, il y avait peu de raison qu’une enveloppe tombe. Cela ne s’était produit que deux fois. La première, parce qu’il avait mal attaché son lacet qui s’était coincé sous une des roulettes ce qui l’avait fait trébucher à un angle droit qu’il prenait juste avant d’arriver à son bureau. Son bureau. La seconde fois, enrhumé, il avait éternué si soudainement qu’il en avait sursauté provoquant une secousse brusque pour la corbeille, ce jour-là particulièrement remplie. Quelques enveloppes étaient tombées qu’il avait hésité à ramasser, les considérant bêtement tandis qu’elles formaient sur le sol cinq déchirures blanchâtres dans le linoléum uniformément gris, des sortes de petites trappes par lesquelles pendant quelques secondes il avait eu la tentation de s’échapper. Il avait malgré tout remis les cinq enveloppes dans la corbeille. C’était tout. Le trajet depuis la porte de l’ascenseur jusqu’à la table à dépouiller le courrier durait dix minutes. Dix minutes sans hâte ni lenteur. Il y avait de longues lignes droites coupées par d

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