Le simplet
193 pages
Français

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Le simplet , livre ebook

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193 pages
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Description

C'est l'histoire drôle et émouvante d'un valet de ferme de l'Auvergne profonde. Joseph est une mémoire, la mémoire d'une société disparue. Attaché durant un demi-siècle à une famille dont les quatre générations lui deviendront familières, le Simplet est des leurs. Dans un village grignoté par la modernité, il vit avec eux, à côté d'eux, chez eux, mais à leur disposition permanente. L'auteur fait revivre l'Auvergne rurale des années soixante, un récit dans lequel se retrouveront les provinciaux devenus citadins... Un moment de nostalgie.

Sujets

Informations

Publié par
Date de parution 01 mai 2009
Nombre de lectures 76
EAN13 9782296675155
Langue Français

Informations légales : prix de location à la page 0,0750€. Cette information est donnée uniquement à titre indicatif conformément à la législation en vigueur.

Extrait

Le Simplet
JACQUES RAYNAUD


Le Simplet
Du même auteur

Parfums de jeunesse , l’Harmattan, 2007, 202 p.


© L’Harmattan, 2009
5-7, rue de l’Ecole polytechnique ; 75005 Paris

http://www. librairieharmattan.com
diffusion.harmattan@wanadoo.fr
harmattan1@wanadoo.fr

ISBN : 978-2-296-08568-8
EAN : 9782296085688

Fabrication numérique : Socprest, 2012
À Georges
dont, à l’inverse du Simplet,
le nom m’est resté inconnu.


"Ne vends pas ta terre
Même si Dieu te le demande."
Proverbe mongol de sagesse paysanne
CHAPITRE 1
Un stratège
chez la grand’mère
On ne se souvient jamais assez des jours où il ne se passe rien, où le souffle du vent demeure trop court pour changer l’atmosphère, où le regard peut s’attarder sur le ballet des nuages qui voilent à peine l’horizon. Ces jours-là, Joseph aimait leur indifférence. Le Simplet, comme ses proches le baptisaient avec indulgence, au point d’oublier qu’il avait comme tous les enfants de l’Assistance publique un nom et un prénom banals. Joseph Legrand, disait l’état-civil, Joseph parce qu’il était né un 19 mars et que l’employé de l’état-civil attribuait systématiquement aux enfants trouvés le prénom du saint du jour. Legrand, un patronyme sans grande imagination, à l’égal des autres gosses de l’Assistance qui peuplaient les communes alentour. Ainsi, dans le canton, on recensait une dizaine de Legrand, autant de Lepetit selon, sans doute, la taille qu’ils avaient à la naissance.
Seules entorses au droit commun des origines, un Saint Machin, dont on se demandait quelle bizarrerie avait justifié un nom qu’il traînerait tout la vie. Et un certain Rigoleur dont les augures présumaient qu’à la naissance, il ne se privait pas de sourire.
Le Simplet goûtait ces moments sans importance qui étaient pour lui un gage de tranquillité. Leur retour rythmait sa vie, une vie sans originalité, celle d’un homme à tout faire, un ouvrier agricole dont, depuis quatre décennies et plus, les exigences de la terre organisaient la médiocrité. Il avait connu une agriculture qui n’existait plus, des battages et des vendanges qui étaient des fêtes où, avec les copains, on blaguait les filles, avant de vider quelques chopines qui, parfois, troublaient sa démarche.
Aujourd’hui, les filles avaient déserté la campagne pour habiter des HLM, convoler en justes noces avec des postiers ou des CRS et, avec un entrain problématique, taper sur des machines à écrire. À moins qu’elles ne s’engagent aux caisses d’un supermarché pour des temps partiels qui ne suffisaient pas à les nourrir.
La modernisation des exploitations agricoles avait détruit les habitudes, condamné les journaliers au chômage et fermé les bistrots des villages. Pour étancher leur soif dominicale, le Simplet et les survivants de la France d’hier n’avaient plus qu’un dernier caboulot qui disparaîtrait avec la mère Bournat, sa tenancière déjà plus qu’octogénaire, ultime témoin de ces dimanches où il n’était pas nécessaire d’avoir soif pour lever le coude.
Joseph espérait seulement partir avant cette échéance. Partir comme l’avait fait sans éclat la mère de Madame, la grand’mère. À 97 ans, toujours solide, cette maîtresse femme qui, un demi-siècle durant, avait tout régenté au domaine était morte sans souffrir et avec discrétion, une nuit du mois d’août. La veille encore, Madame sa fille lui avait rendu visite dans la maison de retraite qui l’hébergeait à quelques kilomètres de là. La grand’mère avait fait sans effort son tour de jardin, bu un café au lait avant de s’endormir définitivement.
Tôt le matin, le mari de Madame avait réveillé le Simplet en lui intimant de préparer le grand salon où serait dressé le cercueil de la grand’mère. Les obsèques étaient fixées au lendemain avant l’inhumation dans le caveau de famille du chef-lieu de canton. Quelques vieilles gens s’étaient succédé pendant la journée pour jeter de l’eau bénite, comme la grand’mère l’avait fait tant de fois pendant sa très longue vie. Justement, Joseph en était étonné : elle, dont l’abord semblait sévère à beaucoup, avait retrouvé avec la mort une sérénité qui adoucissait ses traits dont les rides avaient presque disparu. On pouvait croire qu’elle allait se réveiller en exigeant d’en finir avec ce simulacre qui l’avait ramenée dans une maison où elle n’habitait plus depuis vingt ans.
Les proches parents prenaient le relais auprès du cercueil pendant toute la journée avant d’aller se coucher. Depuis longtemps déjà, on ne veillait plus les morts. Seule Mathilde, la servante octogénaire qui avait accompagné la grand’mère jusque dans la maison de retraite, avait tenu à passer la dernière nuit avec elle. Mathilde, une gosse de l’Assistance elle aussi, geignait doucement, presque à contrecœur, en même temps qu’elle égrenait son chapelet, un chapelet que la grand’mère lui avait ramené de Lourdes.
Tous, au hameau avaient pris le deuil, la famille bien sûr, mais également les fermiers du domaine. Jusqu’au menuisier du village venu relever les dimensions du cercueil et qui portait un crêpe. Le chien de la maison lui-même n’accueillait pas les inconnus d’aboiements tenaces. Joseph, lui, avait regagné la chambre spartiate où, autour de la télévision, il exposait les rares biens que la vie lui avait apportés, un portrait chiffonné d’un ancêtre de Madame, une tête de chien en terre cuite que lui avait donnée son mari, un sulfure qu’il avait gagné dans une tombola de village, deux napperons qu’on lui avait offerts, il ne savait plus qui. Joseph ne souffrait pas de ce patrimoine dérisoire. Même les palais des Mille et une nuits où le transportait la télé ne lui inspiraient aucune envie. Le Simplet était obscurément persuadé qu’il était là où il devait être. Il l’ignorait, mais sa sagesse empruntait à Diogène dans son tonneau, à une résignation que les gueux héritaient d’une pauvreté séculaire.
Le lendemain, un convoi de voitures avait suivi à petite vitesse le corbillard des Pompes funèbres jusqu’à l’église. Comme la plupart des hommes, Joseph portait un crêpe et sa casquette des dimanches, celle qu’il ne prenait que pour l’enlever à l’église. Dans un département tôt déchristianisé, Joseph n’en avait pas moins été baptisé, comme tout le monde dans les générations précédentes, avant une communion qui lui avait donné la montre que, quarante ans après, il conservait dans le tiroir de son chevet.
Depuis, il n’allait plus guère à l’église que pour les enterrements, une manière de se souvenir de ceux qu’il avait connus, les rares voisins de ses parents nourriciers qui, hommes ou femmes, respectaient le destin ordinaire auquel ils étaient promis. Leur image se troublait dans sa mémoire, comme le serait demain celle de la grand’mère.
Après l’office et le cimetière, Joseph s’était retrouvé avec les proches de la grand’mère à l’unique auberge qui servait encore des repas. On l’oubliait souvent : autrefois – il y a quarante ans -les enterrements presque autant que les mariages, organisaient les rencontres de famille où chacun racontait et se racontait. La bourse aux informations donnait des nouvelles de tous et, le vin aidant, le deuil s’effaçait. Les soucis reprenaient le dessus, les préoccupations sur les récoltes de l’année qui s’annonçaient immuablement moins bonnes que celles de la saison dernière. Avant de déboucher sur les critiques des gouvernants qui ne faisaient rien ou pas assez et les difficultés pour «y arriver». Sans le dire, on se demandait aussi à la mine de chacun lequel des commensaux convoquerait le premier les convives d’aujourd’hui.
La grand’mère avait participé si souvent à ces agapes qu’elle aurait, mieux que quiconque, admis les dérives de ces retrouvailles ou le souvenir du de cujus (comme disent les notaires) cède la place à des conversations plus égoïstes.
Le Simplet, convié au repas familial, s’était modestement installé en bout de table, à côté d’un cousin de la défunte, ancien colonel de son état, qui ne manquait jamais un enterrement de proximité. Il mangeait de bon appétit sans avoir l’obligation de réunir jamais la f

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