Le Roi Cottius
178 pages
Français

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Le Roi Cottius , livre ebook

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Description

Le docteur Burdet, médecin à Bozel en Tarentaise, soigne deux blessés victimes d'un accident de voiture survenu à côté de son domicile. Sophie Racovitch reste en convalescence chez le médecin tandis que son fiancé, Daniel Jolibois, retourne à Paris. Passionnés tous deux d'histoire et de tradition régionale, le docteur Burdet et Sophie décident de faire revivre les grandes heures de la Tarentaise, peuplée aux temps antiques par les Allobroges, au moyen d'une grande manifestation où un idiot du village jouera le rôle du roi Cottius, figure emblématique de ce peuple. À la fois burlesque et émouvant, ce roman décrit la prise de conscience régionaliste en Savoie au début du XXe siècle.

Sujets

Informations

Publié par
Date de parution 06 mars 2015
Nombre de lectures 64
EAN13 9782365752732
Langue Français

Informations légales : prix de location à la page 0,0056€. Cette information est donnée uniquement à titre indicatif conformément à la législation en vigueur.

Extrait

Louis Dimier



Le Roi Cottius




Collection Terroirs « Classiques »





I

En 1904, le Doron, ruisseau descendu de la Vanoise qui passe par Bozel en Tarentaise, déborda, roulant sur les champs d’alentour une masse énorme de terre et de gravier, si soudainement que plusieurs personnes qui s’y trouvèrent périrent ensevelies, et qu’un plus grand nombre furent ruinées par le ravage de leurs champs.
Dans le peu de soin pris par le gouvernement de diguer les rivières, qui causait ce malheur, le docteur Burdet, qui exerçait en cet endroit la médecine, s’empressa de reconnaître l’effet d’une coupable routine héritée de l’impérialat romain, pendant que les sociétés de libre pensée, qui depuis peu avaient fait de Bozel un siège de leur prédication dans le pays, y semaient les quolibets tirés de Voltaire et de Robinet contre l’ancien déluge, ressentaient une fureur sans bornes du nouveau, comme si celui-ci avait répondu à leurs provocations et faisant en d’eux un public exemple des châtiments de Jéhovah.
Bozel est un fort petit endroit, et la Tarentaise une province fort lointaine, la plus inconnue de la Savoie et de toute la France. Le nom de Moûtiers, sa capitale, barbouillé en Moûtiers-Salins par le chemin de fer, n’est, pour les gens qui s’y transportent, que celui d’une station d’express, d’où l’automobile les emmène soit à Brides, soit à Pralognan, où la vie se passant pour eux à prendre les eaux ou à gravir les monts, ne leur laisse pas le temps de s’enquérir de la contrée, ni de se demander seulement en quel pays ils sont tombés.
Cette grande obscurité explique que les faits qu’on va lire soient demeuré inaperçus, le public qu’ils ont agité étant en outre trop restreint pour que l’écho s’en répandît. Sur place même le souvenir en est comme effacé, perdu dans le fracas de la guerre, qui succéda : en sorte que mon récit sera peut-être taxé de fable, quoique véridique et même vraisemblable, puisqu’il ne donne à connaître, dans ce canton reculé des Alpes, que des figures et des passions semblables à celles qui, sur des scènes mieux exposées, ont acquis la célébrité. Ajoutez que ce témoignage, qui mêle, comme pris sur le fait, les événements privés à l’Histoire, y met la couleur familière qu’on aime à trouver dans les romans. Ainsi je puis espérer que même ceux qui refuseront de croire que la chose est arrivée, ne s’en plairont pas moins à l’entendre raconter.

* * *

Ce qui rendait dans Bozel le docteur Burdet remarquable, était qu’il se faisait une affaire personnelle du sort de la Gaule conquise il y a deux mille ans par Jules César. Cet événement, reculé dans le lointain des siècles, agissait incessamment sous ses yeux. Il se regardait comme asservi lui-même dans ses ancêtres par la conquête, se faisait un devoir de haïr le vainqueur, de revendiquer contre Rome le génie opprimé de la Gaule, et de venger en toute occasion, par d’aigres et ardents propos, Vercingétorix, héros et martyr de la liberté gauloise. Ces idées ridicules lui venaient d’Henri Martin, qui les inculque dans son Histoire de France , et de Jean Raynaud, auteur de Terre et Ciel, que lui avait fait lire une barbe de 48, propriétaire aux environs, ennemi de la superstition, qu’en temps de révolution il bravait aux yeux des villages, en attachant à la queue de ses mules des chapelets et des scapulaires.
Bozel n’a pas trois rues, quoique chef-lieu de canton. Il ne tient au monde que par la vallée de Brides, infréquentée l’hiver, et dont il voit l’été les baigneurs en promenade passer sans s’arrêter. Dans un lieu ainsi fait il n’y a pas de raison pour que les esprits se renouvellent. Ils y végètent comme les fortunes, c’est le séjour de l’idée fixe. Tel était l’état du docteur. Tout ce qu’il voyait autour de lui, il le commentait avec la sienne. Au sujet de n’importe quoi qui se passait, le percepteur, le receveur de l’enregistrement, l’instituteur, l’agent-voyer, l’archiprêtre étaient assurés, quand ils le rencontraient, d’ouïr ramener Vercingétorix, Jules César, le siège de Gergovie et d’Alise-Sainte-Reine, accompagnés dans les grandes circonstances d’invectives contre les légions et contre la louve du Capitole. Toutes ces raisons parurent quand le Doron déborda, mêlées aux cris que les autres poussaient contre le ciel, auxquels elles contribuaient à donner l’air savant.
En politique Burdet se classait radical, adversaire du cléricalisme, qui retarde, en professant le mystère, le progrès de la science. Il n’aimait pas le pape plus que Jules César, et le nom même de Rome l’aidait à les confondre dans une même réprobation ; en sorte que le jour où un ministre de son bord, étant allé fêter Vercingétorix à Clermont, prit à témoin la statue du héros de la guerre qu’en malmenant l’Église il prolongeait lui-même contre l’oppression romaine, fut pour Burdet le plus beau de sa vie.
Burdet avait la quarantaine. L’indépendance de son humeur l’avait dissuadé de prendre femme, et aussi la commodité des soins qu’une sœur plus âgée restée fille donnait à son ménage, et qui le dispensaient d’épouser. On l’appelait mademoiselle Camille. Une existence plus bornée encore que celle du docteur la maintenait dans sa dépendance. Elle avait envers lui une soumission complète, dont Burdet abusait, parce qu’il était égoïste, et une admiration dont il se repaissait, car il était glorieux. Leurs parents étaient morts. Le père, pharmacien en son temps au même lieu, avait amassé quelque bien, que par horreur des gens de loi les enfants laissaient dans l’indivis. Comme ils avaient peu de chose à se dire, une paix profonde régnait entre eux. Elle ne faisait place à la contestation que quand le docteur feignait de vouloir briguer l’élection de la Chambre si le député venait à manquer, parce qu’alors les sentiments que mademoiselle Camille souffrait à son frère dans le privé, il eût fallu les mettre sur des affiches, et que cela lui faisait horreur ; car elle était bonne catholique, et même zélée pour la paroisse, dont plusieurs œuvres étaient entre ses mains. Quant au succès, on eût pu l’espérer par l’estime dont jouissait la famille du docteur, le prestige de sa profession, les propos mêmes que dictait sa manie, qu’on prenait pour l’effet d’un profond savoir. Mais il ne songeait à rien moins, et ce qu’il en disait était pour le discours.

* * *

C’était plusieurs années après le petit déluge, un soir d’été. Le docteur, rentré d’une visite lointaine qu’il avait faite dans les villages, se reposait. Par la fenêtre ouverte de son cabinet, il goûtait le silence du soir, la fraîcheur répandue par la nuit qui s’approche et la douceur du jour tombant, quand un fracas soudain retentit. Un pas précipité, le seuil de sa porte franchi, celle de son cabinet secouée par un grand coup, le tirèrent de sa tranquillité. Qu’est-ce qu’il y avait ? Il fallait venir tout de suite. C’était un accident d’auto.
Il sortit d’un pas leste. A cent cinquante mètres sur la route du Villard, qui mène à Pralognan, une voiture était renversée, son avant défoncé, une de ses roues arrachée. Elle avait heurté une charrette, abandonnée là sans lanterne, et dont le débris jonchait le sol. Deux personnes gisaient à terre : une jeune femme privée de sentiment, et un jeune homme que les gémissements qu’il poussait n’empêchèrent pas de s’expliquer. Tous deux logeaient à l’hôtel à Brides, où il était trop tard pour aller chercher les premiers soins. Burdet offrit de les donner. Le jeune homme avait une jambe cassée. Une blessure à la tête, dont le sang s’épanchait, faisait craindre pour la vie de sa compagne, dont le docteur, en l’examinant, ne put s’empêcher de remarquer les cils longs, le front délicat, les sourcils magnifiques, le pur ovale du visage et les opulents cheveux noirs.
On chargea les blessés sur deux brancards. Tout le temps qu’on mit à gagner la ville, le jeune homme n’interrompit ses plaintes que pour s’informer de l’état de sa compagne, d’une voix que l’angoisse rendait rauque et tremblante. Le bruit de l’accident répandu mettait en mouvement le voisinage, qui proposait son assistance, et qui se dispersa quand mademoiselle Camille eut d

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