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Description
Sujets
Informations
Publié par | Le Lys Bleu Éditions |
Date de parution | 16 août 2019 |
Nombre de lectures | 2 |
EAN13 | 9782851136473 |
Langue | Français |
Informations légales : prix de location à la page 0,0020€. Cette information est donnée uniquement à titre indicatif conformément à la législation en vigueur.
Extrait
Georges Monny
Marvin Gaye de retour à Oostende
Roman
© Lys Bleu Éditions – Georges Monny
ISBN : 978-2-85113-647-3
Le code de la propriété intellectuelle n’autorisant aux termes des paragraphes 2 et 3 de l’article L.122-5, d’une part, que les copies ou reproductions strictement réservées à l’usage privé du copiste et non destinées à une utilisation collective et, d’autre part, sous réserve du nom de l’auteur et de la source, que les analyses et les courtes citations justifiées par le caractère critique, polémique, pédagogique, scientifique ou d’information, toute représentation ou reproduction intégrale ou partielle, faite sans le consentement de l’auteur ou de ses ayants droit ou ayants cause, est illicite (article L.122-4). Cette représentation ou reproduction, par quelque procédé que ce soit, constituerait donc une contrefaçon sanctionnée par les articles L.335-2 et suivants du Code de la Propriété intellectuelle.
Première Partie
Des sources de l’horreur
Faire un détour par ici.
Se pencher sur les énigmes de la pensée vive.
Boire à la source du savoir.
Crier en silence son amour pour autrui
en sa quintessence.
Réconcilier le grand, le beau, le vrai et le bien.
I
Il y a de ces trucs qui vous donnent foutrement envie d’arrêter tout, puis de prendre la décision irrévocable de quitter votre pays natal pour ne jamais y revenir.
Plaquer père et mère, frères et sœurs, tant le dégoût est insurmontable.
Alors que les gens naissent le cœur sur la main, ils finissent par grandir l’estomac dans les talons, nuit et jour. Par suite, on en arrive même à perdre la foi, quelque pieuse et dévote eût été notre éducation. Du coup, on finit par passer son temps à traverser la rue afin d’éviter de mettre un nom sur la face d’une de nos frangines qui, le visage délibérément tourné ailleurs, se font maquer toute honte bue pendant qu’elles harponnent à longueur de journée des michetons et que nos potes d’enfance sombrent corps et biens dans l’abîme de la toxicomanie et l’alcool.
À ce stade-là, toutes les références sont biffées de la carte et toutes les valeurs, reléguées aux orties.
Entre-temps, l’autre manège continue jusqu’aux Calendes grecques : la queue devant les services sociaux et tout le bazar.
C’est ainsi que l’humiliation est devenue la pitance à laquelle nous sommes réduits à nous repaître au quotidien.
Quant au fond, putain mais qu’est-ce que c’est que ce pays de merde et qu’a-t-il encore à nous offrir en échange, lors même que ce sont nos ancêtres qui l’ont bâti à la sueur de leur front ?
Et nous restons là, le nez en l’air, à persister à y croire, en leur sempiternelle promesse : « Tu gagneras ta vie à la sueur de ton front »…
On s’enfonce le doigt dans l’œil jusqu’au coude, ouais !
Des conneries !
Même à la sueur de notre front, nous ne gagnons plus notre vie.
C’est fini, cette époque-là.
TER-MI-NÉE !!!
Rien ne sert plus d’aller écouter tous les dimanches le prêchi-prêcha de mon paternel, le prédicateur. Peine perdue.
Quel numéro, celui-là !
Lui au moins s’en sort les doigts dans le nez : carrosse blindé, bagouzes aux dix doigts, sans compter des gonzesses en veux-tu-en-voilà. Et par-dessus le marché, ce mec ose nous intimer de respecter la Parole de Dieu. À l’entendre, nous ne devrions même plus nous adonner à nos musiques profanes.
Des chansons païennes. Les uniques chants dignes de nos cordes vocales qui devraient être entonnés à la Seule et Simple Gloire de l’Éternel Tout-Puissant :
« Jéhovah Dieu des Armées », qu’il l’appelle.
Le saligaud.
Pendant qu’on y est, qu’est-ce qu’il ne va pas finir par exiger de nous ?
Bordel, pourquoi pas nous imposer l’abstinence avant le mariage et, pour faire bonne mesure, le Carême sec en sus ?
À le voir pourtant, il se trémousse avec emportement, la lippe molle et avachie, dans son bel embonpoint de bon vivant qui ne se prive pas. Pas besoin de se forcer pour entr’apercevoir les bourrelets de ses poignées d’amour qui tressautent sous la transpiration de ses hanches pendant qu’il chauffe la salle de sa voix de stentor et que la chorale se laisse assujettir.
On dirait qu’il a ravalé toute sa honte, mon dabuche. Dans notre quartier, là même où nous avons poussé comme de la chienlit, il ne condescendait même pas à jouer au basket avec nous, le « saint homme ».
Toujours collet monté, la mandibule en béton armé, raide droit comme un piquet, les fesses serrées.
On dirait une fiotte.
On ne comprend vraiment pas pourquoi des énergumènes de cet acabit se sont soudain mis à croire qu’ils étaient le Dieu réincarné, et partant, qu’ils étaient investis de la vocation farouche d’éliminer le Diable de la surface de la Terre.
Mon daron, lui, était persuadé d’une chose : c’était ou lui ou nous autres.
Aussi simple que ça.
Nous autres : les mécréants, la lie de la tribu, ce genre d’individus malodorants et infâmes, le ver malfaisant qu’il fallait extirper du fruit, à la manière dont eux autres séparaient le bon grain de l’ivraie.
Et pourtant, j’aimais bien chanter dans sa fichue église, moi.
Tout au long de mon enfance, je ne suis parvenu à trouver la paix que dans la musique. Déjà, c’était au piano et par la suite, à la batterie. Il ne s’en est donc pas fallu beaucoup pour que je me mette à nourrir un goût immodéré pour le R&B et le Doo-Wop , qui resteront à jamais mes lignes rythmiques de base en musique.
Cela dit, ces chansons d’église requéraient de moi une technique vocale prodigieuse. Il me fallait vaille que vaille réussir à chanter sur n’importe quel registre. Eh oui, moi je vous en fiche mon billet, j’adorais me lancer dans ces envolées qui emportaient notre petite communauté tout entière, dans un bel ensemble, comme une sorte de gigantesque mugissement de fin du monde. Alors, juste à ce moment-là, on se sentait tous un, soudés, inséparables et indissociables.
En osmose.
Mince, comme je pouvais adorer ça : ce sentiment de faire corps, d’appartenir à quelque chose de tangible !
Un repère auquel me fixer.
Lui, ne me faisait pas de cadeau. Il sentait que je lui échappais, tant il était finaud. En outre, il me regardait, du haut de sa taille, ses yeux fixés dans mes yeux qui ont toujours pleuré devant la tragédie de l’existence juste parce qu’il n’aimait pas jouer au basket avec nous dans la minuscule ruelle de notre cul-de-basse-fosse tandis qu’il persistait à me marteler à l’oreille que je n’étais qu’un voyou, une lopette, une ordure et un raté de première, jusqu’à enfoncer le clou :
— Tu sais, Marvin, je vais te dire une chose : tu ne pourras jamais chanter, petit. Jamais.
Mais ça, c’était avant que je ne rejoigne le groupe les Moonglows.
Il me surveillait du regard.
Un regard en biais.
Ce regard de reptile.
Des yeux de serpent.
Et moi, mes yeux en amande.
Hérités de ma mère, Alberta.
Il la tenait sous sa coupe, ma mère, tel un précieux trophée.
Tu parles d’une bonne affaire pour un salopard comme lui. Une fille originaire de Caroline du Nord, enseignante de surcroît. Quelle mouche a dû la piquer pour qu’elle vienne s’installer notre trou à rats de Washington, D.C. !
D’ailleurs, je n’ai jamais su comment i