La fin de notre petite île
181 pages
Français

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La fin de notre petite île , livre ebook

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Description

C'est une île à l'image de celle que nous cachons tous au plus profond de nos rêves, belle, vierge, intouchable, révélée en un jour par hasard à nos yeux éblouis, un roc dressé au-dessus de la mer d'un été d'errance heureuse. Le héros de ce livre l'a faite sienne, patiemment, amoureusement, sans se l'approprier toutefois. Il la voit changer, se livrer à la modernité, au flux touristique qui l'a tirée de son isolement et y imprime maintenant sa marque et ses excès. Depuis un moment, il ressentait en lui l'urgence d'en parler...

Sujets

Informations

Publié par
Date de parution 01 juillet 2009
Nombre de lectures 258
EAN13 9782296677906
Langue Français
Poids de l'ouvrage 3 Mo

Informations légales : prix de location à la page 0,0700€. Cette information est donnée uniquement à titre indicatif conformément à la législation en vigueur.

Extrait

La fin de notre petite île
 
Du même auteur
 
Récit
Les terrasses des Parnassiens, Jérôme DO. Bentzinger Éditeur, Colmar, 2007.
 
Michel Servé
 
 
La fin de notre petite île
 
 
Récit
 
 
L'Harmattan
 
 
© L'Harmattan, 2009
5-7, rue de l’Ecole polytechnique, 75005 Paris
 
Fabrication numérique: Socprest, 2012
Ouvrage numérisé avec le soutien du Centre National du Livre
 
http://www.librairieharmattan.com
diffusion.harmattan@wanadoo.fr
harmattanl@wanadoo.fr
 
ISBN : 978-2-296-09046-0
EAN : 9782296090460
 
Chapitre I
 
Le livre de la numéro sept
 
 
I l avait découvert le livre dans son île, c'est-à-dire dans la nôtre. Il aime à dire « mon île ». Ce n'est pas la sienne, bien sûr. Il n'y est pas né, avait longtemps vécu sans avoir eu seulement conscience de son existence. Un jour, il décida que le moment était venu de voyager sur la mer qui l'entoure. Le poète en avait fait la matrice du monde, le creuset de l'univers, des luttes pour la conquête et la défense de la dignité. Chacune des îles qui la parsèment fait claquer comme une incantation son nom sur les vagues soulevées par les vents étésiens. Il avait embarqué à destination de l'un des volcans qui dominent celle qui allait devenir son île, et toutes les autres. Un volcan à l'est, où de savants esprits avaient cru distinguer l'Atlantide. Un volcan à l'ouest, rendu célèbre par une statue fameuse, aujourd'hui orgueil d'un musée étranger et lointain. Il avait aperçu son île depuis le pont du navire, en avait été ébloui. Définitivement. Au point d'apprendre la langue qu'on y parle. Au point d'y venir et d'y revenir depuis des décades, autant dire une vie. Au point d'y avoir noué des amitiés profondes. Plus que des amitiés. Une connivence, une intimité, une relation physique. Il était tombé amoureux d'un roc, d'un navire de pierre et de son équipage.
Quand il vient, il loge toujours dans la même chambre, lui reste fidèle aussi longtemps que le hasard ne lui en offre pas une autre, plus riche de l'amour qu'il porte à ce lieu. Présentement, et depuis plusieurs années, il occupe la numéro sept, la plus grande dans le modeste hôtel de son ami Nicomède, au-dessus de l'école primaire. La numéro sept est devenue sa maison dans son île, comme une seconde peau. A chaque fois qu'il la retrouve s'impose à lui le sentiment qu'il vient tout juste de la quitter. Tout juste, c'est-à-dire six mois auparavant. La pensée que des dizaines de clients y sont passés entre-temps ne l'effleure même pas. Ils ont loué la numéro sept pour quelques nuits. Une autre numéro sept. Pas la sienne, qui a conservé dans ses murs et sur ses meubles l'empreinte qu'il y a faite. Il y dispose d'un réchaud, d'un peu de vaisselle, ce qu'il faut pour le café et les œufs du matin. Il entend monter à lui la voix profonde de l'instituteur et le chahut des enfants qui ne l'écoutent pas. Il reconnaît le bus au râle de son moteur, sait qu'il manœuvre sur la place pour redescendre au port. Il discerne la rumeur des vagues au bas de la falaise et les discussions qui lui parviennent du village par cette sorte de conduit auditif qu'est la ruelle qui y mène. Il est chez lui, voit la colline rougir au couchant et rosir au matin. Il s'étire voluptueusement dans son lit avant de se lever, écoute le braiment d'un âne et le chant du coq, avant de se chauffer le dos au soleil déjà haut.
En fait, il ne prépare pas lui-même son café. Ce serait trop bête de se priver d'aller le prendre à la petite table verte du « cafenion » de Kosmas. Il y retrouve Hector, qui attend le retour des pêcheurs, et revend pour leur compte le poisson de la nuit. Depuis sa chute du haut d'un toit, des années auparavant, il ne peut plus rien faire d'autre. Il subsiste ainsi, devant son café, tire sur sa cigarette, attend les pêcheurs. Il y a aussi Solon, déjà fatigué de balayer d'un geste négligent les mégots de la veille sur les dalles disjointes. Et Achille, ex-poivrot du village, retiré de l'alcool comme d'autres des affaires, qui ne paraît en rien son âge là où le commun des mortels eût succombé depuis longtemps à la cirrhose après tant de cuites et tant de caniveaux. Il y a tous ceux qui passent, s'arrêtent un instant, entament la conversation, prenant pour ça le temps qu'il faut.
Il est fier d'être ainsi des leurs, ou d'en avoir l'impression. Comme eux, il considère les autres visiteurs de l'œil de celui qui demeure, alors qu'ils ne font que passer. Pourtant, il ne fait que passer lui aussi. Passer et repasser, deux fois l'an, ainsi qu'un élément mobile du décor. Mais l'important n'est pas qu'il soit un élément mobile. L'important est qu'il fasse partie intégrante du décor. Il devient insulaire tout en ne l'étant pas. Rien alors ne subsiste de sa continentalité. A l'inverse, il songe souvent à sa part d'insularité lorsqu'il vit sur le continent, dix bons mois par an. Elle est son rêve, son luxe, son privilège. Il serait tenté de dire son égoïsme, puisqu'il est seul à choisir son moment et sa durée.
Dans sa chambre, la numéro sept, les autres clients, ceux-là même qui n'existent pas dans son esprit, abandonnent parfois le livre qu'ils ont lu durant leurs vacances. Il y en a bien une dizaine, rangés dans une petite niche cubique ouverte sur la paroi droite d'une autre, plus grande, qui abrite le miroir, et dont la base, couverte d'une plaque de verre, fait office de coiffeuse. Ils sont en anglais, allemand, italien. Et celui-ci en français : DIMITRIS HATZIS, « LA FIN DE NOTRE PETITE VILLE ».
Sa compagne, qui l'avait remarqué, entreprit de le lire : une série de tableaux faussement naïfs, décrivant un monde et des gens qui s'effacent dans la ville de Ioanina, patrie de l'auteur et capitale de la province d'Epire. Un lac, des montagnes, des minarets gardant la trace de l'occupant turc et du dissident Ali Pacha, qui y fut mis à mort. Des Juifs aussi, serrés dans leur quartier, discrets, humbles, soumis à des lois qui n'étaient pas les leurs, s'efforçant non seulement de ne pas déplaire, mais de montrer par tous les moyens qu'ils étaient fréquentables. Et puis un jeune homme destiné à une belle et tranquille carrière administrative, lui, l'obscur bachelier d'une obscure sous-préfecture trop éloignée de la capitale pour que le bras supposé long de ceux qui lui promettaient du bien dépassât les limites de la bourgade. Et qui végète, et qui attend, échafaudant toute une théorie après la disparition d'un pauvre hère, portefaix à la journée au marché local. Un professeur encore, échoué là depuis trente ans, solitaire dans sa chambre minuscule, mort un soir en laissant un testament alors que personne ne lui connaissait d'héritier. Les derniers tanneurs enfin, ruinés par la concurrence, qui brûlent leurs dernières cartouches à la chasse sur le lac, avant de fermer boutique et de se voir acculés à vendre leurs fusils pour avoir à manger. Tout un monde donc, comme une bougie dont la flamme vacille avant de s'éteindre, et de ne laisser plus dans le noir que l'âcre odeur de la mèche fumante.
Il avait parcouru le livre, l'avait laissé. A la fin du séjour, il l'acheta dans une librairie de la capitale, dans notre langue. Il le tenait entre ses mains, admirait la première de couverture
– Le nom de l'auteur, en lettres noires: ΔHMHTPHΣ XATZHΣ.
– Le titre, en lettres rouges de même hauteur: TO TEΛOΣ THΣ MIKPHΣ MAΣ ΠOΛHΣ.
Et, sous le titre, la photo en noir et blanc d'une barque sur le lac de Ioanina, près de l'île où fut exécuté Ali Pacha de Tebelen. Une photo prise au matin, quand le paysage émerge de la brume diaphane flottant sur le miroir de l'eau, seulement ridée par le battement lent de la rame que tient en main le pêcheur. Un jour sans vent, voile affalée au mât. Un matin sans bruit, c'est-à-dire riche de tous ceux, même les plus ténus, d'une nature qui s'éveille. La ligne de crête, encore ou déjà enneigée, et le fusain des arbres aux branches nues sur la jetée, devant la coupole et le fin minaret noyés dans le soleil levant. Sur la barque, le pêcheur, un de ces « tabaks » peut-être de

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