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Description
Sujets
Informations
Publié par | Le Lys Bleu Éditions |
Date de parution | 24 juillet 2018 |
Nombre de lectures | 33 |
EAN13 | 9782378773021 |
Langue | Français |
Informations légales : prix de location à la page 0,0000€. Cette information est donnée uniquement à titre indicatif conformément à la législation en vigueur.
Extrait
Le sang de nos prières
Béatrice Ammera Mendo
Le sang de nos prières
© Lys Bleu Éditions – Béatrice Ammera Mendo
ISBN : 978-2-37877- 302-1
Le code de la propriété intellectuelle n’autorisant aux termes des paragraphes 2 et 3 de l’article L.122-5, d’une part, que les copies ou reproductions strictement réservées à l’usage privé du copiste et non destinées à une utilisation collective et, d’autre part, sous réserve du nom de l’auteur et de la source, que les analyses et les courtes citations justifiées par le caractère critique, polémique, pédagogique, scientifique ou d’information, toute représentation ou reproduction intégrale ou partielle, faite sans le consentement de l’auteur ou de ses ayants droit ou ayants cause, est illicite (article L.122-4). Cette représentation ou reproduction, par quelque procédé que ce soit, constituerait donc une contrefaçon sanctionnée par les articles L.335-2 et suivants du Code de la propriété intellectuelle.
« Être femme, c’est mettre à mort son cœur. »
Léonora Miano
Rendez-moi ma douleur d’antan
Le bourreau nouveau est arrivé
Rendez-moi ma douleur d’antan…
« Je ne sais même pas par où commencer pour raconter la chose qui a fait que les vies des nous se gâtent et qu’on est en train de marcher fou-fou comme ça sur une mauvaise route. Une route qui est même comme s’il n’y avait pas de route. Rien qu’avec les cailloux pour blesser les nous bien-bien même. On marche wala-wala comme ça. On est pitié beaucoup même. Le jour-là, les nous sommes beaucoup de femmes, et avec les hommes qui ne sont pas beaucoup comme les fusils qu’ils ont portés pour venir nous prendre. On marche vitement et les gens-là, ils disent que ça ne suffit pas, qu’on marche pour nous plus vite et personne ne va fuir.
Qui peut même fuir maintenant ?
On est beaucoup peur. Moi, je n’ai même pas regardé derrière, pour voir encore la ville de Kolofata une dernière fois. On marche seulement. Je marche même alors que rien ne marche rien.
Je marche pour aller mouri, et si je ne marche pas, je mouri aussi.
Pour les nous est vraiment compliqué. La vie est dure comme le caillou. J’ouvre beaucoup mes yeux et aussi mes oreilles. Si Allah veut, peut-être que je serai la vie pour dire ça avec ma bouche. C’est comme ça que je dis dans mon cœur le jour-là, quand je marche derrière les autres. On marche seulement, la chose qui va arriver pour faire les nous, va seulement arriver pour faire les nous ».
Un triste jour. Ce jour où Kolofata nous a vues partir. Emmenées de force… une colonne de femmes arrachées à leur vie de femme. Comme cruellement répudiées par un mari impitoyable. En même temps que condamnées à rejoindre un époux encore plus abominable.
J’ai laissé derrière moi ma vie. Mes petits bonheurs. Mes grands malheurs. Pourtant. Je sais que je ne suis pas sauvée. Un malheur chasse l’autre. Cet autre que je ne connais pas me fait peur. Nous sommes forcées de tout quitter. Ceux qu’on aimait. Tout ce qu’on aimait. Alors, je me lamente. En silence. Il est tout ce que j’emporte. Le silence.
Celui que je quitte est mort. Ce que je quitte ne sera plus.
Il me faut pleurer ce qui ne sera plus. Mes larmes laveront peut-être mon passé. Mais peuvent-elles laver ce qui n’est pas encore ? Elles sont de très mauvaises sandales. Les larmes. Pour danser au bal du futur. Mes larmes sont impuissantes devant ce qui vient. Qui m’arrache pourtant de grosses larmes. Mes douleurs d’antan en bandoulière. Me voilà à l’entrée du bal du futur. Inquiétant. Je vais danser. Oui. Danser sur la sinistre mélodie de la terreur qui vient. Qui est déjà là. Qui valse avec le monde impuissant. Qui a envoyé valdinguer mon passé. Qui s’apprête à maculer de sang mon futur.
Laver le passé a-t-il déjà sauvé quelqu’un d’un futur sombre qui l’attend ?
J’adorais faire la lessive. Je la faisais toujours en chantonnant. Une activité noble. Après la crasse s’imposait la propreté. Étincelante. Aujourd’hui. J’ai les deux pieds dans la crasse. Mon passé et mon présent sont là. Crasseux. Je n’imagine pas le futur m’offrant une grande lessive.
Si tu prends le passé, tu le laves avec le meilleur savon. Celui qui vient de Douala, pas le savon bizarre qui vient de Maïduguri au Nigéria. Un savon qui ne mousse pas. Quelle misère ! Si tu décides d’occuper ton présent à laver ton passé crasseux. Tu l’adoucis en le frottant avec du beurre de karité… est-ce que demain ne viendra pas salir ce passé-là ? En posant ses sales fesses de lendemains maudits dessus ?
Demain s’en fout de la propreté d’Hier. Les lendemains de terreur ricanent de toutes les trêves d’antan. Tout se trame aujourd’hui. Demain envoie Aujourd’hui, son petit frère docile, régler ses comptes avec Hier, sa grand-mère grabataire. Aujourd’hui fait le tri et décide de ce qui passera à la postérité. Et, la propreté d’Hier devient un détail pour Demain. Qui piétine tout. Qui saccage tout. Qui annule l’armistice. La paix fragile d’Aujourd’hui.
« Comme je marche, je pleure aussi, mais je ne montre pas ça les gens-là. Je pleure dans mon cœur. Je pleure comme mon mari me battait et il ne va plus me battre. Je n’aime pas ça. L’affaire-là que mon mari ne va plus me battre. Ça m’énerve trop même. Comme j’étais sa femme, mon mari me battait. Maintenant je ne suis plus une femme. Qui va me battre alors ? Le diable lui-même ? Je pleure mon mari qui me battait, c’est pour lui que c’était mieux ».
Où est-il ? Cet homme bon qui me battait ?
Ce mari dévoué qui me battait comme on l’eut fait d’une vipère à pattes. Pour la punir de posséder sans honte aucune cette étrangeté. Il fallait casser les pieds à la vipère à pattes. La forcer à abandonner le monde trouble de l’anomalie. La remettre fermement sur le chemin serein de la banalité.
Où est-il aujourd’hui que d’autres m’emmènent vers le pire ?
Voilà donc. Il me battait comme plâtre, pour me faire ravaler mes pattes orgueilleuses de vipère enquiquineuse. M’accusait avant cela d’essayer de lui faire avaler des couleuvres. De lui présenter effrontément mes pattes de vipère. Il me battait pour des raisons qu’il avait décrétées offertes par moi-même sur un plat d’argent. Il était seul à voir ces pattes qui le faisaient voir rouge. Et moi, j’étais triste de posséder des pattes de vipère qui irritaient mon mari. Nous étions comme ça, deux serpents. Lui, un boa qui persiflait. Me méprisait et me tuméfiait. Moi, une vipère mal à l’aise sur ces pattes imaginaires. Qui envenimait les choses, en avalant elle-même son venin : le venin de la soumission. Mon boa de mari écumait de violence. Tandis que je m’empoisonnais de soumission. Comme si les deux étaient fortement liés. Les deux étaient effectivement liés. Les coups de poing de mon mari faisaient la douloureuse liaison, entre son mépris et ma soumission. Une liaison indécente.
La brutalité s’épanouit, une fois qu’elle est mariée à la servilité. Elle s’enracine, une fois que la proie trouve mille alibis au prédateur. Esclave sublime. Brutalité grandiose. Le rêve de tout maître. Je pleure ce maître. Il me domptait. Avec panache.
Je le reconnais sans aucune honte. Je portais en moi tout ce qui rendait mon mari violent. Et si je m’accroche encore à ses poings. Sur cette route sèche qui me mène vers d’autres poings. C’est pour graver dans ma tête quelques bribes de la moi d’avant. De me