Lui ou l appel des éléphants
190 pages
Français

Vous pourrez modifier la taille du texte de cet ouvrage

Lui ou l'appel des éléphants , livre ebook

-

190 pages
Français

Vous pourrez modifier la taille du texte de cet ouvrage

Description

Fred Forest, cet artiste hors du commun, nous conduit une fois de plus là où on ne l'attendait guère ! Il offre à notre réflexion dans le présent essai, un parcours insolite. Un itinéraire où, tenant par la main son héros qu'il a nommé "Lui", il déambule en sa compagnie dans un aéroport un jour de grève et rencontre, entre autres, un groupe d'éléphants, deux ouvriers portugais et un ethnologue belge aux yeux injectés d'un étrange liquide jaune...

Sujets

Informations

Publié par
Date de parution 01 janvier 2015
Nombre de lectures 2
EAN13 9782336364711
Langue Français
Poids de l'ouvrage 1 Mo

Informations légales : prix de location à la page 0,0750€. Cette information est donnée uniquement à titre indicatif conformément à la législation en vigueur.

Extrait

Couverture
4e de couverture
Titre
Fred F OREST










Lui ou l’appel des éléphants

Essai
Copyright
























© L’Harmattan, 2014
5-7, rue de l’École-Polytechnique ; 75005 Paris
http://www.harmattan.fr
diffusion.harmattan@wanadoo.fr
harmattan1@wanadoo.fr
EAN Epub : 978-2-336-71482-0
Citation






« Je est un autre »

Arthur Rimbaud
(Lettre du Voyant, 15 mai 1871)
A VANT-PROPOS
Le taxi s’immobilisa le long du trottoir vide. À peine avait-il pénétré sous les voûtes de l’aérogare que « Lui » fut saisi d’une impression étrange. Les comptoirs d’enregistrement étaient absolument vides de tout voyageur, mais également de tout personnel au sol… Pas une seule de ses créatures, en casquette galonnée, qui occupent en général les lieux, en bavardages avec le personnel des comptoirs, auprès de qui il aurait pu s’adresser pour s’enquérir des raisons de ce désert matinal ? D’un mouvement rapide, après un demi-tour sec, il revint sur ses pas vers la porte qu’il venait de franchir. Au passage, il avait aperçu, sans la lire, une feuille placardée à la hâte. Au marqueur, une main maladroite avait rédigé un texte qui allait désormais conditionner toute son existence à venir. S’approchant encore d’un pas, il pouvait maintenant en prendre connaissance. La feuille s’affichait, tenue par un scotch transparent sur la porte vitrée à double battant : Voyageurs , prenez votre mal en patience, une grève surprise a été décidée cette nuit par le syndicat des personnels navigants pour une durée indéterminée .
Sa valise à la main, s’enfonçant à l’intérieur des bâtiments, « Lui » n’eut d’autre choix que d’assumer son destin. Tous les aéroports du monde, à quelques détails près, se ressemblent. Dans l’entre-deux de ce voyage, qu’il entreprenait dans son imaginaire, il avait le choix de se croire à New York ou aussi bien à son retour vers Paris, après avoir effectué son séjour, ou inversement à Paris pour son départ vers New York. D’emblée et d’instinct, il avait opté pour une solution hybride et alternative, celle, où les deux trajets confondus n’en feraient plus qu’un seul désormais pour lui.
C HAPITRE 1
Une valise à la main, il avançait. Il avançait sans but défini, d’un pas incertain, en direction de l’aile nord du bâtiment. Le sol ciré de l’aérogare lui renvoyait sa propre image en mouvement. Il se sentait amicalement accompagné par cette silhouette inversée, complice en quelque sorte, qui le précédait d’un même élan. Une ombre familière. Une autre partie de lui-même. Elle progressait au sol devant ses pas comme une sentinelle avancée. Oui c’était certainement sa silhouette à lui, il n’y avait pas de doute. Il n’était pas quelqu’un d’assez important, et encore moins d’assez intéressant pour qu’un service secret quelconque attache quelqu’un à ses pas vingt-quatre heures sur vingt-quatre ! Il s’étonnait pour la première fois d’en prendre ainsi conscience avec une telle acuité. Sur chaque ligne horizontale du dallage plastifié, l’image se brisait pour se reconstituer aussitôt un peu plus loin. Les yeux baissés vers le sol, il continuait de se mouvoir vers l’aile nord du bâtiment, sans même savoir qu’un bâtiment identique en tout point, semblable à celui qu’il parcourait, s’était effondré, du jour au lendemain sans que personne ne s’y attende. Événement qui avait mobilisé pourtant les médias des semaines durant. Malheureux accident, s’il en est, pour un bâtiment qui venait d’être à peine inauguré. Mais l’inattendu peut, comme chacun sait, survenir à tout moment. C’est bien, là, le propre de sa spécificité. Type même d’accident qui d’une façon inepte ne manque jamais de déclencher des polémiques sans fin, puis des batailles d’experts, qui peuvent s’éterniser des années durant. Une croyance un peu naïve, et passablement vaine, préconise en effet, dans ces cas d’espèce, un recours pour définir les responsabilités. Comme si tout pouvait trouver un jour une explication, ou tout au moins un début d’explication, à des situations de fait, dont nul, au grand jamais, ne sera en mesure d’en déterminer avec certitude la cause et les origines. Comme si la chaîne entre la cause et les effets était un parcours programmé sans rupture possible, de telle sorte qu’il suffirait de remonter de l’un à l’autre, un peu comme on remonte un escalier à l’envers, pour que le monde s’explique soudain dans une parfaite et lumineuse cohérence. Ce besoin de comprendre et de se rassurer fait partie d’une constante de l’esprit humain. Quelques arguments, souvent dérisoires, fondés sur une démonstration pseudo rationnelle, suffisent à chasser momentanément les angoisses les plus aiguës, et à nous replonger dans un confort existentiel, qui nie l’impénétrabilité irréductible du monde. Notre incapacité physique, mentale, voire ontologique, à admettre et reconnaître une situation de fait dans ce qu’elle présente d’irréductible, nous conduit souvent à nier l’évidence par de perpétuelles fuites en avant. C’est dans cet interstice à géométrie variable que les religions officielles, comme les sectes les plus exotiques, d’ailleurs, trouvent à fonder, avec plus ou moins de bonheur et de réussite, leur raison d’être. Maintenant, « Lui », s’appliquait avec plus ou moins de bonheur à ce que son image sur le sol s’accorde le plus étroitement possible au rythme continu de son corps en mouvement. Deux ou trois fois, il dut même changer prestement de pas, comme le font les enfants quand ils jouent à la marelle dans la cour d’une école. Il en ressentait du plaisir.
Comme il n’avait rien d’autre à faire, c’était toujours-ça-à-prendre se dit-il. Façon de récupérer ce double de lui-même que le reflet des néons faisait courir sous ses pieds. Une idée saugrenue le fit sourire quand il imagina voir son double se retourner et lui faire un pied de nez. Vision passagère à laquelle il n’attribua aucune suite. Parvenu plus rapidement qu’il ne l’aurait imaginé à l’extrémité nord du hall des voyageurs, confronté soudain à la grande paroi frontale de verre, il opéra un demi-tour sec quasi militaire. Avec le bras comme un balancier, perpendiculaire au long de sa cuisse, par le mouvement imprimé, la valise s’éloigna un instant de son corps, selon un angle donné. Un angle qu’il aurait été possible de calculer, à la seule condition d’être un « géométricien » spécialiste des problèmes giratoires, présent au même instant dans le hall, et bloqué comme lui aussi par cette grève. Mais il n’y avait personne d’autre pour l’instant dans le hall que lui, et son avatar, qui suivait scrupuleusement ses moindres mouvements au sol.
Il pensa un instant revenir sur ses pas. Reprendre le trajet dans l’autre sens, sa valise à la main. L’espace ouvert devant lui le sollicitait. Il hésita. Il savait que rien ne pouvait l’empêcher de repartir dans l’autre sens, s’il le décidait. Personne n’était là sous un prétexte quelconque pour contrarier sa volonté. Il considérait qu’à la quarantaine passée, il était désormais maître de ses décisions. Il pouvait donc entreprendre le même trajet en sens inverse. Personne ne serait là pour tenter de le dissuader avec de bonnes ou de mauvaises raisons. Il se souvenait que dans des circonstances assez semblables des tierces personnes qui-lui-voulaient-du-bien avaient réussi à le faire renoncer à des projets. Elles lui avaient fait valoir les conséquences pour sa santé, ou pour celles de personnes qui lui étaient proches à l’époque, ou l’effet déplorable, en cas d’échec, sur sa propre situation financière. Par lâcheté ou lassitude, il avait fini par baisser les bras devant des arguments qui, en vérité, n’étaient rien d’autre qu’une forme de chantage moral. Une pression qui refuse de porter son nom. Les choses avaient bien changé depuis. Le fait qu’il ait entrepris ce voyage sans rien demander à personne en était bien la preuve flagrante. À cette heure

  • Univers Univers
  • Ebooks Ebooks
  • Livres audio Livres audio
  • Presse Presse
  • Podcasts Podcasts
  • BD BD
  • Documents Documents