L homme qui voulait rester dans son coin
188 pages
Français

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L'homme qui voulait rester dans son coin , livre ebook

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Description

Célibataire et volontiers solitaire, Édouard Pojulebe est un homme prudent, qui, depuis l’enfance a appris à se tenir à distance des autres pour éviter les conflits. Édouard s’est construit, au fil des ans, une vie tranquille, faite des gestes du quotidien, de façon à ne jamais risquer de mettre en péril sa quiétude.
Un grain de sable vient perturber cette vie si bien huilée. Édouard se trouve alors entraîné dans des aventures dont il ne saisit pas le sens. Décontenancé par la tournure que prennent les événements, il s’angoisse de ne plus savoir quoi faire et quoi être, erre sur des chemins méconnus tout en essayant, malgré tout, de ne pas perdre pied.
N’arrivant à rien dénouer, Édouard se trouve, in fine, contraint à la fuite. Exposé alors à une menace permanente, ce personnage peu enclin à la réflexion voit son instinct de survie s'aiguiser et son discernement s’approfondir, pour tenter de s’adapter aux réalités nouvelles auxquelles il est confronté. Sa personnalité en vient à se métamorphoser de telle manière qu'il se découvre, finalement, autre qu'il n'était.

Sujets

Informations

Publié par
Date de parution 30 septembre 2014
Nombre de lectures 2 181
Langue Français

Informations légales : prix de location à la page 0,0034€. Cette information est donnée uniquement à titre indicatif conformément à la législation en vigueur.

Extrait

L’HOMME QUI VOULAIT
RESTER DANS SON COIN

Manou Fuentes




© Éditions Hélène Jacob, 2013. Collection Littérature . Tous droits réservés.
ISBN : 979-10-91325-52-3
à Patricia
- 1 -

« On se ratatine pour se soustraire au danger, garder ce qu’on a, vivoter en paix. »

Chateaubriand {1}

La seule particularité que pouvait revendiquer dans le cours de son existence Édouard Pojulebe, c'était le nom dont il était affublé. Hormis ce détail, dont on mesurera par la suite l’importance, rien ne le prédisposait à sortir de la banalité. Un physique passe-partout, un comportement modeste, joints à un désir de passer inaperçu semblaient avoir tracé par avance son destin.
À l’époque, l’appel des élèves était fait à voix haute. Pojulebe savait, pour avoir plusieurs fois vécu l’expérience, la contagion hilarante que son nom allait déclencher : « Audibert… Présent … Brettignier… Présent… Chabrier… Présent… » Arrivé à la liste des P, le cauchemar recommençait. « Paturet… Présent… Pelletier… Présent … Pojulebe… » À peine son nom était-il prononcé qu’il déchaînait l’excitation de la classe. Les enfants se retournaient, se tapaient du coude « Pojulebe ? Qui c’est ? Qui c’est…? », le cherchaient des yeux et pliés en quatre, n’en finissaient pas de pouffer. Les rires aux larmes fusaient jusqu’à ce que le maître, lassé du brouhaha, exerce son autorité et fasse cesser, de sa grosse voix, l’hilarité. Pojulebe n’avait jamais vraiment compris ce que son nom avait de drôle. Ce qu’il savait, c’est que ce nom lui collait à la peau et avait gravé dans son âme une blessure dont il n’osait parler. Ni à l’école, où il évitait bien sûr le sujet, ni même à la maison, où personne ne semblait être affecté de porter un nom si hautement comique qu’il faisait s’esclaffer le reste du monde. Soucieux de ne pas froisser son père (qui lui avait fait ce legs pesant) et de ne pas chagriner sa mère (qui jamais n’en avait évoqué le désagrément), Édouard avait tenu dans le silence ce lourd paquet.
Au fil des années, Pojulebe avait, malgré ce handicap, grandi en assurance. Ses carnets d’école révélaient un enfant appliqué dont l’intelligence vive était portée sur la réflexion. Les professeurs de littérature mentionnaient des dispositions à l’analyse et à la synthèse des textes, louaient la pertinence de ses exposés et lisaient même à haute voix quelques passages de ses écrits. Ces petits exploits ne conduisaient pourtant Pojulebe à aucune fanfaronnade. Les autres, qui ne manquaient pas une seule occasion de le railler, auraient pu en prendre ombrage.
Isolé de leurs jeux, Pojulebe avait mis à profit sa solitude contrainte pour observer la façon d’être des autres écoliers et ajuster son attitude en fonction de ses constats. La sobriété de son comportement et l’habitude d’entendre tous les jours la même désopilante sonorité avaient fini par émousser les facultés de jubilation des élèves. Personne, désormais, ne pensait plus à moquer le caractère insolite ou ridicule de son nom. Édouard avait donc, de guerre lasse et au bout du compte, remporté cette pénible victoire aux couleurs de passe-muraille.
Du côté familial, c’est drôle, mais Pojulebe avait peu de choses à dire. Il avait grandi à l’ombre de parents modestes, sérieux et bienveillants. À la maison, rien ne lui posait question. Sécurisé par l’amour qu’on lui portait et l’ordre immuable des choses qui régnait chez lui, il n’était pas sur la défensive. Nul besoin, comme en classe, ne le poussait à exercer sa perspicacité pour assurer sa protection. Pojulebe jugeait qu’il avait eu une enfance heureuse. Oh bien sûr, la fantaisie et l’humour n’étaient pas le fort de sa famille. Aucun éclat de voix ne retentissait dans la maison et il ne se souvenait pas avoir ri seulement une fois. Point de légèreté, peu de fantaisie et jamais d’extravagance, telles étaient les règles strictes qui assuraient l’équilibre du foyer.
Fils unique, Édouard était l’objet exclusif de toutes les attentions. Ainsi, ne sortait-il jamais sans un mouchoir dans la poche et un goûter dans son cartable. L’hiver, sa mère le couvrait de recommandations, d’un cache-nez et d’un bonnet tricoté dont il s’empressait de se découvrir dès le coin de la rue passé. Dans la classe, en effet, personne ne possédait de bonnet semblable, même par les plus grands froids. Une vie familiale réglée, des conseils de prudence ensemencés dès son plus jeune âge, coordonnés avec une éducation classique réussie, avaient charpenté son être de manière solide. Les années d’enseignements secondaire et universitaire glissèrent sur lui sans problème. Soutenu par un père instruit, documentaliste dans une bibliothèque de banlieue à Paris, il décrocha facilement ses diplômes et n’eut aucune difficulté, le moment venu, pour se faire une place honnête au soleil du monde professionnel.
Pojulebe avait toujours vécu commodément. Il logeait dans le pavillon (agrémenté d’un jardin) légué par sa famille et occupait un poste administratif dans une société de négoce. Outre la rémunération confortable de ce travail, quelques rentes reçues en héritage lui permettaient d’assurer sa sécurité matérielle et de voir l’avenir d’un bon œil. Les quelques aventures qu’il avait pu avoir dans sa jeunesse étaient restées sans lendemain. Son penchant pour la solitude et sa retenue naturelle l’avaient conduit tout naturellement au célibat. Le choix de ce statut n’avait fait l’objet d’aucun véritable questionnement. Édouard avait opté pour le célibat, sans trop y penser, car sans qu’il le sache, cet état lui était consubstantiel.
Pojulebe se jugeait aujourd’hui satisfait de son sort. Au bureau, sa courtoisie et son humeur égale étaient reconnues par ses collègues. Il s’était parfois même attiré leurs faveurs pour avoir, grâce à son caractère diplomate et conciliant, arrangé certains litiges.
Chaque fin de semaine, passés les moments à ranger son logis et faire les emplettes de nécessité, Pojulebe profitait de son temps libre pour prendre du bon temps. Ainsi, allait-il dans un restaurant où il avait pris, tous les week-ends, ses habitudes. La nuit tombée, il lisait quelque roman puis s’endormait dans le silence après avoir plié ses affaires, fermé ses volets et verrouillé sa porte.
Il ne faudrait pas déduire de tout ce qui précède qu’Édouard Pojulebe était inadapté à la vie moderne ou qu’il avait exclu de son environnement les nouveaux chemins de la connaissance. Il avait appris à apprécier les nouveaux médias, installé chez lui télévision et ordinateur à écran plat et équipé tout ce matériel de la WiFi . Il disposait donc d’une vision du monde actualisée et évolutive, et vivait seul sans être coupé des problèmes de ses contemporains.
Aidé par ce bagage de savoirs, Pojulebe rompait parfois avec ses habitudes réservées. Il lui arrivait alors de prendre la parole devant quelque habitué du troquet ou de s’enhardir sur un sujet de société afin de faire part de sa vision des choses. Bref, d’exercer, chose rare chez lui, une forme d’éloquence. Il éprouvait alors la délicieuse volupté de voir dans le regard des autres quelque lueur d’admiration à son endroit. Chaque fois qu’il le pouvait, il tentait de renouveler cette opération délectable et les succès obtenus dans le miroir de leurs yeux l’encourageaient à poursuivre. Parfois, lorsqu’il contait quelque anecdote comique, son audace dépassait toutes ses espérances et le rire déclenché par ses soins l’emplissait de satisfaction. Bien sûr, il avait peu d’occasions de cette sorte, d’autant que sa prudence familière l’alertait et lui dictait le moment de quitter le débat. Dès qu’il flairait le moindre danger de conflit, il battait en retraite et renonçait dans la seconde à sa tentative de séduction.
Édouard Pojulebe ne regrettait en aucune façon sa mise à l’écart volontaire qui l’avait, de tous temps, privé de véritable ami. Au contraire, son existence, à l’abri de tout engagement risqué, lui convenait tel un vêtement confortable port

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