La Geste noire
286 pages
Français

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La Geste noire , livre ebook

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Description

La Chanson de Dendera est le premier volet de la trilogie LA GESTE NOIRE, série de trois romans dressant de grands portraits ayant marqué l'Histoire des Noirs. La Chanson de Dendera, personnage réel qui régna sur Palmares, royaume noir créé au Brésil par des esclaves fugitifs. Aux côtés de Zumbi, grand héros de l'Histoire du Brésil, elle guerroya contre les Portugais esclavagistes occupant alors le Brésil.

Sujets

Informations

Publié par
Date de parution 02 juillet 2009
Nombre de lectures 78
EAN13 9782296231146
Langue Français

Informations légales : prix de location à la page 0,1100€. Cette information est donnée uniquement à titre indicatif conformément à la législation en vigueur.

Extrait

Fabrication numérique : Socprest, 2012
J’adresse mes remerciements les plus sincères
à Monsieur Philibert Vignol
pour son aide précieuse
I
C’est la nuit.
Une lueur venant de l’extérieur révèle les aspérités des murs d’une case de senzalas, effleure les irrégularités d’une paillasse jetée à même la terre battue.
Une ombre humaine se penche sur une autre, allongée sur la paillasse.
La vieille esclave Rémilienne aide la jeune esclave Saona à accoucher.
Des plaintes étouffées s’élèvent par instants.
Dendera, accroupie dans un coin de la case, les écoute en frissonnant.
S’élève une chaude odeur de viscères crus.
Dendera comprend que l’enfant de Saona, condamné avant naissance, vient d’être mis à vie.

Les ombres humaines se détachent l’une de l’autre.
L’accoucheuse presse d’une main la bouche du nouveau-né pour étouffer son cri et de l’autre l’essuie, l’emmaillote dans une toile, le couche aux côtés de sa mère.
Puis sa silhouette troue de noir la faible clarté qui désigne la porte et disparaît.

L’éclaircie venant du dehors permet à Dendera d’observer les mouvements de la mère qui se met debout, son nouveau-né serré contre elle.
Elle se tourne vers l’est.
Le linge blanc de l’enfant se détachant sur sa poitrine sombre, elle présente l’enfant à un soleil invisible.
Puis se rassied et, penchée en avant, farfouille sous la paillasse, ramène un objet qui raye le clair-obscur d’un brutal éclat métallique.

La mère plaque l’enfant contre son sein, lève la main.
Y brille une longue aiguille.
La main prend appui sur le petit crâne, cherche le centre de la fontanelle, y enfonce l’aiguille d’une pression lente.

L’enfant n’a pas bougé.


L’aube naissante sort les senzalas de l’ombre à mesure de l’avancée de Dendera. A tous ceux qui sortiront de mon ventre, je ferai la même chose ! se répète-t-elle.
Longeant les cases, elle s’y revoit petite fille. La douleur frappe, dès le réveil, les hommes, les femmes et les enfants des senzalas. N’être que douleur et essoufflement en dormant ou étant éveillé. Elle a vécu cela jusqu’au jour où, revenant des champs, elle vit sa mère, Tilly, exposée pour être vendue – avec le bétail.

Dendera, cette même nuit, quittait les senzalas pour la casa grande.
Huit ans, un fruit vert mais déjà révélant une douceur que le Senhor de Engenho {1} , le Coronel {2} , son propre père, décida de s’approprier. Dans les senzalas, chacun sait que le Coronel s’est débarrassé de la mère pour profiter plus librement de la fille. Rémilienne, la vieille esclave accoucheuse, conduisit Dendera à la casa grande. Elle avait huilé la peau couleur de bronze, brossé la pâle chevelure, appliqué un onguent sur le bout des seins, sous les aisselles, au creux du petit sexe imberbe tout en invoquant Oshala, Oshum, Notre-Dame du Rosaire, et terminé la toilette en se signant avec ces mots : Qu’il prenne son plaisir, le Coronel !


Dendera monte la colline.
Si elle traîne souvent la nuit dans les senzalas, c’est à l’habitation des maîtres qu’elle passe ses journées ; elle suit l’enseignement que le Coronel inculque aux jeunes Portugais et à quelques esclaves.
Depuis sa treizième année, son attitude de petite fille soumise s’est transformée brutalement en celle d’une jeune fille arrogante et jouant de ses charmes avec provocation ; on dit que tous les docteurs {3} de la fazenda y auraient goûté.
Tu ne gagneras rien à te faire couvrir par tous ces Portugais ! l’apostrophe Rémilienne dès qu’elle en a l’occasion. Tourne-toi plutôt vers les tiens ! Adgamba te vénère…
Jamais je ne me donnerai à un esclave !
Adgamba n’est pas un esclave, il est affranchi, libre, alors que tu demeures une esclave stupide. Pourquoi ne profites-tu pas maintenant que ton père t’adule pour lui demander ton affranchissement ?


Dendera atteint le sommet de la colline.
Le soleil joue sur les foulards de soie et les bijoux dont elle aime à se parer. En contre-bas dans les senzalas, les esclaves s’activent. Devant la case de Rémilienne, où elle naquit, Dendera aperçoit le crâne blanchi de son père adoptif, le vieux Gustavio, Chef des esclaves. Saona, une jeune esclave qui a été violée par le fils du Senor de Engheno, vient de tuer son enfant et se traîne d’une case à l’autre. Il y a quelques heures, c’est Eléanora qui vient d’ôter la vie à son propre enfant. Gustavio a proclamé l’ordre de tuer les enfants nés de père portugais, ou esclave. Officiellement, ces nouveau-nés auront été emportés par le mal de mâchoires. Mal que les colons craignent plus que tout : il décime leur cheptel vif.
Demain, le Coronel s’arrachera les cheveux devant un petit corps sans vie de plus.
Saona aussi s’arrachera les cheveux et se roulera dans la terre : elle aura mis son enfant dans un petit sac et l’aura jeté dans une tombe à peine ouverte, vite refermée.
Dans les senzalas, des femmes jacassent et tournent sans cesse la tête vers Dendera. Elle connaît leurs paroles : la Mulâtresse a beau faire la fière, lorsque tous les docteurs de la casa grande lui seront passés sur le ventre, elle reviendra.
Jamais je ne retournerai dans les senzalas ! se jure Dendera à elle-même.
Elle brandit le poing, signe de ralliement propre aux esclaves révoltés et qu’elle a adopté comme signe de fidélité à sa propre cause :
Etre le plus fort, toujours, à tout prix !


Fernando de Azevedo, Seigneur des moulins, père naturel de Dendera, sort de l’abrutissement qui lui tient place de sommeil. Inondé d’une sueur aigre qui réveille les démangeaisons de son cuir chevelu ravagé par les piqûres de moustiques, il se saisit d’une cruche d’eau posée à même la faïence du sol, se traîne jusqu’à la terrasse de sa chambre et, penché au-dessus de la balustrade, se rince la bouche. La journée s’annonce accablante de chaleur et du caquet incessant des perroquets. Avec le crépuscule viendront quelques minutes de silence, de fraîcheur et de paix rapidement interrompus par la lévée des moustiques. Alors, de chaudes vapeurs s’élèveront des terres grasses, entraînant hommes et bêtes dans un délire brutal de procréation et de destruction pour les abandonner, à l’aube, dans une somnolence nauséeuse.
Oh, le Brésil n’a pas toujours été cette expurgation ! Longtemps, le Brésil représenta pour lui un corps de femme ; à en crever, il se gava des mamelles cuivrées des Indiennes, des ventres noirs des Africaines. Mais avec le temps se révéla le vrai visage du Brésil. Pas de répit. Les inondations succèdent aux sécheresses. Le paludisme, la syphilis, la gale sévissent. Sans oublier la vie larvaire qui corrode le bois, les livres, les vêtements, qui dévore la peau et la chair des hommes.
Se battre. Se battre. Se battre.
Depuis le Portugal, l’idée même du voyage avait représenté une lutte – contre la peur de l’inconnu ; durant la périlleuse traversée, ce fut la lutte pour la survie et, une fois ancré sur cette terre du Diable, la lutte pour une adaptation qui n’est jamais venue.
Le Fidalgo de Azevedo, de famille ruinée, traîne son existence d’une souffrance à l’autre. Misère et déchéance sociale au Portugal. Déchéance physique et mal de vivre au Brésil. La force de continuer l’aventure, il l’obtient en contemplant ses terres qui viennent de plus loin que les montagnes au nord et courent à perte de vue vers le sud. Pour les faire fructifier et les défendre, il a formé des centaines d’esclaves qui à leur tour auront formé bien des hommes – Africains et Portugais – à l’agriculture et au génie militaire. Une belle réussite. D’autant que cet an 1660 marque l’avènement d’une grande victoire : son titre de Fidalgo, menacé au Portugal, vient de lui être maintenu par décret royal. Une belle réussite, mais à quel prix !
Et s’il n’était que du Brésil.
Comptant à poids égal dans sa lassitude, il y a le malheureux amour qu’il voue à Dendera.
Une petite fille de huit ans vint loger à la casa grande. A l’époque, l’habitation tenait davantage d’une maison de plaisir que d’une fazenda. A regarder la fillette grandir,

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