La démence sera mon dernier slow
75 pages
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La démence sera mon dernier slow , livre ebook

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Description

À la fin de ce livre, Arnaud Modat meurt par balles sur le parvis de la cathédrale Notre-Dame de Strasbourg, sous le regard insolent de Christine Angot. Il est vrai que cela avait plutôt mal commencé... Au cours de la première nouvelle, en effet, cet habile narrateur est prié de restituer dans les plus brefs délais l'ouvrage Destins Yaourt (Édika, collection La Pléiade) à la médiathèque Olympes de Gouges. La trajectoire reliant ces événements dramatiques, bien qu'elle semble d'une limpidité d'eau en bouteille, se révélera pourtant périlleuse et haletante. Entre les deux, l'auteur (à peine grimé) n’ira pas visiter le château de Phalsbourg avec ses parents, offrira une flûte de Pan à son fils roux, négociera avec un téléprospecteur la conservation au congélateur de l’orteil de son épouse, sera touché en D4 (la colonne vertébrale, pas le porte-avions), tapera à suivre, vieillira sur un plongeoir de cinq mètres, enseignera le conditionnel à un enfant de trois ans et demi dont la mère est alcoolique, achètera un calendrier à un gothique, et vendra sa femme sur eBay.


Lui, l’enfant du rock, tirera sa révérence sur un ultime slow, la tête posée sur l'épaule confortable de la démence. Et il mourra donc par balles sur le parvis de la cathédrale Notre-Dame de Strasbourg, sous le regard insolent de Christine Angot.

Sujets

Informations

Publié par
Nombre de lectures 1
EAN13 9782366511260
Langue Français

Informations légales : prix de location à la page 0,0052€. Cette information est donnée uniquement à titre indicatif conformément à la législation en vigueur.

Extrait

Titre
Arnaud Modat
La démence sera mon dernier slow
nouvelles



Les limites de la philosophie chinoise
1.
Je disais : « Regardez-moi, Mademoiselle. »
Je disais même : « S’il vous plaît, continuez à me regarder… »
Je me montrais direct parce que la fille était vulnérable et, à vrai dire, sur le point de tomber dans le coma mais c’était l’essentiel du message que je souhaitais transmettre, en réalité, à toutes les femmes que je rencontrais à cette époque. Sophie ouvrait les yeux de temps à autre mais cela ne durait jamais assez longtemps pour que je puisse ajuster mon sourire le plus touchant. « Mademoiselle, est-ce que vous entendez ma voix ? » La trouvez-vous sensuelle ? Potentiellement radiophonique ? Ne vous transporte-t-elle pas déjà vers les états émotifs d’un siècle disparu ? J’avais mille questions à lui poser mais elle préférait convulser, plutôt que de se livrer à moi.
Je pensais : « Ne dépouillez pas la femme de son mystère » (Friedrich Nietzsche).
Nous nous trouvions sur les marches de la médiathèque municipale. La fille, Sophie, ne m’était pas littéralement tombée dans les bras. Elle avait d’abord esquissé les pas d’une danse connue d’elle seule, puis elle avait perdu la vue. Son attitude générale avait certainement attiré l’attention de ceux qui, comme moi, fumaient là une cigarette. Encore une de ces nanas défoncées au crack , avais-je pensé, faisant montre comme toujours d’une belle ouverture d’esprit. J’étais pourtant loin d’être irréprochable.
La ville de Strasbourg m’avait en effet adressé une demi-douzaine de courriers de relance et menaçait à présent de me traquer jour et nuit jusqu’aux contrées les plus sauvages si je ne retournais pas dans les plus brefs délais un certain nombre de documents empruntés à la médiathèque deux années plus tôt (sur un coup de folie). Sachant le bâtiment climatisé et meublé d’intrigants fauteuils design , je profitai donc d’une journée caniculaire de juillet 2008 pour régulariser ma situation auprès de la culture et des arts. Il était intolérable, en effet, que je prive indéfiniment mes contemporains assoiffés de connaissance de 1064 exercices pour bien débuter aux échecs , par Stéphane Escafre, aux éditions Olibris, et de Destins Yaourt , bande dessinée signée Édika chez Fluide Glacial. Inquiet de l’accueil que l’on me ferait suite à la restitution outrageusement tardive de ces pièces, je fumais une dernière cigarette sur le parvis, dans une sorte de couloir de la mort mental, quand Sophie s’était subitement trouvée mal. La pauvre avait d’abord chancelé, puis son visage s’était contracté de manière étrange, ses épaules avaient été secouées de spasmes, enfin elle avait placé ses mains tremblantes devant elle, manifestement aveuglée, craignant de percuter un mur.
Habitants d’une ville moyenne, rompus à l’indifférence, nous ignorons quel comportement adopter lorsqu’un de nos concitoyens se trouve dans une situation de détresse absolue. Tandis que Sophie expérimentait les premières manifestations de son malaise, nous étions une dizaine de badauds à l’observer du coin de l’œil, sans oser prendre part d’une manière ou d’une autre aux tribulations déroutantes de cette jeune femme qui, à y regarder de plus près, n’avait rien d’une nana défoncée au crack (je peux au moins me vanter d’être un homme capable de réajuster son jugement). Chacun attendait, il me semble, que son voisin immédiat sorte du rang et s’écrie : « Écartez-vous. Il se trouve justement que je suis l’un des plus grands spécialistes européens des affections neurologiques ! » Mais personne ne leva le petit doigt pendant une longue minute au cours de laquelle il paraissait de plus en plus clair que Sophie courait un sérieux péril. Nous prenions le temps, sans doute, d’analyser la situation sous ses aspects les plus étranges, alors même que les mots crise d’épilepsie carabinée clignotaient un peu partout autour de la jeune femme. Nous étions des gens sans histoires, préférant assister à une suffocation publique plutôt que de nous illustrer aux yeux d’une foule critique. Mais alors que Sophie menaçait de s’écrouler purement et simplement sur les marches de la médiathèque Olympe de Gouges, il me revint à l’esprit que j’avais passé mon brevet de secouriste deux semaines plus tôt et que je m’exposais par conséquent à des poursuites judiciaires aggravées en cas de non-assistance à personne en danger. Il m’apparut alors que je savais exactement quoi faire.
 
2.
Sans même prendre le temps d’allumer une dernière cigarette pour me donner du courage, je me précipitai vers la victime, avant qu’elle ne chute pour de bon et ne se fende le crâne. Je n’y allai pas par quatre chemins. J’eus même recours à l’impératif, ce qui ne m’était pas arrivé depuis mon dernier camp scout, à Grenoble, quinze ans plus tôt : « Mademoiselle, vous n’êtes plus en état de tenir debout. Je le regrette mais c’est un fait bien établi. Laissez-moi vous aider à adopter une position moins périlleuse. Mais d’abord, quelques mots à mon sujet… » Déclinant mon identité à la victime, en toute transparence, de même que certains épisodes marquants de ma biographie, je me plaçai derrière Sophie, passai mes bras autour d’elle et l’accompagnai vers le sol aussi délicatement que possible. La ceinturant encore, je m’appuyai dos au mur et permis ainsi à Sophie de se reposer/convulser (selon les phases) contre moi. La situation demeurait embarrassante, mais au moins, je m’inscrivais dans l’action.
Vous remarquerez toujours, en de telles circonstances, qu’une fois la victime prise en charge par un inconnu, tous ceux qui étaient déjà présents sur la scène du drame, ceux qui simulaient jusqu’ici un intérêt pour leurs boucles de chaussures, par exemple, se mettent soudain à regarder dans votre direction et faire valoir leurs compétences spécifiques, sans rien demander en retour, si ce n’est un rapide coup de torchon sur leur estime d’eux-mêmes. Tout ce processus est assez idiot mais cela se produit invariablement.
Sophie avait toujours les yeux fermés. Ses membres faisaient un peu ce qu’ils voulaient. Bref, elle ne se tenait pas convenablement et je craignais plus que tout autre chose qu’elle me vomisse dessus. C’est une phobie bien ancrée chez moi. Il était urgent d’entrer en contact avec cet organisme dysfonctionnel (et assez troublant) qu’était le corps de Sophie. Malgré des années de traque en milieu culturel, je n’avais pas remarqué ses jambes jusque-là. Elle n’avait pas du tout un physique de médiathèque. Bref, je vivais un grand moment de secourisme. Quoi qu’il en soit, je pris sa main dans la mienne :
« Mademoiselle, si vous m’entendez, serrez ma main, d’accord ? »
Astucieux procédé de communication, ne trouvez-vous pas, vous qui n’êtes pas du métier et n’avez pas le diplôme ? Mais je vous garantis que c’était complètement idiot. Sophie m’entendait parfaitement et exerça sur ma main gauche une pression d’environ soixante-cinq kilos par centimètre cube, ce qui m’obligea à me départir de mon flegme et rameuter ainsi le reste du quartier : « LÂCHEZ-MOI MADEMOISELLE POUR L’AMOUR DU CHRIST !! » hurlai-je à Sophie, même si je regrettai ces paroles la seconde suivante. « Voilà une drôle de manière de s’adresser à une jeune fille en détresse, m’interpella quelqu’un. De plus, il lui faudrait une chaise pour s’asseoir, si vous voulez mon avis ». Sophie et moi étions étendus sur le sol, au milieu des mégots et des gobelets en plastique, sa jupe était retroussée sur ses cuisses, j’étais en nage et elle bavait. Je n’avais rien demandé de tout ça. La scène ressemblait à s’y méprendre à une désastreuse tentative d’ébat amoureux sur un parking de boîte de nuit mais je n’y étais pour rien. Je faisais de mon mieux.
La femme qui ne jurait que par les chaises dans le cadre du traitement de l’épilepsie annonça être secrétaire médicale dans un cabinet d’ophtalmologie, comme si nous en avions quelque chose à foutre, Sophie et moi. À notre avis, cette expérience profe

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