La commune sous les manguiers
191 pages
Français

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La commune sous les manguiers , livre ebook

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Description

Sayo, fils de cultivateur malien sans grand charisme, est entré à l'âge adulte convaincu que l'école est inutile et que l'argent peut tout. Manipulateur et ambitieux, il est à l'heure de la décentralisation le jouet d'intrigues de pouvoir. Un homme tel que Sayo peut-il réellement se voir catapulté maire d'une commune ? La mise en scène des motivations triviales des acteurs locaux et des mécanismes d'accession au pouvoir provoque tantôt le rire, tantôt le grincement de dents...

Sujets

Informations

Publié par
Date de parution 01 mai 2010
Nombre de lectures 46
EAN13 9782336252520
Langue Français

Informations légales : prix de location à la page 0,0750€. Cette information est donnée uniquement à titre indicatif conformément à la législation en vigueur.

Extrait

La commune sous les manguiers

Facoh Donki Diarra
© L‘HARMA’TTAN, 2010
5-7, rue de l’École-Polytechnique ; 75005 Paris
9782296116719
EAN : 9782296116719
© La Sahélienne, tous droits réservés.
Siège social : Bako Djikoroni Ouest, Bamako (Mali) E-mail : sahelienneedition@yahoo.fr Tél. : + 223 66 79 24 40
ISBN : 99952-54-29-8 Dépôt légal : Bibliothèque nationale du Mali, 2010.
Relecture et mise en page : Ségolène Roy
Conception graphique de couverture :
© ⊙IVO • Sandra Oerichs
Sommaire
Page de titre Page de Copyright La maison du père et le dehors
1 2
Le besoin d’immortalité
1 2
Une fâcherie
1 2
50 VOIX
La maison du père et le dehors
1
Un homme ne choisissant ni son lieu ni sa date de naissance, Sayo – ou Sadio selon les zones – était né à Dladiè par hasard. D’un père cultivateur et d’une mère ménagère, bien évidemment, et suivant un état civil de fortune établi très tardivement et donc peu fiable. Ainsi que l’indiquait son prénom, qui signifiait « cadet des jumeaux », il était venu au monde après de très beaux jumeaux, malheureusement morts en bas âge, quelques mois seulement après leur naissance. À ce propos, de vieilles femmes du village, ses grands-mères en quelque sorte, respectueuses d’une tradition bien rodée dans ce milieu, le taquinaient en le rendant responsable de la mort de ses deux aînés ; sur le même ton de plaisanterie et d’une voix égale, pour leur rendre la monnaie, il se défendait de ce crime qu’il n’avait pu commettre en se trouvant dans le village de sa mère, autrement dit alors qu’il n’était pas né.
Ces scènes, communes entre grands-parents et petits-enfants, faisaient rire les gens comme de bons enfants lorsqu’elles survenaient, et l’occasion était alors bonne de disserter sur le taux élevé de la mortalité infantile en brousse et sur l’impuissance des parents à vaincre ce fléau. Depuis les violentes conquêtes musulmanes des deux siècles précédant la colonisation européenne, dans les pays de la savane, l’habitude était restée de donner aux enfants des prénoms arabes affreusement déformés, correspondant à des titres et grades civils reconnus habituellement à certaines personnalités de la société arabe. Mais généralement, dans le monde bamanan 1 , l’impact de l’islam s’arrêtait à ce port accidentel du prénom supposé musulman. Car ce peuple, dans son âme, avait été peu ou pas du tout touché par cette bourrasque qui, sous d’autres cieux, avait fait tellement de dégâts que certains individus ne savaient plus d’où ils venaient ni qui ils étaient.
La famille de son père avait eu dans le passé beaucoup d’enfants, mais jamais de jumeaux avant ceux qui étaient décédés. Aussi leur mort subite avait-elle été ressentie comme un grand désastre, une énorme perte, semblable à celle d’une grande personne fauchée dans la fleur de l’âge. D’autant que donner naissance à des jumeaux était un événement qui ne survenait pas dans n’importe quelle famille, du moins dans l’imaginaire populaire.
Beaucoup de gens s’imaginaient d’ailleurs que les jumeaux naissaient de préférence dans les familles élues de Dieu, et qu’ils descendaient de parents dotés de qualités morales et spirituelles incontestables. Et dans bien des cas, leur disparition mystérieuse en bas âge était assimilée à un déficit de baraka, un signal fort envoyé par le bon Dieu pour signifier aux parents que pour des raisons connues de Lui seul, Il leur reprenait les deux petits êtres en bonne et due forme. Mais dans le cas de la famille de Sayo, les jumeaux à peine retournés chez eux, leur cadet s’était présenté, hurlant sa rage de vivre. D’entrée de jeu, ses premiers cris avaient été ceux du mâle déterminé à rester après des aînés qui avaient précocement délaissé l’existence terrestre, devinant sans doute qu’elle ne leur serait pas favorable.
Son père s’appelait Samakoro et il était classé parmi les chefs de famille en l’absence desquels le conseil des anciens ne pouvait se réunir et délibérer valablement. Ici comme partout ailleurs, l’importance sociale de l’individu restant fortement dépendante de son poids économique, il faisait partie des notables du village. Et ici plus qu’ailleurs, la richesse se résumant aux produits tirés de la terre, il était membre de ce petit cercle de paysans qui disposaient de greniers de mil capables de les faire tenir d’une année à l’autre sans aide extérieure. Pendant la colonisation, il avait passé une partie de sa jeunesse à tromper les commerçants français en leur faisant croire qu’il était gros producteur de céréales, et il leur avait pris de l’argent moyennant des produits agricoles que bien évidemment il avait été incapable de fournir. Il se disait alors acheteur, profession qui, sous la colonisation, avait permis à certains indigènes de s’enrichir en même temps qu’elle en avait ruiné des milliers. Dans le cas de Samakoro, le banditisme n’avait pu durer longtemps ; au bout de quelques campagnes agricoles infructueuses, criblé de dettes et n’ayant rien à proposer à ses partenaires, il avait dû s’évader du pays pour éviter de se faire embastiller, pour n’y revenir que bien des années après, au tout début de l’indépendance politique, lorsque les combattants pour la liberté étaient au pouvoir et géraient le pays avec leurs convictions propres, qui juraient avec celles préconisées par l’ancienne métropole.
Cet exil lui avait permis de fonder un foyer, puisqu’il s’était marié en cours de route avec Dinamba, une petite femme malinké maintenant mère de ses enfants. Elle n’était pas très belle et traînait au cou un petit goitre, ce qui, ajouté à sa petite taille, ne lui donnait guère l’allure d’une femme respectable. Au village, des femmes raillaient souvent dans son dos son accent malinké du pays de Kita et ses dents longues et mal plantées ; en réponse à leurs irrévérences, elle haussait les épaules, déclarant qu’elle n’était venue participer ni à un concours de beauté ni à un défilé de mode. Son mari, qui n’oubliait jamais à l’issue de quelle compétition il l’avait épousée, prenait ces rieuses qui se moquaient de sa femme pour des folles. Il la savait bougrement courageuse et dotée de plus de caractère qu’elles toutes. À ses yeux ces qualités, ajoutées au fait qu’elle lui avait fait plein d’enfants, dont des jumeaux qui malheureusement n’étaient pas restés, témoignaient de sa grandeur d’âme avec plus d’éclat encore.
Il y avait surtout qu’elle était la mère de Ramata, sa fille dont l’époux était un Européen, un Français plus précisément. Au retour de l’aventure où il n’avait pu faire fortune, Samakoro avait séjourné avec sa petite famille à Bamako, au temps du socialisme et du communisme, quelques années avant de reprendre la route pour rejoindre son village natal. Par manque d’argent et de moyens, il s’y était fait muezzin et était même devenu un ardent défenseur de l’islam. Sa fille Ramata, qui avait quitté l’école un peu tôt en raison de la vie nomade de ses parents, avait alors seize ou dix-sept ans. Elle vivait presque au jour le jour, ses préoccupations étaient d’ordre alimentaire et vestimentaire et elle n’envisageait l’avenir que dans la peau d’une paysanne, malgré sa grande beauté, qu’elle sous-estimait encore.
Désœuvrée, elle s’était prise d’amitié pour Matou, une vieille fille du quartier qui était serveuse au bar du Grand Hôtel. Apprenant cette amitié, son père avait crié de désespoir à la malédiction du ciel qui s’effondrait sur le toit de sa maison, et décrété son arrêt immédiat en raison de la qualité de l’amie considérée et de celle de son lieu de travail malsain, lieu de dépravation et même de débauche, ce qui messeyait fort à une fille de croyant musulman. Malgré cette opposition entêtée et myope, Ramata avait continué à voir clandestinement son amie, allant la rejoindre à son poste lorsqu’elle n’avait rien à faire, l’aidant à tenir son bar et à faire le ménage.

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