Le roman des immigrés
182 pages
Français

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Le roman des immigrés , livre ebook

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Description

Un reporter arrive en France où il enquête sur l'immigration et les immigrés. Bénéficiant de l'aide d'un informateur, il parcourt les rues de Paris et de sa banlieue, emprunte les transports publics et explore les administrations à la recherche d'histoires marquantes. De celle de Geneviève à celle de Vidal, il fait une véritable autopsie de la société française, si bien que Le Roman des immigrés, pourrait bien être aussi le roman de la France.

Sujets

Informations

Publié par
Date de parution 02 novembre 2015
Nombre de lectures 35
EAN13 9782336394329
Langue Français
Poids de l'ouvrage 1 Mo

Informations légales : prix de location à la page 0,0700€. Cette information est donnée uniquement à titre indicatif conformément à la législation en vigueur.

Extrait

Couverture
4e de couverture
Écrire l’Afrique
Écrire l’Afrique
Collection dirigée par Denis Pryen

Romans, récits, témoignages littéraires et sociologiques, cette collection reflète les multiples aspects du quotidien des Africains.


Dernières parutions

Paterne BOGHASIN, La ruine et la malédiction , 2015
Jean-Baptiste BOKOTO APANDA, Une histoire de violences, Je suis Charlie au Congo , 2015
Jean DUBUS, Là-bas, entre terre et ciel , 2015.
Fred JULIANI, Contes et mécomptes d’Afrique et d’ailleurs , 2015.
Jean-François Sylvestre SOUKA, Madame Gentil , 2015. Thierry VUNOKA, Héros anonymes , 2015.
Jérémie MULIKARE, La vie des pygmées Batwa au Rwanda , 2015.
Irène ASSIBA d’ALMEIDA et Sonia LEE, Essais et documentaires des Africaines francophones. Un autre regard sur l’Afrique , 2015.
Jean-Pierre EYANGA EKUMELOKO, Enfin éclos d’un vase clos , 2015.
Jules ERNOUX, La Précarité quotidienne en Afrique de l’Ouest. Culture et développement , 2015.
Éric BOUVERESSE, Celui qui voulait être roi. L’Afrique, terre des esprits , 2015.
Joseph Marie NOMO, L’envers de l’argent, 2015.
Françoise UGOCHUKWU, Bribes d’une vie nigériane. Mémoires d’une transformation identitaire , 2015.
Athanase RWAMO, La rue, refuge et calvaire , 2015.
Judicaël-Ulrich BOUKANGA SERPENDE, Et si brillait le soleil…, 2015.
Abdoulaye MAMANI, À l’ombre du manguier en pleurs, suivi de Une faim sans fin , 2014.
Baba HAMA, Les amants de Lerbou , 2014.
Titre
I TOUA -N DINGA






Le roman des immigrés


Deuxième édition revue et corrigée
Copyright
Du même auteur

Maman je reviens bientôt , Paris, PAARI-LEN, 2014.

Les Muselées. Un drame français en deux actes , Paris, L’Harmattan, 2011.

Le Banquet de Nganga-Mayélé , Paris, L’harmattan, 2009.

















© L’Harmattan, 2015
5-7, rue de l’Ecole-Polytechnique, 75005 Paris
http://www.harmattan.fr
diffusion.harmattan@wanadoo.fr
EAN Epub : 978-2-33674-443-8
I
Au départ, cette histoire me paraissait plutôt banale. Je pensais qu’il me contait pour la seconde fois La dame aux camélias d’Alexandre Dumas fils. Bien que Gabriel, de nature affable, ne m’ait jamais conté des historiettes sans épaisseur, j’étais quand même indécis et un peu incrédule ce jour-là. Puisqu’il insistait beaucoup sur le caractère unique de cette histoire, j’avais fini par fléchir. Avec mon carnet de notes et mon crayon à bille qui marchait parfaitement bien, j’avais pris place dans un vieux fauteuil à côté duquel se trouvait un minuscule radiateur qui chauffait à peine la pièce dans laquelle nous nous trouvions. J’avais pris place et je notais. Je notais pendant que dans un coin, sur une plaque électrique noire, mijotait un plat typiquement congolais. C’était de la morue séchée trempée dans la pâte d’arachide ou Dakatine et recouverte de coco – les Brazzavillois appellent ça trois pièces –, qui imprégnait doucement la petite pièce de son odeur.
Cette pièce, située au sixième étage d’un vieil immeuble des années 1900, était une chambre de bonne qui coûtait 262 euros à Gabriel. Outre cette chambre exiguë, Madame des Mimosas en possédait une vingtaine d’autres dans plusieurs arrondissements de Paris ; des chambrettes qu’elle louait à des prix exorbitants, exclusivement aux immigrés africains, maghrébins, chinois, malgaches, indonésiens et tutti quanti, en situation irrégulière ou traversant des moments de précarité extrême. Aux dires de Gabriel, Madame des Mimosas, sa logeuse, les premiers jours de chaque nouvelle lune, passait d’arrondissement en arrondissement récolter son argent. Tous les locataires de Madame des Mimosas savaient pertinemment que leur logeuse, pour un petit retard de deux ou trois jours, devenait aussi agressive qu’un félin : « dans ce cas, je vous invite à prendre la porte », disait-elle souvent d’un ton éraillé à ses locataires rebutés. C’est une femme sans cœur et sans âme, me dit-il avec un ton lourd de lassitude. Toujours à en croire Gabriel, Madame des Mimosas n’acceptait jamais de paiement ni par virement bancaire, ni par mandat postal, encore moins par chèque bancaire. Du cash uniquement. Aussi, Gabriel me dit avec beaucoup d’humour que sa logeuse était une fidèle assidue de la cathédrale du quatrième arrondissement de Paris. Que chaque vendredi saint et chaque dimanche matin, elle occupait la première place parmi les premiers fidèles, fléchissant son genou droit devant un Christ en métal pendu dans un coin de la cathédrale et souriant cérémonieusement à monsieur l’Abbé tandis qu’il lui tendait le Corps du Christ et la Coupe remplie de son sang. Madame des Mimosas, conclut-il, n’est qu’« une glaneuse de sous, la Bible à la main, la croix gammée sur le cœur ». Cette expression de Gabriel ne cesse jamais de m’amuser chaque fois que je revois les notes de notre entretien.
J’avais donc pris place dans la chambre de Gabriel, malgré l’odeur du moisi et la présence de l’amiante. Je n’avais pas le choix. Dans le métier de Reporter Sans Frontières, il faut faire des sacrifices : nos vies sont une offrande sur l’autel de l’humanité. J’étais, malgré tout, attentif à tout ce que me disait mon interlocuteur pendant que, sur le feu, sa marmite mijotait avec raffinement. Il me contait l’histoire avec demi-sourire goguenard et je ne comprenais guère son attitude narquoise et peu familière de gamin qui le caractérisait ce jour-là. Au fur et à mesure qu’il avançait, railleur, dans son récit, j’avais fini par réaliser que la femme au sujet de laquelle il voulait à tout prix m’entretenir était une de nos compatriotes. C’était Geneviève, une Congolaise qui avait, dans cette France des années 2000, perdu ses repères comme toutes les femmes de nos Afriques contemporaines. Mais l’histoire de Geneviève n’avait rien à voir avec celle de La dame aux camélias , cette grande dame qui avait parcouru tous les hauts lieux de Paris, cette belle créature aux yeux de citronnelle, cette belle mondaine que le trépas avait fini par escroquer et dont les objets avaient été bazardés devant un grand public parisien à la fois triste et scrupuleux, arrogant et rieur.
« La vache noire », c’est le pseudonyme que les immigrés de Château-Rouge avaient attribué à Geneviève. Tous les immigrés de nos Afriques du dix-huitième arrondissement de Paris connaissaient dans les détails son histoire, l’histoire qu’ils contaient et racontaient dans les matanga , dans les nganda et dans d’autres lieux semblables. Geneviève aux yeux ronds, aux lèvres appétissantes, aux hanches bien faites, à la poitrine sensuelle et au ventre plat, avait cessé de fréquenter les milieux africains parce que son histoire lui collait à la peau. On ne la voyait plus à Château-Rouge, à Barbès-Rochechouart ou encore à la Gare du Nord : elle était complètement coupée du reste du monde. Même l’ombre de sa silhouette ne pouvait plus être aperçue dans les magasins Tati, aux marchés aux puces d’Argenteuil, de Montreuil, de la Porte de Clignancourt, de Sarcelles, ou encore dans tous les fast-foods du dix-huitième arrondissement de Paris : McDonald’s, Quick, KFC et bien d’autres. Geneviève aurait fait une dépression si elle n’avait pas changé de ville, si elle n’avait pas emménagé dans le sud-est de la France, loin des regards moqueurs de ses compatriotes. Elle était certes partie, mais laissant derrière elle des chuchotements presqu’inaudibles de femmes chiches et des soirs agrémentés de zestes de ricanements. Ces femmes, maladroitement snobes et bêcheuses, ne se lassaient pas de se la raconter à la moindre occasion.
Geneviève était une Congolaise respectée dans son entourage avant qu’elle n’émigre en France. Elle travaillait au ministère des Mines et de l’Energie pour un salaire de 300 000 francs CFA par mois. Avec cet argent, elle subvenait aux besoins de ses parents retraités, de son unique fils et de son mari qui passait des journées entières à jouer au Tiercé, au Loto ou au Poker. A la différence de son paresseux parasite de mari, Geneviève était une jeune femme travailleuse ; une femme dont l’image reflétait celle de nos pieuses, estimables et cérémonieuses femmes que l’on retrouvait jadis dans nos antiques traditions

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