Les Compagnons de fortune
179 pages
Français

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Description

Yann le travailleur manuel et Julian l'artiste. L'un est le fils d'un marin disparu, l'autre débarque au village avec sa mère, une cantatrice de La Havane. Pour Yann, charpentier de navire, l'hiver est synonyme de désœuvrement.

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Informations

Publié par
Nombre de lectures 23
EAN13 9782812916328
Langue Français

Informations légales : prix de location à la page 0,0082€. Cette information est donnée uniquement à titre indicatif conformément à la législation en vigueur.

Extrait

Couverture
Philippe Lemaireest grand reporter à France 3. Auteur de chansons, réalisateur de films documentaires, il est d’origine ardennaise, fixé en Rhône-Alpes depuis de longues années. Avec un talent remarqué dèsLes Vendanges de Lison, il conjugue dans ce cinquième roman son imaginaire d’écrivain e t sa passion de l’information.
Du même auteur
Aux éditions De Borée
La Soureillade,collection Romans, De Borée, 2007. La Belle Absente,collection Romans, De Borée, 2006. Le Chemin de poussière,collection Romans, De Borée, 2005. Les Vendanges de Lison,collection Romans, De Borée, 2004. Il était une fois la châtaigne,De Borée, 2001.
Cévennes au cœur
Autres éditeurs
En application de la loi du 11 mars 1957, il est interdit de reproduire intégralement ou partiellement le présent ouvrage sans autorisation de l’éditeur ou du Centre français d’exploitation du droit de copie, 20 rue des Grands-Augustins, 75006 Paris.
©De Borée,2009
PHILIPPELEMAIRE COMPAGNONS DE FORTUNE
À Muriel. À Bernard CLAVEL, en hommage.
I
’T S’IL ARRIVAIT MALHEUR?» Jeanne de Kermadec délaye avec sa petite «E cuillère le sucre qu’elle a fait glisser dans son c afé noir. Elle n’attend pas vraiment de réponse à la question qu’elle a posée a vec une feinte naïveté: elle est juste satisfaite de son petit effet puisqu’elle voi t soudain converger vers elle tous les regards. Elle en sent le poids et s’en délecte. À c ôté d’elle, il y a Philomène Le Bihan, encore plus vieille que d’habitude et dont les main s se sont mises soudain à trembler. Gaïd Le Rouzic a hoché la tête, l’air de dire qu’il en faudrait davantage pour l’impressionner, mais elle a senti son estomac se n ouer. C’est que toutes ces femmes portent en elles le souvenir de peurs immémoriales et elles éprouvent la crainte confuse que tout recommence. Alors, il y a ce silen ce que leurs doigts tricotent et qui se prolonge. Une pâle lueur traverse la fenêtre étr oite et vient se poser sur leur visage donnant à leurs rides des reflets de cuivre. «Et to i, Marie, que penses-tu de tout ça? Tu n’as encore rien dit.» Marie LeGall est de loin la plus jeune. Elle ne sait pas au juste pourquoi elle est là. Elle doute qu’il puisse sortir quoi que ce soit de bon de toutes ces superstitions de bonne femme. Et en même temps, elle ne sait comment leur parler de ce qu’elle a vécu l’après-midi même. Son attenti on avait été attirée par un grésillement pareil à celui que fait l’huile brûlan te au fond de la poêle. Il provenait de la chambre. Elle était restée un instant hésitante sur le seuil avant de pousser un cri et de se signer: les mouches formaient une armure vibrant e qui enveloppait comme un linceul les bras du crucifix suspendu à la tête de son lit. C’était un crucifix ordinaire semblable à des milliers d’autres, et derrière lequ el, comme dans toutes les maisons, on avait glissé une branche de buis au moment des r ameaux. Sauf que celui-ci était la première chose que son fils Yann avait fabriquée de ses mains quand il avait commencé à travailler le bois. Elle repensa à son r egard brillant guettant son approbation. «Dis mam, comment tu le trouves? re au-dessus de mon lit.Très réussi. Celui-là, je serai fière de le suspend » Elle avait vu le regard de l’enfant s’illuminer de satisfaction orgueilleuse. Quel âge pouvait-il avoir déjà? Neuf? Dix? Onze ans? Voilà q u’avec tous ces bouleversements, elle perdait le sens du réel. À la mi-automne de cette année 1905, personne n’ava it tout d’abord prêté d’attention particulière à cette invasion inhabituelle de mouch es. Elles se collaient contre les vitres à l’intérieur des maisons en bourdonnant et en agit ant frénétiquement leurs ailes translucides. Elles étaient parfois si nombreuses q u’elles formaient un rideau de deuil qui empêchait le pâle soleil de cette fin octobre d e pénétrer dans les pièces, même dans les plus vastes. Il arrivait que les mouches s e prennent au piège des rideaux de dentelle qu’elles faisaient alors trembler de toute leur énergie désespérée, puis elles finissaient par tomber sur le dos. Elles agitaient leurs pattes durant quelques instants et mouraient. On les retrouvait non seulement à la surface du lait quand, par malheur, on avait oublié de recouvrir la casserole qui refro idissait sur le côté du fourneau, mais aussi dans des endroits beaucoup plus invraisemblab les. «Tu ne crois pas qu’il serait temps d’allumer une c handelle. Il fait plus noir que dans le fond de mon four, demande Philomène Le Bihan en s’adressant à Gaïd Le Rouzic. lle en plein jour.Bigre, si on t’écoutait, faudrait allumer la chande upa Jeanne qui se grattait le dosMalgré tout, on dirait qu’on veille un mort», la co
avec une aiguille à tricoter. Elle poursuivit: «Ma pauvre vieille, t’es tellement pingre qu’on pré tend que tu ratiboises les restes de cierges à l’église. J’aimerais connaître celle qui… On t’a vue. Quand? u fait Marie, tu n’as toujoursAllons, on n’est pas venues ici pour se disputer. A rien dit. Je ne sais pas trop quoi dire. Des mouches, il y en a toujours eu, et j’ai des scrupules… D’habitude, c’est pas les scrupules qui t’étouffent. Ça ne va pas recommencer! C’est qu’il doit bien y avoir une explication et qu and on la connaîtra, on rira de notre peur.» Tandis qu’elle contredisait les vieilles femmes, Ma rie repensait à ses sabots. Ce n’était pas arrivé plus tard que ce matin. Avant de mourir, les mouches s’étaient agglutinées à l’intérieur pour former une espèce de boule noire et compacte semblable à une poignée de cheveux qu’on aurait arrachée de d essus un crâne. Une autre fois, elle en avait débusqué au fond du tiroir qu’elle ét ait pourtant certaine d’avoir fermé à clé. La répétition de tous ces phénomènes étranges avait fini par l’ébranler même si elle avait décidé de ne rien montrer. Marie LeGall, avec ses cheveux partagés par une rai e sévère et ramenés en chignon sur la nuque, son long visage ovale aux jou es pleines, son nez raide, ses lèvres épaisses et son menton de commandement, aura it été une beauté tout à fait quelconque sans son regard d’un bleu de banquise. S eulement, c’était un regard en friche dans lequel flottait cette tristesse résigné e des femmes qui vivent depuis longtemps sans homme. Plus exactement, le seul homm e qu’elle couvait d’un amour inquiet, tourmenté, étouffant parfois, était son fils Yann. Au milieu de ces trois vieilles femmes, elle se ten ait sur ses gardes. Elle aurait aimé pouvoir reconnaître que cette invasion de mouches l ’avait rendue nerveuse, d’une nervosité inhabituelle, de même nature sans doute q ue celle qu’elle aurait éprouvée devant une maladie inconnue. D’ailleurs, le phénomè ne se prolongeant, il était évident que tout le monde s’inquiétait, que chacun à sa man ière cherchait à donner un sens à ce qu’il ne comprenait pas et qu’un retour de chale ur tardive ne suffisait pas à expliquer. Mais on le faisait à voix basse de peur d’attirer on ne savait trop quel mauvais sort. Quand les quatre femmes se séparèrent , elles n’étaient guère plus avancées. D’un autre côté, il y avait dans les yeux immenses de Marie LeGall beaucoup de douceur ironique. Le dimanche, l’abbé LeDrian s’empara de cette curie use apparition des mouches pour en faire une parabole sur la résignation. En c ette période de visée républicaine sur les biens de l’Église, les mouches venaient for t opportunément réveiller toutes sortes de vieilles peurs pour servir la croisade de ce curé très terre à terre et lui permettre d’affermir son emprise sur les âmes. Surt out que les rumeurs les plus folles commençaient à se répandre d’un village à un autre gonflant comme des voiles sous le vent. Quelqu’un n’avait-il pas affirmé, en buvant s on absinthe au café de Zelna Stern, qu’à Kervilen les militaires avaient fait ouvrir le s tabernacles de force pour peser l’or des ciboires? C’était une espèce de chicaneau en ra se-pet. D’habitude, on ne
l’écoutait guère, mais là on avait bu ses paroles c omme si elles étaient d’évangile. Et pour une fois qu’on l’écoutait, il en rajouta. «Partout on dressait un inventaire des chandeliers, des étoles, des hermines, même des tableaux du chemin de croix. Je le tiens de sou rce sûre, ajouta-t-il. «À Fouesnant, l’agent du gouvernement a inscrit dan s son grand cahier noir la disposition des tombes du petit cimetière comme si les morts appartenaient dorénavant, eux aussi, à la République. s, remarqua un grandY sont même pas capables de foutre la paix aux mort escogriffe en levant du coin de sa bouche le tuyau de sa pipe en écume. Et puis à Roscoff, l’infanterie a donné l’assaut à l’église pour chasser les fidèles qui protégeaient l’autel. Il y a eu des morts? Certainement, mais ils ont eu vite fait de les faire disparaître.» Ainsi la rumeur aiguisait sa faux. Dans la fumée ép aisse du tabac, le pays était sur les nerfs. Zelna Stern passait d’une table à l’autr e en remplissant les verres. Sur une table à l’écart, Yann LeGall jouait aux dominos avec Julian. Il essayait de garder la tête froide en évitant de les suivre dans leurs excès. C ependant il était tout prêt à aller en découdre à leurs côtés. Il bouillait d’indignation. Tandis que sa main hésitait à piocher dans le tas de dominos, l’idée l’effleura que s’il partait aussi vite, c’était pour éviter de se laisser entraîner. Les têtes brûlées, on en avai t arrêté plus d’une. Le seul problème est qu’il n’avait pas encore osé en parler à Marie LeGall. Il constatait avec amertume qu’à force de vivre avec sa mère, on ne sait plus q ui aide l’autre à vivre. Sans avoir rien dit, il se sentait déjà coupable. Coupable de saccager toutes ces années de tendre mutisme, de complicité inquiète, de véhémente révol te. Il voyait ça d’ici; elle ne manquerait pas de lui rappeler qu’elle s’était sacr ifiée pour lui. Il connaissait la rengaine du sacrifice. Pour cette raison, il remettait sans cesse au lendemain l’annonce de son départ. Et voilà que le lendemain était aujo urd’hui et qu’il n’était pas plus avancé qu’avant. Plusieurs fois il avait tourné aut our du pot mais dès que le regard de banquise se posait sur lui, il perdait pied. C’est comme si les mots avaient gelé instantanément en franchissant la barrière de ses l èvres telle la coque d’un navire prise dans les glaces. Le matin même, il avait failli se jeter à l’eau quand elle lui avait servi son bol de soupe brûlante avant qu’il ne parte au c hantier. Elle lui avait demandé aussitôt en fronçant les sourcils: «Tu veux me dire quoi au juste? Rien. Rien.» Et il s’était mis à bredouiller. Elle avait hoché l a tête et avait disparu dans la chambre pour aller redresser son chignon malmené pa r la nuit. Sur le coup, il avait éprouvé l’impression fugitive qu’elle avait tout de viné. Peut-être avait-elle découvert les quelques affaires qu’il essayait de rassembler tant bien que mal. Dans le brouhaha, il n’entendit pas Julian qui lui demandait pour la tro isième fois: «À quoi penses-tu? À rien. À rien… mon œil, alors joue.» Il piocha dans le paquet de dominos et sortit le si x qui lui manquait. Julian n’aimait pas ce jeu qu’il trouvait «ordinaire». À chaque foi s qu’une chose lui déplaisait, il disait «c’est ordinaire». Quand il jouait avec Yann, il bu vait beaucoup, ce qui faisait rire sa mère. Zelna Stern lui apporta un troisième verre de vin blanc qu’il vida d’un trait comme un homme. Quelque part, il avait lu que le vin donn ait de l’imagination aux poètes.
Peut-être était-ce chez Verlaine, qu’il venait de d écouvrir, mais il n’était pas sûr.
Quand l’abbé LeDrian monta en chaire, l’église étai t pleine à craquer. Chacun retint son souffle. Un courant d’air fit vaciller la flamm e des cierges. Quelques bougies s’éteignirent, répandant une odeur de cire calcinée . Sa voix enfla. «À cause de ce franc-maçon de Briand, notre pays est à feu et à sa ng. Vous devez vous attendre au pire et résister, car la France doit rester la fill e aînée de l’Église. Alors mes frères, je compte sur vous pour les empêcher de commettre l’im pensable, ce sacrilège suprême: la séparation de la France d’avec ses racines chrét iennes.» Dans la travée des femmes, Yann vit que sa mère avait fermé les yeux e t triturait nerveusement son missel en marmonnant ses prières. Le long visage de l’abbé LeDrian devint encore plus gris quand il évoqua la résistance héroïque, « oui, je dis bien héroïque, des paroissiens de Lesneven car eux ne se sont pas rési gnés à l’inacceptable. Ils ont défendu bec et ongles leur foi». Il y eut quelques rires étouffés parce que leur héroïsme s’était borné à jeter un essaim d’abeilles sur les gendarmes à cheval et les fantassins du 118e venus leur prêter main-forte pou r l’inventaire. On commença à entendre davantage d’éternuements, des raclements d e pieds, des missels refermés bruyamment devant la longueur inhabituelle du sermo n. C’est ce moment que choisit le recteur pour laisser tomber le poids d’un silence i nquisiteur sur cette marée d’échines comme s’il recherchait la brebis égarée. Plus sûrem ent, une victime expiatoire. Ses mains serrèrent le bois de la chaire. On entendit n ettement dans la nef qu’il se raclait la gorge. Sur le ton véhément que l’on choisit pour as séner une vérité, il poursuivit: «Le moment est venu de vous poser toutes ces questi ons que vous fuyez par lâcheté. Demandez-vous: “Ai-je fait tout ce qui éta it en mon pouvoir pour attirer Sa grâce? Est-il encore temps de compter sur la miséri corde divine? Que puis-je faire pour la mériter?” Eh bien! moi, je vais vous le dir e ce que vous devez faire pour la mériter: repentez-vous de votre lâcheté. Faites obs tacle au pillage des biens de Dieu, agissez pendant qu’il est encore temps. Chassez les soldats du temple, il y a dans ce fléau des mouches la menace d’une sentence prochain e. C’est seulement si vous accomplissez ce qui doit être accompli que vous aur ez droit à Sa clémence et à Sa miséricorde. Repentez-vous et priez!» Il termina son sermon avec l’exaltation d’un fanati que. L’abbé LeDrian se frotta les mains, satisfait de la peur qu’il avait lue sur ces visages de marins burinés de tempête, ravinés d’embruns et d’orages, satisfait d’avoir terrifié ces femmes de la terre qui le harcelaient en confes sion avec leurs pauvres petites misères d’alcôve et qui au fond le terrorisaient. C e dimanche, c’est donc avec un sentiment de plénitude heureuse qu’il avait pris sa revanche et qu’il descendit les marches en colimaçon de la chaire en prenant grand soin d’éviter de poser le pied sur le bord de la troisième qui avait tendance à bascul er. Yann LeGall n’aimait pas cet homme. Il avait été son enfan t de chœur. En revanche, il se souvenait avec plaisir de l’aube blanche avec son bas en dentelle et de la collerette vermillon, de la clochette en bronze qu’ il agitait toujours vigoureusement parce qu’il avait le sentiment de disposer d’un pou voir magique sur les fidèles qui s’agenouillaient devant lui. L’abbé LeDrian l’oblig eait à se lever à 4heures du matin pour le confesser dans le froid sinistre de la sacr istie qui sentait le vieil encens. «Tu comprends, c’est pour que tu sois complètement pur pour servir la première messe. Et Dieu ne finasse pas avec la pureté…» Et à chaque pa role l’abbé LeDrian se penchait vers lui, et alors qu’il avait encore le visage chi ffonné de sommeil, frottait son long nez en étrave contre sa joue. Encore aujourd’hui le sou venir de ce contact le révulsait. Il se
rappela que l’abbé LeDrian lui disait aussi d’une v oix saccadée: «Comme il grandit vite le petit homme. Il devient un vrai petit garne ment de Dieu.» C’est à tout cela qu’il repensait en regardant l’ab bé LeDrian se prosterner devant l’autel. «Comment Dieu a-t-il pu prendre le visage de cet homme?» se demanda Yann. Il se rappela qu’un jour, Julian l’avait arrêté sur le chemin de l’église. «Où vas-tu? Tu vois, à l’église! Parce que tu crois en Dieu toi?» Et il avait éclaté de rire. «Pas toi? Non, moi je suis nihiliste. Ça veut dire quoi? Que je ne crois en rien. Ni en Dieu. Ni au diable. Le diable, je l’attrape par les couilles, et Dieu, tu crois sérieusement qu’on peut avoir confiance en un bonhomme pareil? C’est un anthropophage qui dévore les âmes.» Yann LeGall avait été choqué, il avait rougi. «Tu ne trouves pas que tu y vas un peu fort?» Julian avait laissé éclater une salve de son beau rire de velours. «Ah! j’oubliais que tu n’es jamais qu’un indécrotta ble “pousse-charrue”, mon Triquet.» Souvent Julian l’appelaitmon Triquetsans qu’il ait jamais cherché à donner un sens particulier à ce mot, sens qui variait sans doute s elon l’humeur de l’un et de l’autre. «… Mon Triquet, l’homme n’est jamais qu’un triste p antin désarticulé dont la vie ne laisse pas plus de traces de son passage sur la ter re que la goutte de pluie qui glisse sur la vitre, avait déclamé Julian avant de poursui vre: Et dis-toi bien qu’il n’y a personne, absolument personne dans les cintres, là-haut–il avait désigné le ciel–pour tirer les ficelles du pantin… C’est pourquoi, mon p auvre Triquet, il faut boire, rêver et aimer les femmes.» Il avait repris après un bref instant de mélancolie son ton habituel de désinvolture provocante. «C’est pourquoi on doit tout oser.» En sortant de l’église, Yann se demanda s’il n’étai t pas en train de se mettre à douter de tout et de perdre ce minuscule petit lamb eau de foi qu’il avait conservé contre vents et marées. Il savait que sa mère, qui marchait à côté de lui en lui donnant le bras, l’aurait tué si elle avait deviné ce à quo i il pensait. D’habitude, le dimanche, on laissait flâner le temp s à la sortie de la messe. Comme rien ne pressait, on en profitait pour discuter de tout et de rien, du prix des filets neufs, de l’endroit où on avait posé ses casiers à homards en espérant la pêche miraculeuse, enfin de toutes ces petites choses insignifiantes q ui font la délicate écume des jours. Aujourd’hui au contraire, chacun se hâtait de rentr er chez soi. Personne ne s’attardait sur le parvis ou au pied du calvaire avec sa chaire à prêcher taillée dans le granit rongé de lichen. Pourtant le crachin avait cessé! C ’était comme si la puissance des mots les avait chassés de la rue en réveillant en e ux un obscur sentiment de culpabilité. Ah! il avait bien joué, l’abbé LeDrian , puisque maintenant ils se sentaient coupables de quelque chose qui les dépassait! Yann et Marie LeGall arrivèrent à la hauteur du caf é de Zelna Stern dans lequel il
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