Le voyage impossible
84 pages
Français

Vous pourrez modifier la taille du texte de cet ouvrage

Le voyage impossible , livre ebook

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Description

Récit visionnaire où le Quebec est devenu un territoire idyllique. Cependant cette prospérité fait des envieux et Mike Liosco va devoir défendre son pays contre ceux qui veulent en saboter l'équilibre. Avec ses amis et des villes et des forêts, les Indiens, il tentera de déjouer leurs plans quitte à sacrifier sa vie pour le Quebec. Sera-t-il à la hauteur de la tâche ? Quelle machination va-t-il découvrir ?

Sujets

Informations

Publié par
Date de parution 01 mai 2012
Nombre de lectures 13
EAN13 9782296491878
Langue Français

Informations légales : prix de location à la page 0,0474€. Cette information est donnée uniquement à titre indicatif conformément à la législation en vigueur.

Extrait

Le voyage impossible
Michel YVES


Le voyage impossible
© L’Harmattan, 2012
5-7, rue de l’École-Polytechnique ; 75005 Paris

http://www.librairieharmattan.com
diffusion.harmattan@wanadoo.fr
harmattan1@wanadoo.fr

ISBN : 978-2-296-56988-1
EAN : 9782296569881

Fabrication numérique : Actissia Services, 2012
À mes parents
I
Seul le givre éclaté en cristaux sur les carreaux de ma fenêtre transforme la réserve indienne des Cris de Waskaganish.
Ma première étape sera le Bureau du Grand Conseil que je vais rejoindre à pied car l’air glacial procure à chaque bouffée une force nouvelle.
Je salue des visages connus en suivant les traces des électroneiges qui se croisent comme les galeries d’une fourmilière et dont le silence absolu du moteur me rappelle que notre monde n’est plus celui du pétrole.

Dans le hall du Grand Conseil c’est l’effervescence. Une vingtaine de personnes directement arrivées de la zone sauvage s’agglutinent devant le secrétariat pour signer les registres d’arrivée, rendre leur rapport de chasse ou encore déposer leur liste de provision. Ces gens sont tellement habitués à vivre en toute liberté dans la nature qu’ils n’ont même pas pris la peine d’ôter leur manteau orné de griffes d’ours.
Je me faufile jusqu’au bureau du chef Haguk au premier étage, qui, joufflu comme un morse en période d’été, se balance dans son fauteuil face à ses conseillers. Je lui donne mes deux microprocesseurs qu’il charge d’une palanquée de chiffres sur les animaux tués, les hectares d’arbres coupés, le cheptel des poissons mais aussi des oiseaux et des hordes de caribous. Rien de ce qui peut être comptabilisé ne doit manquer.

Une fois sorti du Grand Conseil, je passe par les chemins de glace qui serpentent entre les maisons pour atteindre la demeure d’Ougïk, un agent de contrôle, tout en songeant aux difficultés que rencontrent ce genre de réserves situées à la frontière de la zone sauvage, continuellement confrontées à un flux incessant de personnes qui arrivent de la zone sauvage pour s’approvisionner, se soigner et voir de la famille, ou bien de notre monde urbain pour apprendre les premiers rudiments avant de s’enfoncer dans l’expérience d’une vie dans la nature.
Apparaît finalement la maison d’Ougïk, flanquée de deux totems sur les côtés de son auvent devant lesquels stationnent quatre électroneiges.
Dès le vestibule, je tombe sur un énorme trophée d’orignal accroché au mur au-dessus de huit paires de chaussures qui se chevauchent dans une flaque de neige liquide au milieu des fusils. Ils arrivent probablement de la chasse, cet univers indécis entre le bien et le mal.
Son fils, Thaniak, discute avec un holographe japonais pendant que les autres se relaxent dans le canapé. L’image est bonne quoiqu’un peu bleutée mais elle est stable et ne grésille pas.
Ougïk m’informe que des braconniers ont abattu il y a quelques jours deux femelles caribous et leurs trois petits à l’est de la rivière Kapuak . Nous devons intensifier notre système de surveillance même si nos agents assistent les Indiens jusqu’aux postes de guet qui fixent la frontière avec la zone sauvage.
A la surprise générale, l’holographe japonais a tout à coup cédé sa place à un Africain. L’enfant est mal vêtu ; il a dû se connecter à un terminal clandestin et semble émerveillé par ce que lui raconte Thaniak, notamment par l’école dans la forêt et la facilité avec laquelle les gens peuvent se nourrir. Nous lui adressons des mots d’encouragement avant qu’il ne disparaisse.

Mon bol de tisane terminé, j’abandonne Ougïk pour me laisser porter par le vent du Nord jusqu’à la maison de Tudjïak et de sa femme Ilishï, que je tiens à saluer avant de quitter la réserve, alors que des dizaines de petits cristaux montent dans mes narines tels des parasites prêts à mordre la plus petite parcelle de chair. Heureusement, mon chapeau en castor est à toute épreuve.

A la hauteur de l’église catholique, des aboiements transpercent tout à coup l’atmosphère ; ils ressemblent à ceux de Cachou, le compagnon à trois pattes du défunt révérend Durocher.
Cet homme pieux et généreux était arrivé à Waskaganish à l’époque où les Cris avaient livré leurs terres au gouvernement du Québec contre des dollars trébuchants. La luxure de la réserve était alors insensée. Des édifices à plusieurs millions servaient de simples salles de fête et sans aucune retenue les bulldozers aplanissaient des routes de glace pour une armada de voitures. Cette frénésie de la consommation fit perdre au révérend toute autorité, au point qu’il ne célébrait plus la messe que devant deux ou trois personnes.
En fait, son erreur avait été de vouloir sauver les Cris des pièges de la richesse. Il préconisait la culture des légumes, le développement de l’artisanat et du tourisme écologique mais être visionnaire apporte souvent plus de maux que de biens : ils sabotèrent son générateur durant les mois rigoureux de l’hiver et tranchèrent la patte arrière de son chien d’une balle soi-disant perdue. Du coup, son cœur était empreint d’un fatalisme qu’il partageait avec deux vieilles filles. Ernestine, la plus âgée, collectionnait des œuvres artisanales pour les offrir à un musée en mémoire de « ses Indiens », et Christine s’occupait de l’intendance en prêtant une oreille docile aux angoisses du révérend telle une poupée de porcelaine. Ce petit monde n’attendait rien d’autre que les mâchoires du temps qui passe ; comme quoi on peut vouloir sacrifier sa vie aux autres sans rien laisser en héritage.

La maison de Tudjïak et Ilishï n’est plus très loin, encore quelques centaines de mètres à parcourir sur le ventre brillant de la glace. Parvenu à la hauteur de la place centrale, entre la salle communautaire et l’office postal, mon attention se fige soudain sur cinq femelles vampires. Deux d’entre elles se tiennent immobiles au milieu de la place, distantes de dix mètres en arrière l’une de l’autre de sorte que si quelqu’un dépasse la première la seconde fera obstacle, pendant que deux autres arpentent le trottoir prêtes à bondir sur les passants avec un sourire de fleur carnivore et qu’Ilishï, que je croyais chez elle, patiente accoudée à une table remplie de cartons de jeu de Bingo.
Ces vendeuses de vice ne laissent rien au hasard. Elles puisent le sang de leurs congénères si c’est possible et une fois que cela est fait, lavent les pieds du diable avec le plat de la langue.
Je m’approche toutefois d’elle pour lui demander où est Tudjïak ; ce compagnon à qui je dois des heures de pêche mémorables, tous deux assis sur un rondin de bois au milieu d’un lac avec un fil à la main qu’il fallait agiter dans un trou de glace pour rendre curieux le poisson.
C’est d’ailleurs avec à lui que je vis pour la première fois la lumière du Nord, lorsque sortant de notre bivouac pour puiser de l’eau, j’aperçus un fantôme étendu sur la pointe des arbres dont la clarté laiteuse s’étirait lentement en formes oblongues et avançait entre les doigts velus de la forêt en crépitant de mille feux.
Ilishï se perd en explications confuses. Elle mélange du vocabulaire Cris avec de l’anglais, me parle d’une altercation avec des Indiens Attikamecs venus sur leur territoire et du mauvais caractère de Tudjïak, connu il est vrai de toute la réserve depuis qu’il a blessé par accident une jeune fille en voulant tuer quelqu’un d’autre. N’ayant pas vraiment de temps à perdre, je coupe court à ses débordements en prétextant que je l’appellerai dès mon retour à Montréal.

Je jette un œil à ma montre tout en me dirigeant vers le bureau de poste, là où il est plus difficile d’obtenir une liaison satellite que d’attraper un lièvre avec une flèche. Sans doute que ma haute fonction au gouvernement facilite les choses. En moins d’une minute, j’obtiens ma communication avec Montréal pour connaître l’agenda de mon voyage à travers le Québec afin de collecter les bilans de nos entreprises de pointe et les porter à la Commission Intercontinentale qui doit statuer dans dix jours à Montréal sur notre modèle de société. L’enjeu est que notre financement de la zone sauvage serve d’exemple aux pays qui possèdent encore suffisamment de terres vierges pour nous imiter. M

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