Les effacés
167 pages
Français

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Les effacés , livre ebook

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Description

Dans ce roman Julien Muselier décrit les déambulations d'un jeune homme, Paul Minier, à qui un dérèglement étrange des sentiments est survenu comme une remise en question qui va changer son avenir et sa route. Les descriptifs et la psychologie animent les trames du recueil, des scènes de buveurs attardés, les errances dans les déserts arides et les pays du Nord de l'Afrique, des scène de ville symbolisées et contées... Une scène intime et intérieure de talent, à mi-chemin entre le roman moderne et les prémices d'une poésie originale.

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Informations

Publié par
Date de parution 01 décembre 2010
Nombre de lectures 26
EAN13 9782296709805
Langue Français

Informations légales : prix de location à la page 0,0650€. Cette information est donnée uniquement à titre indicatif conformément à la législation en vigueur.

Extrait

Les effacés
© L’Harmattan, 2010 5-7, rue de l’Ecole polytechnique, 75005 Paris http://www.librairieharmattan.com diffusion.harmattan@wanadoo.fr harmattan1@wanadoo.fr ISBN : 978-2-296-13140-8 EAN : 9782296131408
Julien Muselier Les effacés roman
L’Harmattan
Prologue
e dérangement de Paul Minier avait commencé tard L dans la nuit de jeudi. Il avait senti en lui l’apparition d’un trouble étrange, de l’ordre de l’arrêt, extinction du corps et de l’esprit, ou du moins de leur facile et habituelle capacité d’action. Son être tout entier s’était étendu dans une sorte de pause, abolition du temps qui devait se déployer déjà. Le temps n’avait plus la plastique que chacun lui reconnaît naturellement. On se lève, on se couche. On sent mécaniquement, dans un bâillement peut-être, ou dans l’ouverture de ses volets, au matin, que toutes les pendules du monde ont allongé le goutte-à-goutte des choses et des êtres. Non. Le temps n’était plus le centre de gravité que Paul Minier connaissait si bien, sans jamais s’en être rendu compte. Bêtement. La veille ou dix ans plus tôt. Cette nuit, tout ce qui l’entourait l’avait surpris par une soudaine et nette capacité à s’immobiliser. A mourir déjà. Alors, il sentait son cerveau qui vivait. Le flux de sang qui irriguait son corps, la respiration qui l’animait, les coins mouillés de ses yeux, la peau fatiguée de ses mains. Ce petit univers-là, centre des choses et de son regard, s’était fixé en une image figée, corps exposé à la vue silencieuse de la nuit. Non seulement son corps s’était éteint cette nuit-là, mais son esprit lui-même — événement si étonnant qu’il le
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troubla étrangement — avait semblé choisir l’impasse de la lenteur quand ce ne fut pas, un peu plus tard, l’immobilité totale de toute conscience. L’homme était assis depuis des heures. L’horloge située dans le coin du salon agitait sa musique binaire et inerte. Le mouvement du pendule semblait isoler la pièce entière dans son battement froid et incolore, agitation devenue insignifiante. Paul ne savait même plus qu’il attendait. Le sofa sur lequel il passa la nuit avait l’apparence d’un vieux fauteuil club usé, comme ceux que l’on trouve dans les pubs chics de Londres. Le plus souvent disposés à l’écart, sous une lampe jaunie, dans les méandres et les voiles de fumées. Cigares, tabac à pipe, le meuble est imprégné de toutes sortes d’odeurs nocturnes et il semble s’être endormi avec le temps. Paul aimait ce fauteuil, mais il n’eut cette nuit-là plus aucune valeur. Objet éteint, il disparaissait. A ses pieds s’étendait un long et banal tapis de laine. Blanc, il devint gris dans l’obscurité. Dans l’angle du salon, l’écran silencieux du téléviseur rendait à la pièce des lumières disparates et sans bruit. Elles semblaient exposées dans l’appartement comme au travers d’une lentille de verre. Traversant le prisme du vide, elles retombaient sur le mur situé au dos de Paul, agrandies. Il pensa un moment à une sorte d’immense diapositive vivante qui s’agitait sur le mur vide et pâle, sorte de toile inattendue, mais cette pensée s’envola aussitôt qu’elle était apparue. Il lui semblaitentendrele vide, les meubles tristes, la fenêtre à petits carreaux, l’aspect maladif du plâtre de son appartement. La ville au-dehors ne vivait plus. Ni morte, ni
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vivante, elle semblait arrêtée dans une anesthésie de ses veines, de ses couloirs. Insomniaque, pourtant. Cette insomnie sans corps, sans esprit, sans la moindre possibilité de vie, s’étendait maintenant dans le crâne de Paul. Il avait sombré dans un étrange gouffre, dans un silence vaste et froid. Paul sentait en lui le voile exact et total qui s’était déposé sur son esprit. Il le savait maintenant. Il y songea un instant : ce qu’il entendait n’était rien d’autre que de l’inexistence, immense, impalpable, totale, et il ne put dormir. Pendant la journée, Paul était allé travailler comme chaque jour depuis des années. Il s’était levé à 7h30, avait pris son café, s’était habillé et avait quitté l’appartement trois quarts d’heure plus tard. Il travaillait dans des bureaux situés sur les bords de la ville, dans un immeuble moyennement élevé, mais au dernier étage. Une chose étrange arriva. Là, il s’était rendu compte de la hauteur faible des plafonds et il se sentit comme écrasé. Il y pensa toute la matinée, chose nouvelle depuis qu’il avait décroché ce travail. Ce détail troublant ne l’avait pas marqué en ce temps-là. Il fut pris pourtant d’une sorte de panique longue et silencieuse. Il ne dit rien, ne changea pas ses habitudes, et remplit toutes ses tâches sans l’ombre d’une erreur. Pourtant, il passa la matinée à s’éterniser dans une sorte de peur, de frayeur qui lui tenait la gorge. Il se sentait cloîtré, resserré, et tout son esprit se torturait dans une angoisse obsédante. Il transpirait à grosses gouttes lorsqu’il sortit pour déjeuner. Il observa le ciel en refermant la porte, fit trois pas vers le Sud, et desserrant sa cravate il essuya son front. Au-dessus de lui, le ciel était sombre et les rues
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sentaient le gaz. Il croisa quelques visages livides, déjeunant puis remontant vers ses bureaux à 13h30. Quand il rouvrit la porte, la mort lui claquait dans les jambes. Il serra la poignée si fort qu’il en eut mal une seconde, puis il regagna le dernier étage et manqua de pleurer de panique dans l’ascenseur. Paul attendait toujours dans son fauteuil. L’extinction de ses sens continuait et il ne bougeait plus. Sur le téléviseur, un film déroulait son jet de lumière. Un film sous-titré en allemand, une chaîne du câble et le son coupé, Paul ne fixait pas l’écran. Il était intrigué par le reflet sur sa pupille de certaines taches de couleur. Son immobilité gagnait encore. L’après-midi s’était déroulé dans les transpirations et la peur de Minier. Il n’avait pas compris ce qui lui arrivait. Il se rappela avoir regardé sa montre plus souvent que d’habitude. Ses collègues de travail n’avaient pas remarqué son visage livide, ni les tremblements qu’il tenta de cacher pendant un certain temps. Puis vint un moment où Paul ne put supporter sa panique. Il sortit des bureaux, remonta l’avenue qui descendait vers le Sud, la même qu’à midi, et il rentra chez lui. Sur le chemin, les rues vociféraient de bruits de voitures, insensés, agressifs et portaient jusqu’au ciel les rugissements des pneus, des fumées, des ronflements de toutes sortes qui maudissaient Minier, pressant sa course, hâtant le pas. Il se sentit très pâle, ferma l’appartement à double tour, posa sa valise et dans une seconde d’affolement il se tint debout, immobile. Quand il comprit,
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