La patrie dans le regard
224 pages
Français

La patrie dans le regard , livre ebook

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224 pages
Français

Description

Vivant à Paris avec son amant français, Nadia cherche refuge de ses antécédents de guérilla palestinienne. Mais son passé violent, dont l'homme - ancien marxiste - ignore tout, est voué à détruire leur fragile relation. Après avoir pris part à des actions violentes visant des cibles civiles occidentales, elle défie les leaders de la résistance palestinienne et fuit le combat, mais ne peut oublier les causes pour lesquelles elle a lutté : sa patrie et sa liberté personnelle.

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Informations

Publié par
Date de parution 01 juillet 2014
Nombre de lectures 12
EAN13 9782336352602
Langue Français
Poids de l'ouvrage 5 Mo

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Extrait

Hamida Na’anaLa patrie d a n s l e r e g a r d Roman
Traduit de l’anglais par Gérard Présenté Préface de Salah Stétié
La patrie dans le regard
Hamida Na’ana
La patrie dans le regard
Roman
Traduit de l’anglais par Gérard Présenté Préface de Salah Stétié
re © 1 édition, Dar al-Adab, Beyrouth, 1988.
© L’Harmattan, 2014 5-7, rue de l’Ecole-Polytechnique, 75005 Paris http://www.harmattan.fr diffusion.harmattan@wanadoo.fr ISBN : 978-2-343-00427-3 EAN : 9782343004273
Préface L’insecte dans le mur Voici un livre dense, puissant, émouvant et qui donne à penser. Un roman ? Mieux, un récit qui, à travers deux personnages centraux et quelques autres qui surgissent pour se retirer après avoir égorgé leur signification vitale, porte témoignage sur l’échec vertigineux de toute une généra-tion : celle qui, dans les années 70, avait cru sous l’in-fluence de quelques leaders charismatiques qu’elle allait changer le monde et qui s’est retrouvée, une vingtaine d’années plus tard, perdante et perdue. La révolution, la e grande idée de la deuxième moitié du XX siècle, était tout à la fois une bataille de chaque instant avec l’ordre imposé par le plus fort, c’est-à-dire nécessairement le plus injuste, et une magnifique inspiration poétique. L’injustice sera renversée pensaient les jeunes, parce qu’elle a des pieds d’argile et que nous avons pour nous, avec nous, le soutien et l’imagination de l’avenir ; le règne de la poésie, c’est-à-dire de l’ordre arraché au désordre et de la montée au ciel de l’espérance du soleil de l’amour enfin conquis, ce règne tiendra le sceptre pour la plus haute joie de l’esprit, de la conscience, de l’âme et du cœur. Voilà ce qui donne à ce livre sa palpitation nerveuse, sa fièvre, ses délires, sa patience qui n’est que l’autre forme de son impatience. Livre d’une exaltation qui, soudain, se regarde dans le miroir de l’histoire, après que l’histoire a été vécue et est passée, et voici que l’exaltation a les yeux cernés et en pleurs, la voici nue, rendue à sa réalité réelle qui n’est que cendre, embourgeoisement des idéaux et leur mort lente consentie, terriblement consentie et non moins terriblement justifiée dans ce consentement qui est un abaissement, une sortie de l’Histoire par la petite porte misérable.
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Je ne vais pas raconter au lecteur le récit de cette démission. Il faut qu’il fasse comme moi : qu’il ouvre avec peut-être une forme d’indifférence le livre de Hamida Na’ana et, l’ayant ouvert, qu’il ne parvienne plus à la quitter jusqu’à la dernière page, l’ultime mot. Ce qui se passe entre Frank, le glorieux théoricien de la révolution rangé des voitures, et Nadia, pour qui la révolution est la seule forme possible et légitime du véritable amour et la figure compassionnelle de l’Absolu, c’est au lecteur de le découvrir, de le débrouiller, d’en subir les ambiguïtés – vérités fondues en mensonges, mensonges convertis en vérités –, de s’en laisser obséder comme par ce bruit d’insecte qui ronge le silence dans la chambre de la jeune femme, mais ce silence ainsi réduit en lancinement désespéré, c’est, en fait, une cause, une patrie, une raison d’être. Nadia, combattante armée pour la dignité de l’homme, l’autre nom de la poésie, a, par son intran-sigeance, tout perdu. Le récit, en quelques pages finales, dit comment elle a peut-être, à nouveau, tout gagné. Livre écrit sans fioritures, sans phrases inutiles, sans étreintes désordonnées, mais avec les mouvements, la gesticulation de qui veut échapper au feu dévorant, à la folie. Tout cela se passe, l’espace d’une longue lettre à l’ami décevant entre la place Dauphine à Paris et un monde arabe qui, en profondeur et dans les couches de son inconscient, prépare ses révolutions qui bientôt éclateront. Mais ici, le monde arabe spolié et meurtri est une réduction de la planète Terre et de son malheur naissant et renaissant. Les combattants repus de la misérable justice en marche se battent, nous dit-on, pour obtenir deux steacks à leur déjeuner. Nadia, « celle qui appelle l’avenir », écoute en elle, comme une bestiole de Kafka, le temps grignoter le temps. Salah Stétié
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Tu sais que c'est le temps de la guerre. Le temps de la mort. Le temps des embrasements et des terres lointaines. Le temps de l'errance dans les rues de l'exil. Le temps à passer dans d'étranges cités, leurs visages voilés par la brume. Tous les liens avec ta patrie sont brisés. Il ne demeure que l'éloignement. Dans le miroir, tu vois la femme face à toi mourant lentement jour après jour, et l'enfant dans ton sang se réveillant. Tu sais que c'est le temps de la guerre. Guerre et temps. La nuit te ramène toujours à cette réalité amère. Tu essayes d'en finir avec la vie en te précipitant sur les trottoirs de la solitude. Tu entends le son de ta voix sortant de ta gorge, son écho revenant en vain. L'encre a cessé de t'attirer. Les blanches feuilles de papier ont perdu leur éclat ensorcelant. Le fervent désir d'avouer ton secret est émoussé. Où vas-tu ? La ville que tu traverses habituellement, portant en tête le grand rêve du retour, est devenue une prison. Les jujubiers sauvages restent gravés au cœur de ton malheur avant d'être chassés par le vent.  La nuit ne peut-elle donc cesser son bavardage ? Ne peut-elle disparaître dans l'obscurité, et te laisser reposer ? Depuis combien de temps es-tu amoureuse des terrasses des cafés ou des visages des étrangers ? Ou de ces trottoirs trempés du sang de tes camarades ? Ou du sentiment d'échec qui te replonge dans les profondeurs de
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toi-même, vaincue ? Le temps est venu de redevenir une femme. Je sais que c'est le temps de la guerre. Je sais que c'est aussi le temps de la renaissance. Le temps de ces arbres tropicaux qui, pour fuir la solitude, meurent étouffés par leurs branches s'enroulant sur leurs troncs. Mais les branches doivent aussi mourir, car pour s'apaiser il en extrait la vie. Je viens d'une terre où tout meurt au moment de sa naissance, et où tout vit dans sa propre mort. Je viens d'une terre où les cieux versent l'eau dans le sol pendant cent jours, et où le soleil retire ces eaux et les remonte vers les cieux pendant des centaines d'autres. C'est de là que je viens, un lieu où la guerre toujours abonde à la source de chaque rivière. Je sais que c'est le temps de la guerre. Et je sais que c'est aussi le temps de l'échec, de la défaite et de la soumission. Et le temps des questions qui brûlent ma gorge et reviennent sans réponse du fond de mon être. Le temps des peurs sans nom et des attentes sans fin.
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Paris, 1977 – Je cours vers toi en sentant la pluie fouetter mon visage et mon corps. Je vois la neige danser devant les ponts reliant l'Île de la Cité à la vieille ville. M'enveloppant dans ma cape marocaine, je fonce dans l'obscurité. Tu es debout dans une niche du pont sous un lampadaire. La brume tourbillonne autour de toi comme la musique des tsiganes montant des vallées de la joie. Je m'approche : "Désolée, je suis en retard. Mon patron m'a retenue en me redonnant du travail. Je n'arrête pas de lui dire qu'il doit me laisser partir à l'heure. Six heures signifient la liberté pour moi." Je ris, et poursuis : "Mais pour lui, c'est le temps arabe et tu sais ce que cela veut dire !" "Je ne devrais pas m'en inquiéter," réponds-tu en riant. "Regarde ce que nous avons fait du temps ici. Deux guerres mondiales et Dieu sait combien d'autres conflits." Étendant ta main vers moi, tu commences à secouer ma chevelure trempée d'eau. Puis tu m'abrites sous ta veste de cuir, et nous partons vers la Place Dauphine. Je m'arrête sur le Quai des Orfèvres en face du Palais de Justice et je te regarde. Je ne peux te voir clairement à travers l'orage mais, au milieu du vent et de la pluie, tu ressembles à un capitaine de navire entreprenant un voyage sans fin ni même un seul arrêt au port. Je te dis : "Deux guerres mondiales. Et nous continuons à combattre pour une cause sans espoir… De temps en temps, je souhaite qu'une autre guerre démarre, au moins alors nous saurions où nous en sommes." Je vois un voile de colère passer sur ton visage. Tu as beaucoup d'expressions différentes et je ne peux jamais
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