La petite samouraï
144 pages
Français

Vous pourrez modifier la taille du texte de cet ouvrage

La petite samouraï , livre ebook

-

144 pages
Français

Vous pourrez modifier la taille du texte de cet ouvrage

Description

Isabelle doit partir à Berck-sur-Mer rejoindre les enfants allongés. Pourquoi Berck ? Parce que Berck est la plage la plus iodée du Nord-Pas-de-Calais et parce que l'iode répare les os. Alors que le charleston est parti endiabler Le Touquet, un peu plus loin, les malades des os envahissent Berck-sur-Mer. La jambe d'Isabelle doit être placée en extension ici à Berck. La maladie fait la fortune économique de cette station de la Côte d'Opale où la grève se mélange au ciel dans des harmonies de gris. (...) un drôle de désert dont jamais, pendant mes deux ans d'étirement, je n'effleurerai le sable.

Sujets

Informations

Publié par
Date de parution 01 avril 2010
Nombre de lectures 279
EAN13 9782336260631
Langue Français

Informations légales : prix de location à la page 0,0550€. Cette information est donnée uniquement à titre indicatif conformément à la législation en vigueur.

Extrait

La petite samouraï

Isabelle Durieux
© L’Harmattan, 2010
5-7, rue de l’Ecole polytechnique ; 75005 Paris
http://www.librairieharmattan.com diffusion.harmattan@wanadoo.fr harmattan1@wanadoo.fr
9782296118157
EAN : 9782296118157
Sommaire
Page de titre Page de Copyright PREFACE CHAPITRE 1 CHAPITRE 2 CHAPITRE 3 CHAPITRE 4 CHAPITRE 5 CHAPITRE 6 CHAPITRE 7 CHAPITRE 8 CHAPITRE 9 CHAPITRE 10
PREFACE
Isabelle Durieux nous a quitté le 13 juillet 2009. À quarante-neuf ans.
Elle avait achevé ce livre auparavant. Très vite, elle en avait envoyé un exemplaire à notre père.
Lorsque je lisais ce livre, je pleurais. Je pleurais sur l’enfance de ma sœur, sur la mienne. Nous avions partagé la même histoire, chacune de notre côté. Celle d’un divorce dont notre mère ne se remettra jamais. Terrible déception de très jeunes amoureux, qui frappera durement leurs deux enfants.
Mais, tandis que mon enfance était plongée dans une morne grisaille dont je garde peu de souvenirs, la maladie aiguisait celle de ma sœur qui l’engrangeait dans sa mémoire, pour ne jamais l’oublier. La précision des souvenirs impressionne. Comme si elle avait voulu pouvoir les raconter un jour, comme si elle avait voulu les garder. Les garder pour les envoyer un jour à son père.
Ce qui est raconté dans ce livre est exact.
Larmes et souffrance y sont enlacées dans un terrible besoin, dans un besoin de l’autre, dans un besoin d’amour. Appétit de vivre mêlé à l’impossibilité. Impossibilité de bouger. Et puis, le formidable silence de la réponse.
C’est pendant sa maladie à Berck qu’Isabelle a découvert les mots, l’amour des mots, source d’une vocation pour les lettres. Elle est devenue journaliste.
Nous ne pouvons que nous incliner devant ce livre merveilleusement écrit, qui résonne comme un cri, testament précédant une mort prématurée.
Véronique Durieux
Enfin ma tête est libérée, dit Alice avec un ravissement qui se changea en angoisse quand elle s’aperçut que ses épaules avaient disparu.
Lewis Carroll, Alice au pays des merveilles
CHAPITRE 1
J’ai quatre ans et demi et ma hanche s’est bloquée, je sors ce jour-là de mon école de La Garenne-Colombes en boitant et en pleurant de douleur. Contrairement à un mal de ventre, le mal de hanche est rarement une simulation. Mon cas est pris tout de suite au sérieux et, au départ, il a l’avantage de toute maladie, déclencher un surcroît d’intérêt, d’amour de la part de mes proches. Mes parents sont divorcés, mon père est loin, il habite Angoulême. Je me souviens à peine de son visage, mes parents se sont séparés quand j’avais deux ans. Depuis, il n’a pas cherché à revoir ses enfants. Maman nous élève ma sœur et moi (Véronique est mon aînée d’un an) avec le soutien moral et financier de ses parents, bientôt elle trouvera un emploi de secrétaire.
C’est sérieux, disent les docteurs. C’est la maladie de Legg-Perthes-Calvé, du nom des médecins qui l’ont diagnostiquée, un accident de croissance de la hanche de l’enfant. Le cartilage se détruit faute d’être bien irrigué par le sang. La tête du fémur est déformée, un peu comme une balle de ping-pong qui serait aplatie, interdisant la rotation dans le cotyle, ce petit creux de la hanche dans lequel l’os vient s’emboîter.
Alors Gepetto ? Il est raté ton pantin, regarde, quand cela devrait rouler tout seul d’avant en arrière, cela coince. Eh quoi ! Elle ne peut même pas shooter dans un ballon, ta marionnette, ni botter un caillou ! Ni courir, ni marcher.
« Comment ? Le bois a fait des siennes ? »
Le vieux Gepetto empoigne Pinocchio d’une main, de l’autre il saisit un petit rabot. Puis il se gratte la tête, c’est plus embêtant qu’il ne pensait, c’est une perte de matière, la belle tête fémorale qu’il avait polie avec soin, elle se nécrose, on ne sait pas pourquoi. Comme si la sève avait déserté le bois trop vert, comme si le bois avait travaillé, en creux. Du coup, la jambe gauche apparaît plus courte.
Gepetto, un conseil, peaufine bien ta marionnette avant de lui donner vie. Malheur de malheur, Pinocchio est déjà vivant ! Alors, donne-lui de l’estomac, beaucoup d’estomac. Car, faute de mouvement, pour lui la vie devient une maladie.
Trêve de pantin et de contes de fées, le sang n’irrigue plus l’os de ma hanche, qui se décalcifie, qui rétrécit, bref, c’est l’« ostéochondrite » de la hanche telle qu’elle est de nos jours répertoriée, une maladie rare qui touche en grande majorité les garçons. Faute d’explication définitive, on pense que les garçons sont plus turbulents et qu’ils infligent des chocs ou des pressions à leurs membres inférieurs, qui peuvent retentir sur la vascularisation des hanches. On appelle cela des micro-lésions. Bof... Pourquoi pas ? Les causes ne seront probablement jamais élucidées, on parle aussi d’un mal génétique mais non héréditaire..., d’un mal mystérieux qui touche en majorité les bretons héritiers d’une tare alcoolique. Hypothèse rejetée. Mon père est moitié lorrain moitié picard, ma mère a quant à elle des parents juifs d’origine séfarade qui ont trouvé une patrie en France au début du siècle, avant d’échapper de justesse à la shoah. Ce n’est donc pas en passant par la Bretagne que mes cellules osseuses se sont affolées, se sont dénaturées.
Sans soins adaptés, le cartilage disparaîtrait complètement, obligeant à la greffe osseuse. C’est la boiterie assurée et des emmerdements à vie puisque la greffe osseuse n’a qu’une durée limitée. Voilà ce qui arrive aux pauvres gosses que les parents ont laissés boitiller quelques années de trop.
Mais il y a aussi tous les gamins du monde qui ne seront jamais soignés et rejoindront la cohorte des boiteux, des bossus, des scrofuleux, des quasimodos, des mal emboîtés, des mal vertébrés, des éclopés...
Mon parcours à moi, enfant privilégiée, commence par étapes. On m’étale toute nue sur la table de radiographie. Comme elle est froide, comme elle est dure, les jambes pliées et écartées à plat de chaque côté ! Voilà, c’est bien, comme une grenouille. C’est à mon bassin qu’on en veut. Me voilà campée sur mes omoplates bien pointues, et puis retournée sur un côté, sur l’autre. Un grand boîtier noir qui paraît atrocement lourd s’approche de moi au bout de son bras articulé, l’objectif me fait un grand clin d’œil. « Tchic Tchac. Respirez... » Attends, ce rachis on va l’avoir, et maintenant le bassin. Radiographie fémorale, pelvienne... six millimètres de différence entre les deux têtes de fémur. Profil, hanche droite, hanche gauche. Les minutes entre les clichés sont des heures. Un jour, un médecin plus humain que ses confrères dépose un petit linge sur mon « bassin ». C’est presque pire, les autres n’avaient même pas remarqué que j’étais toute nue et en martelant « respirez », ils s’adressaient à un... corps anonyme posé là, sur la paillasse d’un laboratoire. Ils avaient oublié la chair autour du squelette, c’est ce que j’essaie de faire moi aussi. J’oublie ma chair, je pars ailleurs, je suis l’âme de Pinocchio qui attend la remise en état de sa marionnette. Absente de moi. Quant au radiologue derrière sa guérite, il a la voix déformée comme par un masque à gaz... «Ne respirez plus », lance-t-il. J’anticipe cet ordre. Et la machine pousse un mugissement de sirène. Cette petite apnée va devenir une habitude. Que de radios, que d’os translucides ou opaques, encore des os, des os... Heureusement, on n’en veut qu’à mes os.
Les rayons x mettent le squelette à nu, cette grue énorme contemple mon bassin et mes hanches, et mon « tutu » est tout honteux d’être là en plein milieu. Mais je compte sur toi, petit tutu pour rester silencieux, tu ne vas pas ouvrir ta petite fente devant tout le monde. Là, j’en mourrais. Il y a une chance pour que personne ne t’ait remarqué, alors calme, hein, dodo. Heureusement tu n’intéresses personne, le personnel médical paraît tout inféodé à la machine, effrayé à l’idée de gâcher un cliché, de louper un profil. Tant mieux. Et moi, je fixe un mur sinon je pourrais croiser un regard sur mon... Il faut se taire et mordre ses joues dedans.
En blouses blanches, les médecins mesurent les os, dé

  • Univers Univers
  • Ebooks Ebooks
  • Livres audio Livres audio
  • Presse Presse
  • Podcasts Podcasts
  • BD BD
  • Documents Documents