La rivière impétueuse
259 pages
Français

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La rivière impétueuse , livre ebook

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259 pages
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Description

L'histoire se déroule dans cette Afrique du Sud où les peuples, empreints de violence et de haine, n'ont cessé de s'entredéchirer. La rivière impétueuse, habitée par le souffle d'un Zoulou, n'est pas à proprement parler un roman historique mais trouve sa source au milieu de ces hommes qui font l'histoire, grands ou petits, célèbres ou anonymes. Des camps de concentration à l'apartheid, des premières victimes hollandaises à l'icône Mandela, ce roman traverse les tragédies d'un pays en devenir.

Sujets

Informations

Publié par
Date de parution 01 janvier 2010
Nombre de lectures 255
EAN13 9782296691490
Langue Français

Informations légales : prix de location à la page 0,1000€. Cette information est donnée uniquement à titre indicatif conformément à la législation en vigueur.

Extrait

La rivière impétueuse
© L’Harmattan, 2010
5-7, me de l’Ecole polytechnique, 75005 Paris

http:// www.librairieharmattan.com
diffusion.harmattan@wanadoo.fr
harmattan1@wanadoo.fr

ISBN : 978-2-296-10913-1
EAN : 9782296109131
Jean-François Rutka


La rivière impétueuse


roman


L’Harmattan
À Lauren
Chapitre I
L a geôle poussait l’esprit à prendre son envol. Il fallait oublier les conditions pénibles dans lesquelles on était tombé ; en attendant des jours meilleurs, on se raccrochait à ce que la pensée a de plus extraordinaire : s’échapper au-delà de l’imaginable et y trouver un peu de réconfort. Nul ne peut emprisonner l’esprit de celui qui est assez fort ; Jan Vliet était de cette espèce d’homme que jamais le sort ne vient briser. Il avait certes subi de dures épreuves, en avait ressenti d’immenses douleurs, mais ç’avait toujours été, finalement, pour renforcer son mental, particulièrement depuis ces derniers temps, où les ambitions communes de son peuple s’étaient effondrées, soumises à la volonté de l’ennemi. Jan Vliet, cependant, se disait que rien n’est jamais perdu, et que l’espoir, même au pied du mur, ne doit pas replier ses ailes. Au contraire… Il regardait ses deux mains avec une énergie farouche et se répétait avec insistance : « Elles sont encore là ; personne ne peut m’en priver, personne ne peut m’empêcher d’écrire, non, personne… Et quand bien même on me les trancherait, j’aurais encore une tête pour réfléchir, j’aurais encore mes rêves pour m’enfuir. Un jour, peut-être, le calvaire prendra fin, et je veux en être le témoin. Non, Jan, tu n’as pas le droit d’abdiquer, ne serait-ce qu’en l’honneur des tiens, de tes aïeux, mais aussi de ta postérité. Je ne veux pas que l’on dise de toi que tu étais un lâche, que tu n’as pas su endurer la souffrance. Tes ancêtres sont venus ici ; ils se sont battus pour construire quelque chose de solide, ce n’est pas pour te désespérer en voyant la maison s’écrouler. Toute pierre qui se détache et qui tombe peut être récupérée et reposée à sa place initiale ; toute brèche peut être colmatée. Oui, Jan, tu dois être l’artisan de l’espoir. Depuis peu, trop d’entre nous ont baissé les bras ! Montre-leur que ce n’est pas la solution. Il faut rester debout, même quand on nous porte des coups violents, même quand on nous prive de notre raison de vivre. La vie reprend toujours ses droits ; le fumier ne peut pas l’empêcher de rejaillir. Nous devons savoir être patients. Et ce que nous rebâtirons sera bien plus solide que par le passé. Dans la douleur, nos ancêtres avaient quasiment réussi à construire une nouvelle nation, une nation de gens volontaires, d’aventuriers, de téméraires, des gens qui ne tremblaient pas, prêts à tout pour défendre leur territoire. Et voilà ce que nous, nous en faisons. L’humiliation, ce n’est pas d’avoir été battus, l’humiliation, c’est de se décourager… »
Un vieil homme, quelque peu rustaud, avait entendu Jan du fond de sa cellule. Il s’approcha des barreaux qui séparaient les deux prisonniers, et, sur un ton moqueur, ramena son vis-à-vis à la réalité.
« Qu’est-ce qu’il t’arrive ? Tu causes tout seul, maintenant ? Tu parles à ton double ? Et tu crois que t’es le seul à vouloir rester debout ? Tu te veux peut-être le chef de ceux qui résistent ?… Ah !… un homme qui résiste !… tu en fais un beau !… enfermé dans ta prison comme nous tous !… Qu’est-ce que tu as fait pour l’éviter ?… J’ai vu, moi, des hommes qui ont lutté jusqu’au bout et qui ont donné leur vie. Eux, au moins, ils ne sont pas ici.
Ils sont sous terre ! Tu peux me dire à quoi ça sert ?
Et toi ? À quoi est-ce que tu sers en bouffant ici du pain rassis, et en te cognant la tête contre les murs ?
Si tu le vois comme ça, à pas grand-chose. Mais je n’ai jamais prétendu révolutionner les mentalités.
En tout cas, c’est la tienne que tu révolutionnes. Manquerait plus, en cogitant à voix haute, que tu te dédoubles et que tu nous quittes complètement. Un fou ! oui, un fou !
J’ai toute ma raison, Hendrick. Ne crois pas que notre situation me tape sur le système… Un jour, notre peuple sera libre ; il sortira vainqueur. Plus personne n’aura alors à lui dicter ce qu’il doit faire. »
Quelques autres prisonniers, que ce début de conversation avait animé, se manifestèrent aussitôt d’une même voix :
« Jan est dans le vrai. On mange en ce moment notre pain noir, mais pour après, je vous dis, moi, qu’il y a pas de doute à avoir… On fera la fête jusqu’à plus soif. On chantera. On dansera. On se souviendra de notre misère passée avec un grand sourire, autour d’une bonne table.
Toi qui sais écrire et si bien raconter des histoires, Jan, tu raconteras la nôtre. Tu y mettras tes mots pour dire combien on y croyait autant que toi. On n’est pas tous comme Hendrick ; on râle pas, on supporte, on attend notre heure. Gare à la revanche ! »
Malgré le bougonnement d’Hendrick, des cris de soutien montrèrent combien Jan imposait le respect. Peu importait que son raisonnement divergeât parfois du reste de la communauté, peu importait que l’homme, par moments excessif, considérât les siens comme trop pusillanimes. Au fond, ils savaient tous que l’égard qu’ils nourrissaient les uns envers les autres était sincère. Les mots abusifs n’étaient que les conséquences d’un long emprisonnement. Quel être vivant, doué de sa plus parfaite raison, ne serait pas en proie, en de telles circonstances, à des périodes de relâchements ? Jan avait une telle emprise morale et intellectuelle sur les autres qu’on ne lui aurait pas tenu rigueur d’un quelconque délire.
« Non, Jan, tu peux nous croire, nous avons toujours la même volonté de nous battre ! Nous sommes enfermés ? Et alors, qu’est-ce que ça change ? L’énergie qu’on ne peut pas donner aujourd’hui, on l’emmagasine ; et quand elle explosera, on sera plus fort que jamais ! »
Des exclamations de joie répondirent à ce qui paraissait une évidence et résonnèrent comme si, déjà, l’avenir accréditait leur souhait le plus cher. Dans cette grande pièce d’une dizaine de cellules, on eût dit qu’un succès venait d’être remporté. Les barreaux s’effa-çaient pour laisser place à un écho grandissant de liberté. Les barrières tombaient devant le champ immense de l’espoir. Les prisonniers s’évadaient par la pensée pour conquérir des lendemains plus souriants.
Les lits, tout de planches et peu moelleux, étaient suffisamment rigides pour servir de socles. Fermes, ils furent pris d’assaut par les prisonniers qui, à peu près simultanément, s’y dressèrent en levant le bras et en jurant que, jusqu’au bout, ils resteraient des héros. L’un d’eux, emporté par l’émotion et l’ardeur générale, commença même à lancer un cri de ralliement. Mais on se modéra bien vite quand un verrou se fit entendre et qu’un cerbère pointa sa truffe.
« Allons ! allons !… qu’est-ce qui se passe, ici ? C’est quoi tout ce tintouin ?
Rien, répondit Jan, presque penaud. Il faut bien qu’on retrouve de l’allant. On essaie de s’occuper comme on peut.
À votre aise, mais dans le calme ! De toute façon, on va bientôt vous expédier ailleurs. C’est une question de jours. »
La lourde porte se referma, laissant derrière elle un silence d’effroi. Ailleurs… ailleurs… se répéta Jan. Ailleurs, c’était, pour certains, avec beaucoup de chance, retrouver leur famille, c’était le sourire de leurs rejetons dont ils avaient été séparés dans les derniers affrontements, c’était leur rire qu’ils avaient quasiment oublié depuis que le sort s’était fait obscur, mais c’était aussi se tenir derrière des fils barbelés, parqués dans ce que l’on peut désigner comme les premiers camps de concentration. Chez le vainqueur, il n’était pas question, pourtant, d’exterminer un peuple, non, mais seulement de maintenir les prisonniers dans des camps adaptés à leur quantité. Aucune idéologie ne venait parasiter cette nouvelle forme d’emprisonnement. Les fils barbelés étaient une trouvaille suffisamment intéressante et pratiqu

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