L imposteur
141 pages
Français

Vous pourrez modifier la taille du texte de cet ouvrage

L'imposteur , livre ebook

-

141 pages
Français

Vous pourrez modifier la taille du texte de cet ouvrage

Description

A la suite d'un coup d'Etat manqué au Liban, Elie se réfugie à Paris où Françoise ne peut le garder. Samir s'enfuit en Jordanie et rejoint la résistance palestinienne. Michel est un bourgeois jouisseur au grand coeur que tout sépare d'Akef, l'instituteur communiste, sauf leur amitié commune avec Elie.
Dans le Beyrouth cosmopolite des années cinquante et soixante, de jeunes Libanais avancent ensemble et leurs horizons se télescopent au milieu du tumulte de leur amour, de l'ivresse de leur âge et des drogues douces, d'un coup d'Etat et d'une révolution. Ils sont les acteurs d'une époque à jamais révolue, avant que le Liban ne sombre dans la guerre civile.

Sujets

Informations

Publié par
Date de parution 02 mai 2010
Nombre de lectures 34
EAN13 9782336253930
Langue Français

Informations légales : prix de location à la page 0,0550€. Cette information est donnée uniquement à titre indicatif conformément à la législation en vigueur.

Extrait

L'imposteur

Amine Issa
Sommaire
Page de titre Page de Copyright Dedicace Beyrouth Paris Beyrouth Lettre à l’éditeur
© L’HARMATTAN, 2010
5-7, rue de l’École-Polytechnique ; 75005 Paris
http://www.librairichannattan.com diffusion.harmattan@wanadoo.fr harmattan1@wanadoo.fr
9782296115200
EAN : 9782296115200
À Sara Jane, George et Philip; l’espérance porte leurs noms.
À Raoul, qui est maintenant au-delà des terres visibles.
Beyrouth
Je suis né, le 15 juin 1940 dans une maternité célèbre de la rue de Damas. Les mères des milieux aisés n’y souffraient pas moins que dans d’autres établissements convenables. Les effets de mode s’étendaient même aux lieux de délivrance.

Mon père était un « gros » commerçant. Cet adjectif, ridicule par son imprécision, révèle la paresse intellectuelle des gens qui, par incapacité à quantifier ou qualifier le travail important d’un commerçant ayant réussi, le noie dans les plis d’une graisse inesthétique. Il y a d’autres moyens de décrire le succès, de façon plus neutre et surtout plus exacte donc plus efficace. D’où la nécessaire corrélation entre une description vraie et son effet visuel ou sonore ; l’inverse est mollesse.

Le bureau de mon père occupait trois grandes pièces du premier étage d’un immeuble à la rue Maarad, au cœur de Beyrouth. On y accédait par un escalier généreux, contenu par une rampe en fer noir. La réception était meublée de chaises en bois, de tablettes tripodes enserrées par un anneau et surmontées d’un petit plateau rond. Les murs s’ornaient d’affiches vantant les produits commercialisés par la maison. Dans ce lieu mal éclairé par une faible lampe et la lumière du jour dispensée par les séparations opaques à mi-hauteur des bureaux ouverts sur la rue, se mettait Ismail. Commis, préparant et servant le café aux visiteurs et aux employés, il se tenait généralement derrière une table sur laquelle était posé un téléphone. Toujours assis de biais et regardant le sol entre ses pieds, il ne soulevait sa tête qu’à l’entrée d’un visiteur. Même quand mon père apparaissait, il ne déployait sa longue carcasse qu’avec lenteur, lissant sa cravate fine et luisante tant elle était usée et attendait indifféremment des instructions. Sa mine détachée et son regard éteint composaient la seule dignité qu’il pouvait opposer à son emploi subalterne. Ismail, avant d’entrer au service de mon père, commerçait avec la Palestine. Avec l’instauration de l’État d’Israël et la condamnation des frontières, beaucoup d’habitants des villages méridionaux se retrouvèrent sans ressources et vinrent s’installer à Beyrouth dans le quartier de Basta Tahta. Commerçant modeste, les pertes occasionnées par le non-paiement de marchandises désormais au-delà d’une frontière qu’il n’avait pas souhaitée, l’empêchèrent de poursuivre la même activité dans la capitale.

Si mon père, à cause de mon insistance, cédait à mon vœu de l’accompagner à son bureau les jours de vacances, son dévouement s’arrêtait à la porte de celui-ci et il me livrait à Ismail. Celui-ci m’emmenait manger une glace et me promener dans les dédales du souk. Puis, longeant l’enceinte de l’Église Saint-Georges, nous nous arrêtions chez les marchands de volailles. Il s’intéressait aux coqs, discutait de la couleur du camail, de la taille de la faucille et de la vigueur des oiseaux. Il n’obéissait qu’à son plaisir, ce qui expliquait son ravissement quand je précédais mon père lors de mes apparitions à la rue Maarad.

Au retour de ma promenade, je m’installais dans le bureau de mon père si celui-ci était inoccupé. Une armoire forte occupait un coin de la pièce et tout un pan de mur disparaissait derrière un meuble vitré sur les deux tiers de sa hauteur dans lequel s’alignaient des dossiers verts, en carton, fermés par une bande en tissu et une boucle en acier noir. On lisait sur leur tranche le descriptif de leur contenu, calligraphié sur un carré de feuilles beiges pré-collées. Au plafond, décalé par rapport au lustre, un ventilateur remuait en été l’air humide. Pendant la saison froide, un brasero oriental en cuivre jaune alimenté par des noyaux d’olives, maintenait une température à peine tolérable. Cet appareil circulaire posé sur un plateau rond, juché sur de maigres pieds courbés, comportait un réceptacle pour le combustible et un couvercle ajouré en forme de coupole. Le couvercle se terminait par un cylindre surmonté d’un croissant de lune qui servait à le soulever. Cet objet qui ressemblait à une soucoupe volante, comme on les voyait dans les bandes dessinées américaines, n’a échappé à mon désir de le voir voler par la fenêtre qu’à sa chaleur excessive. Sur le bureau, un meuble imposant en bois, fermé de trois côtés, il y avait un buvard, un porte-stylo, un coupe-papier et une machine à calculer qui fonctionnait à l’aide d’une manivelle. Ces objets que j’aurais tant voulu toucher m’étaient inaccessibles à cause du fauteuil dans lequel je m’asseyais. Ainsi que son jumeau, ils avaient un siège bas et pentu, un dos très incliné, et de hauts accotoirs. Le résultat, amplifié par ma petite taille, était qu’en m’y enfonçant, le bureau me dominait de sa masse et par la même voie une impression d’écrasement me clouait au fond de mon fauteuil. Ce désagrément pour un enfant, avait une toute autre fonction pour les adultes qui le subissaient. Dominés par mon père, s’extrayant avec difficulté du siège qui les prenait en tenaille, la tête renversée, ses interlocuteurs, donc ses employés et ses clients, quand ils discutaient avec lui, partaient avec un handicap psychologique qu’il mettait à profit pour faire prévaloir son point de vue.

Ma première intrusion dans l’univers des adultes eut lieu quand j’avais huit ans. Le 15 mai 1948, l’État d’Israël était proclamé. Si cela ne signifiait rien pour moi, j’en ressentais néanmoins l’inquiétude de mon père. Il avait sa mine renfrognée des mauvais jours et les discussions avec ses amis se déroulaient sur un mode grave, parfois bruyant. Le commerce allait s’en ressentir, le Liban ne pouvait absorber le flot de réfugiés chassés de Palestine. Ces âmes errantes culpabilisaient les nantis dans leur confort et certains prévoyaient un déséquilibre démographique insurmontable. Le cynisme des Anglais et des Français qui avaient promis aux sionistes et aux Arabes tout et son contraire, avait accouché dans le désordre au lendemain de la Shoah d’un État qui allait empoisonner le Moyen-Orient pendant les décennies à suivre. Après le plan de partage de la Palestine proclamé par l’ONU, les gouvernements arabes incapables de réagir en concert, menèrent le combat de manière dispersée et pour masquer leurs défaites proclamaient à qui voulait les entendre que l’on verrait ce que l’on verrait. Ces fanfaronnades, pour seul résultat, légitimèrent des régimes qui plongèrent le monde arabe dans un long coma. Cet événement, la création d’Israël, si tragique qu’il fût, n’entama pas longtemps l’optimisme des Libanais. Une fois les réfugiés parqués dans des camps loin des regards, on les oublia. Les affaires reprirent dans ce pays indépendant depuis cinq ans seulement. Il se lança à l’assaut de contrats juteux dans le Golfe où la magie du pétrole commençait à opérer et se prit à consommer tout ce que l’Europe voisine, renaissante de ses ruines, pouvait offrir.

À Beyrouth, les aires de jeux pour enfants se réduisaient à peu de chose. Nous étions autorisés ma sœur Marie et moi à nous rendre au jardin de Sanayeh les jeudis et samedi après-midi après l’école. Créé par les Ottomans, c’est le seul espace vert de mon enfance dont ma mémoire, aujourd’hui engluée par les souvenirs d’une vie erratique, se souvienne. Nous y étions conduits par le chauffeur de mon père et surveillés par notre nounou. Cette femme dont j’ignore jusqu’aujourd’hui le nom, car les personnes ayant pu me renseigner, quand je commençais à regarder dans mon passé, sont toutes mortes. Nous la surnommions Dada. Elle aurait sacrifié sa vie pour la nôtre. Elle confondait la servilité avec le dévouement. Cette confusion des sentiments a longtemps permis le maintien de vrais innocents dans un état de sous-êtres qui ferait aujourd’hui honte à l’humanité. Je doute cependant qu’on en soit vraiment guéri et nous continuons à justifier nos pulsions dominatrices sous des vocables édulcorés, ce qui ne nous soustrait pas au jugement de l’éthique la plus élémentaire.

Le jardin était cerné par une clôture à hauteur d’hommes en pierres « ramleh » poreuses et brunes

  • Univers Univers
  • Ebooks Ebooks
  • Livres audio Livres audio
  • Presse Presse
  • Podcasts Podcasts
  • BD BD
  • Documents Documents