Le banc
101 pages
Français

Vous pourrez modifier la taille du texte de cet ouvrage

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Description

Les cendres d'un homme ont été dispersées dans le jardin de sa maison de campagne, sous le banc qui jouxte un imposant noyer. C'est là que le disparu rêve désormais, acteur invisible d'une scène aussi étrange qu'émouvante. Alors qu'il médite sur les épreuves et les joies de son existence, sa compagne s'assied sur le banc et s'ouvre au ressenti de l'inexorable dégradation du malade, un temps où malgré l'amoindrissement, il s'était efforcé, par touches sensibles, de rester l'homme qu'il avait été.

Sujets

Informations

Publié par
Date de parution 30 octobre 2019
Nombre de lectures 0
EAN13 9782806122957
Langue Français
Poids de l'ouvrage 1 Mo

Informations légales : prix de location à la page 0,0700€. Cette information est donnée uniquement à titre indicatif conformément à la législation en vigueur.

Extrait

Couverture
4e de couverture
copyright




Publié avec l’aide du Fonds national de la littérature
D/2019/4910/55
EAN Epub : 978-2-8061-0489-2

© Academia – L’Harmattan s.a.
Grand’Place, 29
B-1348 Louvain-la-Neuve
Tous droits de reproduction, d’adaptation ou de traduction, par quelque procédé que ce soit, réservés pour tous pays sans l’autorisation de l’éditeur ou de ses ayants droit.
www.editions-academia.be
Titre

Marianne Sluszny







Le banc



Récit
Dedicace
À Elena, Liam, Sacha, Vega et à ceux qui viendront peut-être encore…
Prologue
2 janvier 2017
Ce jour-là.
Ce fut avec un sentiment étrange et inédit que j’ai perçu le son mat de fermeture de la porte en fer forgé de l’entrée de l’immeuble dont nous avions occupé l’appartement, 5 e gauche, près de trente ans. Un bruit lourd qui m’est parvenu comme un battage, fracassant l’histoire de nos amours, un claquement ingrat au chagrin de la perte.
J’étais de l’autre côté de l’immeuble. Du côté des vivants mais désormais sans clés, pour remonter la ligne du temps.
Encaissée dehors, trois ans et cinq mois après ton décès. Jour pour jour.
J’ai chargé dans la voiture les dernières boîtes du déménagement, les inclassables dont le contenu – une veste traînant au fond d’un placard, un bibelot abandonné à la cave, un pot de miel, une boîte avec des clous, un pot de cirage, un paquet de kleenex, un balai à moitié chauve, une lampe torche et une photo de famille qui espérait se faire oublier derrière une plinthe – évoque le désordre des fins de parties.
Je me suis accrochée au volant pour démarrer, éprouvant, malgré la peine, un profond sentiment de soulagement. J’ai eu le réflexe d’actionner les essuie-glaces. En vain. Ils n’ont pas asséché mes yeux mouillés de larmes.
Ce deux janvier 2017 fut un beau jour d’hiver.
Froid, sec et ensoleillé.
Une heure plus tôt, au cinquième étage dans le bureau de l’appartement, j’ai pris des photos de la vue que tu avais observée sous tous les angles aux quatre saisons de la vie pendant vingt-cinq ans. Chaque fois que ton regard s’évadait de tes lectures pour contempler ton Central Park .
Le parc Josaphat.
Il fut singulier que tu puisses, lors de notre installation commune, te réapproprier sa part de rêve et de poésie.
Car tu l’avais déjà tant aimé.
Ne t’avait-il pas inspiré un film au souffle lyrique au tout début des années 1970 ?
Un printemps à Schaerbeek , image après image, trois mois d’éclosion de fantaisie et de tendresse, dans le parc fou de liberté, de créations spontanées, d’échanges vrais et de rencontres imaginaires, de déjeuners sur l’herbe, de débordements peace and love . Une grande vadrouille épique suscitée par des artistes sortis des salles, des auditoires, des carcans, des préjugés et des horaires réguliers 1 .
Oui, tu l’avais tant aimé. Ton parc Josaphat.
Avec sa vallée qui te faisait renaître dans un des berceaux de l’humanité. Près de Jérusalem et du mont des Oliviers. Làbas, en imaginaire, au temps du jugement dernier. Ici, devant la statue d’Émile Verhaeren, érigée à l’ombre d’un saule pleureur et face à un parterre de fleurs, à l’abri de la ville tentaculaire.
Le parc Josaphat et ses rayons de clarté qui se faufilent entre les branches et les feuillages, comme s’ils cherchaient à évoquer la peinture du luministe Émile Claus, dont le poète avait exalté les toiles qui coloraient le monde par la lumière dont il avait saisi le mouvement.
N’avais-tu pas un jour, fasciné par la manière dont Claus avait capté « l’aspect le plus fluctuant des choses » (Émile Verhaeren) réalisé un film sur ce peintre qui avait baptisé sa maison des Flandres : Clair Soleil ?
Le bateau qui passe (Émile Claus) laisse à l’infini des traces de frémissement sur les eaux de sa traversée.
Et le souvenir creuse à jamais son sillon dans le cœur des abandonnés.
Vendredi 2 août 2013
Le jour de ta mort
Ton fils, notre fille et moi, dans un silence troublé de sanglots, effleurons d’une caresse ton visage devenu insensible.
Nous chuchotons ton prénom comme des appels insensés et t’adressons quelques mots tendres que tu ne perçois plus. Nous sommes tous trois pétrifiés comme la pierre que tu n’es pas encore. Comme si de marbre, nous aurions pu figer la venue de la catastrophe, malgré la progression de la cyanose de tes mains, les bruits de ton organisme de plus en plus étrangers à l’ordre des vivants, l’épuisement de ta respiration et le rapprochement de tes apnées.
Rendre le dernier souffle…
Comme si tu l’avais reçu en prêt soixante-huit ans plus tôt.
Est-ce le dernier ? Non, tu cherches encore à aspirer de l’air à travers tes narines pincées puis tu le renvoies de tes poumons gorgés d’eau, des entrées et sorties d’oxygène, à chaque fois plus serrées et minces, jusqu’à une vidange plus sonore que les précédentes, l’acmé et la chute, le signal que cette fois, la vie t’a abandonné.
12 heures 38.
Soixante-huit ans de joies et de peines, d’excès et de raisons, d’idéaux et de combats, de rêves lumineux et de réalités amères, d’impulsions bilieuses et de très beaux sentiments se sont envolés.
C’est le silence dans la chambre mortuaire.
Quelques moments de consternation autour de ce qui est désormais ton cadavre. Les sanglots éclatent, cette fois sans retenue.
L’un après l’autre, on s’échappe de la pièce. Je me laisse gagner par une agitation fébrile. Il y a tant de choses à mettre en place pour fuir la réalité. Il faut faire constater ton décès, prévenir l’infirmière des soins palliatifs qu’il n’y a plus d’urgence à ce qu’elle vienne te soulager, avertir les proches et amis, commander le service des pompes funèbres.
Téléphones et parlottes. Aussi assommantes que provisoirement salvatrices.
On sonne à la porte. C’est le docteur qui vient vérifier si tu es bien mort. Il n’y a aucun doute . Au revoir docteur et merci beaucoup…
Puis, les croque-morts pénètrent dans l’appartement.
Ils chuchotent et, malgré leurs carrures larges et leurs corps ventripotents, se déplacent, comme s’ils avaient enfilé des chaussons de danse, sur la pointe des pieds.
Ils entrent dans la chambre comme dans un sanctuaire.
La mine recueillie pour une mise en scène parfaite, les hommes en noir s’efforcent de faire oublier que ta dépouille, cette vie volée, n’a fait que passer et qu’il convient de placer en gibecière ta chair de gisant.
Le maître du trio nous convie à te regarder, te toucher, t’embrasser une dernière fois. Dans quelques instants, les ensevelisseurs vont te glisser dans une housse en nylon plastifié. Tel que tu es. C’est un jour de canicule et tu portes juste une chemisette de coton.
Tu resteras ainsi. Il n’y aura ni habillage, ni rembourrage.
Pas de shampoing pour lustrer tes cheveux collés en mèche par l’effet de la chaleur et de l’effort que tu as fait pour mourir.
Pas de fond de teint, pas de rose à joues pour tromper ta mine blafarde. Tu n’es pas un comédien que l’on grime pour un tournage.
Il n’y aura pas de défilé devant ton cadavre. Tu as voulu quitter cette terre aussi discrètement que tu y étais arrivé.
Ce vendredi 2 août 2013, à l’affût de tes derniers instants de visibilité – l’enfouissement de ton corps emballé dans la voiture funèbre – je me suis agrippée à la rambarde du balcon de l’appartement. J’ai crié des mots de refus qui résonnaient en moi d’une force inconnue, presque surnaturelle, comme s’ils étaient dotés du pouvoir de freiner ta dernière sortie.
Le corbillard a démarré et, comme s’il glissait sur des neiges éternelles, il t’a enlevé loin de mon champ de vision et du temps qui me reste à moi.
Jamais plus, tu ne te retourneras pour me faire un signe de la main, juste un au revoir sur le chemin.
Jamais plus, je ne te verrai traverser la chaussée ou tourner le coin de la rue.
Ni à gauche vers le parc Josaphat. Ni à droite pour rejoindre l’arrêt du bus 65 ou du tram 25.
Car ta route c’est le funérarium, la chambre frigorifiqu

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