Le corps déstabilisé
364 pages
Français

Le corps déstabilisé , livre ebook

-

364 pages
Français

Description

Chez les personnages de Claude Pujade-Renaud, la défiance à l'égard du langage et de ses ratés relaie une grande lucidité sur l'ordre social, qui correspond à une certaine antipathie à l'égard des codes et rituels sociaux. Les choses ne vont jamais d'elles-mêmes. Parfois le décalage est généré par un incident extérieur, un accident. La place du personnage n'est plus assurée. Fréquemment, les personnages de l'écrivain semblent, comme celle qui les a engendrés, en proie à une difficulté de positionnement social. Comment s'en sortir ?

Sujets

Informations

Publié par
Date de parution 01 mars 2007
Nombre de lectures 54
EAN13 9782296167766
Langue Français
Poids de l'ouvrage 3 Mo

Informations légales : prix de location à la page 0,1350€. Cette information est donnée uniquement à titre indicatif conformément à la législation en vigueur.

Extrait

Le corps déstabilisé

© L'HARMATTAN,2007
5-7,rue de l'École-Polytechnique; 75005Paris

http://www.librairieharmattan.com
diffusion.harmattan@wanadoo.fr
harmattan1@wanadoo.fr

ISBN : 978-2-296-02799-2
EAN : 9782296027992

Sylvain FEREZ

Le corps déstabilisé

L’œuvre de Claude Pujade-Renaud (II)

L'Harmattan

DU MÊME AUTEUR :

Mensonge et vérité des corps en mouvement.L’œuvre deClaude
Pujade-Renaud, L’Harmattan, 2005.

Au génie, bon ou mauvais,
deceuxquisouffrentd’être inexistés.

FONDEMENTS POUR UNELITTÉRATURERÉFLEXIVE

Claude Pujade-Renaud écrit beaucoup sur le corps. Sur la danse
d’abord, qui est au cœur de certains de ses récits. Sans doute une trace
de son expérience d’interprète etde chorégraphe.L’effetd’uneleçon
desannées passéesdans lemonde del’éducation physique.Mais
l’acuité de ceregardsur le corps nes’arrêtepas là, elle diffusepartout
dans l’œuvre. Chaque scène de vie quotidienne est susceptible
d’apparaître sous laforme d’unemise en scèneoù l’essentiel
transparaîtdans l’intensité d’uncoupd’oeil,la chaleurd’une étreinte
ou lapudeurd’une distancequi peine à êtrefranchie.Naît l’étrange
sensationd’êtrehabitépar l’universdu livre.C’est par lescorps qu’on
entre dans les personnages,qu’oncerneunesituation.C’estaussi par
eux qu’on s’endétache,revenant,par-delàlesentimentd’un vécu ou
d’unehistoirepartagés, àl’infranchissable abîmequi sépare del’autre.
Après tout,le corpsdel’autre,toutcommelelivre,restera àjamais
une extériorité, etempreintdequelque chose d’insaisissable.
Souscetangle, l’œuvre littéraire de C. Pujade-Renaud semble au
plus loin de l’univers du « nouveau roman». À « l’idéalisme abstrait »
des récits sans sujetde Nathalie Sarraute etd’AlainRobbe-Grillet,
l’écrivain opposel’expérienceprimordiale d’uneincarnation.Cette
centralité ducorps,toutenéloignantdela dissolutiondes personnages
etdelaréificationdes rapports propresanouvu «eau roman », évite
deretourneraux frangesdu roman «psychologique» oudu roman
1
«éducatif » .L’aspectéthiquen’est jamais prévalentet laquestionde
l’engagement,quand elle apparaît, estaccessoire.Les personnagesde
C.Pujade-Renaudse distancientainsidhu «éros problématique»de
GeorgesLukács oudu « hérosdémoniaque»de René Girard.
D’uncôtélevécucorporel faitbarrage àla cohérencetyrannique
2
d’un système d’objetsautonomisé,il maintientdu sujet, del’autre
l’expériencequele corpsdonne à éprouver précèdetouteinterrogation
ou questionnementexistentiel.Onest loindes romansde Camus, de
Sartreoude Malraux.Aucunequête d’universel,ni questionnement
sur lasignificationd’unengagement.Pasdemise en perspective des

1
Goldmann, Lucien,Pour une sociologie du roman[1964], Paris, Gallimard,
«Idées»,1970,p.25.
2
Rétablissant un peu l’équilibre dans lerapport personnages/objets par rapportau
« nouveau roman ».

9

valeurs et de l’action, non plus. L’essentiel est ailleurs, il s’enracine au
creuxducorps.Uncorps qui nesauraitêtreréduitau jeu mimétique et
3
àlastructure delaréciprocitéque décritGirard.Pas plus qu’il ne
sauraitêtre circonscritau point limite, bord du gouffre,oùaimaitàle
tenirMallarmé, dont lematérialismesensualistevisait, à encroire
Bourgain-Wattiau,l’élaborationd’unepensée charnelle apte à
4
s’inscrire«dans lamatérialité ducorps ».
Entre la séduction de lamimesiset l’attirance du vide, l’œuvre de
C. Pujade-Renaud semble ménager unespace demise en lumière et
5
d’interpellationcorporelle .Évidemment, cet espace se construit dans
une trajectoire sociale où l’écriture littéraire prend la suite d’un certain
nombre de tentatives antérieures. Sur ces dernières, nous avons déjà
6 7
écrit un ouvrage biographique. Il faudra parfois y revenir .Mais il ne
s’agit pasde céderàl’aridité delaméthodepsychobiographique.Tout
au plus,par moment,l’analyse croisera-t-elleles principesd’une
8
«cliniquelittéraire» ou les règlesd’unepsychosociologie clinique.
Empruntant les voiesdelasociologie del’art, elles’efforcera, àla
suite d’Elias, de déjouer les piègesdela biographie et le cliché du
9
génie artistique.Histoire d’éviter lamenace desombrerdans
l’alternative du génieindividueletdela détermination sociale, avatar
qui sembletoujours hanter la critiquelittéraire,longtemps tiraillée
10
entrelemarxisme et lapsychanalyse.
Il s’agit donc de garder ses distances à l’égard de la représentation
sociale sur la capacité de changement qu’incarnerait «l’Artiste »,

3
Girard, René,Celui parqui lescandale arrive, Paris,Desclée deBrouwer, 2001.
4
Bourgain-Wattiau,Anne,Mallarmé oula création aubord dugouffre, Paris,
L’Harmattan,«Psychanalyse etcivilisation »,1996,p. 33.
5
Miliani, Mahmoud, L’écriture du corps, inCorpsetCulture, 3, 1998.
6
Ferez, Sylvain,Mensonge et vérité descorpsen mouvement, Paris, L’Harmattan,
«Espace et tempsdu sport », 2005.
7
Des extraitsd’entretiens réalisésavecC.Pujade-Renaudseront parfoiscités.
L’usage determesévoqués oralement parcette dernièreseramarquépar l’italique.
8
Huchet,Jean-Charles,Littérature médiévale etPsychanalyse.Pour une clinique
littéraire, Paris, PUF,1990.
9
Elias,Nobert,Mozart,sociologie d’un génie, Paris, Seuil,1991.
10
Lasociologue del’artNathalie Heinich oppose ainsidemanièrequasi rituelleson
approche«compréhensive»,soi-disantattentive àlalogiqueinterne desœuvres, à
l’étude du détermisme des causalités externes qu’elleprête à PierreBourdieu:Ce
que l’artfaità lasociologie, Paris, Minuit,«Paradoxe»,1998;Lasociologie de
l’art, Paris, LaDécouverte,«Repères »,2001.

10

imagetrès mobilisatrice etenjeudeluttesdans l’universartistique.Là
oùcertainsdiscoursdesociologie del’art veulent voirdans l’artisteun
facteurde désordrevecteurde changement,Bourdieu rappellepour sa
part,suivantNietzsche, combien les poètes kabyles sontd’abord des
11
« professionnelsdelamanipulationdu mondesocial ».Mais si le
sociologuepointe ailleurs que,pourPlaton,lepoète est «l’antithèse
absolue du philosophe», dans lamesureoù,jouant sur lamimesis,il
12
faitcorpsavecun messageplutôt qu’il nele dit,il n’en soulignepas
moins lapuissance d’analysequepeut recéler lapratique artistique de
KarlKrauss. Il n’hésite ainsi pas à considérer ce dernier comme
13
« l’inventeur d’une technique d’intervention sociologique ».
Lathèseprincipale de celivre est quelepouvoird’interpellation
corporelle des textesde C.Pujade-Renaud correspond àune certaine
façond’yélaboreretd’y fairetravailler l’ordresymbolique.Par le
langage estainsi réfléchieunelogiquequi parle égalementauxcorps,
parcequelescorps laparlent. Bref,il meten lumièreunerationalité
pratique,ou plutôt ilatteste d’une certainenécessité àlefaire.Etcette
nécessité,véritableprédisposition réflexive,nes’apparentenullement
àundon.Elle estaucontrairelefruitd’uneposturesocialemarquée
par l’impossibilité dese conformeraux positions socialesexistantes.
Bizarrement, c’est l’absence de classe, au sensde catégorie, de case,
deplaceinscriteoudepositionenregistrée dans l’ordre deschoses,
qui porte au géniesymbolique.Legénie artistique,n’endéplaise aux
théoriciens marxistes,n’est pas portépar une classesociale,mais par
dé-classement (undé-placement) ou,mieux,unnon-classement.
Lecorpusdetextesanalysésdébordelesécritsàproprement parler
littéraires,travaillant parfoisaux margesde l’œuvre. SuivantFoucault
etDerrida, cette dernière n’est pas définie commeunensemble
formel,mais plutôtcommeunemachinerietextuelle dont lalogique
interneprolifère,parfois
jusqu’àsegommer,s’effacer,s’annulerellemême.Unefoisdégagée, cettemachinerie àlasource de l’œuvre est
questionnée dans son lien à la biographie.L’analyseinternes’articule
alorsàl’analyse biographique(externe à l’œuvre) et à l’analyse

11
Bourdieu, Pierre etMammeri, Mouloud,Dubon usage del’ethnologie,Actesde la
recherche ensciences sociales, 150, décembre 2003, p. 15.
12
Bourdieu, Pierre,ChosesDites, Paris, Minuit, 1987, p. 99.
13
Bourdieu, Pierre,Interventions.Sciencesociale etactionpolitique, Marseille,
Agone,2002,p. 377.

11

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