Méditerranée
294 pages
Français

Méditerranée , livre ebook

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294 pages
Français

Description

Au commencement, le narrateur, à bout de forces, attend que ses poursuivants le rattrapent. Il se remémore, au cours de ce qu'il pressent comme sa dernière nuit sur terre, l'enchaînement des événements qui l'ont amené à cette situation sans issue. Est-il objectivement celui qu'il croit être ? A-t-il pu réellement commettre le crime dont il se dit l'auteur ? Entre grâce et damnation, folie et sagesse, le récit balance. Il emporte avec lui le désir de ferrailler un peu aux limites de notre langue.

Sujets

Informations

Publié par
Date de parution 01 décembre 2010
Nombre de lectures 8
EAN13 9782296433571
Langue Français
Poids de l'ouvrage 2 Mo

Informations légales : prix de location à la page 0,1200€. Cette information est donnée uniquement à titre indicatif conformément à la législation en vigueur.

Extrait

























Méditerranée


























© L’Harmattan, 2010
5-7, rue de l’Ecole polytechnique, 75005 Paris

http://www.librairieharmattan.com
diffusion.harmattan@wanadoo.fr
harmattan1@wanadoo.fr

ISBN : 978-2-296-11918-5
EAN : 9782296119185

Stefan Calastrène
Méditerranée
Roman
L’Harmattan






1
e suis seul et plein de haine, et les étoiles tournent. JAu-dessus, elles glissent, et s'inclinent, et sombrent à
l'ouest. Quelquefois, j'ai l'impression que c'est la terre qui
tourne et qui penche. C'est une lente rotation magnifique,
sans entrave aucune, régulière, à peine perceptible. J'ai mal
à la tête. Ça bouillonne. Mon souffle... apaisé maintenant.
Je me redresse. Brindilles accrochées, éraflures, cela n'est
rien. J'écoute, concentré, projeté au-delà du vacarme du
corps : je suis bien seul. Autour de moi, tiédeur
frissonnante, les arbres en fleurs, corolles de blancheur
fraîche et odoriférante, murmurent dans la nuit, pour moi
parés. Ils chantent la liesse des vieilles fêtes : l'assomption,
la dormition, ma paix enfin. Je me retourne : plusieurs
centaines de mètres en contrebas, à l'entrée des gorges, je
devine l'eau sombre et mouvante, sa fraîcheur glaciale. Une
couronne fantomatique, une intangible pellicule de buée
glisse, placide cavalcade, plus lentement, plus
imperturbablement, pour ainsi dire royalement, au-dessus de la lisse
et mouvante masse noire, saisissante, sans fond, aux lents
remous luisants coupés de reflets mercuréens : l'eau des
montagnes, capricieuse, gouvernant des courants invisibles
et mystérieux, abolissant dans son cours nocturne toute
distance et toute durée, où l'idée même semble happée par
la fascination, le tellurique débordement des choses. Je
cherche et je fouille dans les gouffres du noir, comme 8 MÉDITERRANÉE
halluciné, écarquillé jusqu'à douter de l'obscurité même ;
rien, pas de lueur pas de poursuite... J'y suis presque
maintenant, haletant. La pente raide et nue durement
tressaute, gravillons crissants, foulées ralenties, effort fourbi
où le cœur me revient en bouffées molles et douloureuses
sur les tempes, foulées lourdes, plus lentes encore que la
marche dans l'épuisement pénible et gourd ; haletant ; j'ai
l'impression de ne plus avancer, les larmes acides de sueur
voilent mes yeux aveugles ; en haut de la pente, je devine la
maison, ma maison, spectre mou obscur, puis se détachant
blafard sur le néant, danse des ombres où entrent mon
village, mes ruines, mes pierres à moi, transes claires qui
flottent dans la nuit. La saignée gravillonneuse du chemin
égrène un temps infini de marques presque arrêtées, trop
longues à passer, rampant ralenties à bout de forces
épuisées et vides, accumulées jusqu'à la nausée, tranchantes
comme le pressentiment du couperet, des marques
familières qui jalonnent mon erre et me semblent désormais
étrangères à jamais, repères naufragés revenus comme de
l'envers des choses, de la cécité, de la fixité et de la mort.
La porte, l'escali... Je tombe. Procédons avec rigueur...
Souvenons-nous. Cet arbre, ce tournant-là, les ai-je déjà
franchis... Ou l'habitude, ses douces manies qui font fuir les
choses, loin, bien loin au-delà de la présence, ravies par
l'anticipation et la distraction, l'habitude m'a-t-elle joué un
tour ? Je ne vois plus... je vole... comme un somnambule...
Je suis jeune et je vais mourir, mais maintenant c'est égal,
j'ai accepté l'indifférence. Ils vont venir. Ils me
rattraperont, eux, leurs possessions, chiens dérisoires
gardiens de leurs chaînes, misérables et pitoyables en leur
aveuglement, naïfs, chérissant leur joug ; moi, je n'ai rien, et MÉDITERRANÉE 9
ils viendront ; sans doute cela ne veulent-ils voir, futurs
cadavres gonflés de sociales illusion et importance... Non.
Impossible. Ils me méprisent, se méprennent sans
comprendre, comment le pourraient-ils : quelle est leur loi,
quel est leur nombre ? La nuit semble attendre leur
mugissement et leur halètement en grappes, troupeau
ahanant en cadence, chèvres, femmes, sans doute, et
hommes ; jeunes et vieux, dans la sueur et l'obstination de
la lâcheté commune... Abhorré, je suis, pétri du vent de
leurs mots lourds, et de la glaise de leur cœur... Toujours,
ils m'ont regardé avec mauvaiseté... Sur le seuil je tombe.
La porte. Je suis chez moi. L'escalier bleu boyau aux
marches étroites de bois noir d'usure déglinguée, la nuit,
noyé dans la crasse et l'attente, est un néant qui flotte
autour de moi, et rien, brouillard, et dans mes yeux des
taches claires et immobiles, et molles et sans relief, comme
un voile, un va-et-vient de luminescence diffuse
écarquillée... Émergent les choses de ce fourmillement
aveugle d'humeurs en suspension, spectacle impudique de
l'intérieur des yeux en l'absence d'âme. Oui, stroboscope,
le sable orange de chaud chamoirage descend encore
l'escalier, écharpe de givre minéral, petite traînée aérienne à
mi-hauteur le long du mur à droite, qui fait un bruit
d'Afrique et de désert, le tintement de l'or, ce sable qui
court, sarabande des étoiles, ce temps qui vole, comme
porté par le souffle, le souffle... De quoi ? Silencieux et
éternel souffle, mon ami, mon confident, mouvement du
cœur très ancien de la maison. Toutes les nuits,
imperturbablement, interminablement, j'entends la rumeur
de l'escalier ; de l'autre côté du mur descendent lentement
en procession lunaire les grains de sable ; ce sont les corps 10 MÉDITERRANÉE
des étoiles mortes qui viennent s'échouer sur la terrasse. Au
matin, des petites dunes lèchent les murs et remplissent les
pièces du bas ; au premier regard, à la première lueur de
l'aube, elles disparaissent et meurent tout à fait, brouillard
inconsistant de poussière stellaire rappelé à l'errance des
mondes. La nuit, embusqué sur le palier, je peux les voir
couler lentement au dessus des marches, recouvrir les
choses de rêves insensés et de tapis volants. Ils descendent,
volent, multicolores et fluorescents, dans leur régulière
suspension, très lentement, comme un fleuve paisible. C'est
une vision qui me visite souvent. Mais peut-être n'en
est-elle pas une. Qui peut savoir, en ces heures incertaines.
Toutes les nuits ça glisse. Mais jamais comme maintenant,
presque tangible, doux comme un lit d'étoiles, une rivière
de sablier, fin, soyeux dans mon escalier étroit aux murs de
crasse grasse, épaules coudes et bassin, et qui sourd là-haut
de la porte de planches étroites disjointes aux raies de ciel
de nuit, qui sourd invisible encore, qui sourd de ses creux,
de son usure, et les chiffons bougent doucement dans la
brise nocturne... Je tombe. Me redresse. Chancelle.
Làhaut, le clou... Je désenroule la ficelle, pousse, la porte
couine, ciel. La terrasse, enfin, son liseré qui porte
l'horizon, son liseré de vide, sans muret, sans rambarde, net
et coupé, avec derrière l'abîme de la falaise, la distance et
l'autre montagne en face parallèle, et la mer qu'il y a
derrière... La terrasse, périlleuse, cinq mètres de côté,
entièrement offerte, mon dernier abri, avec la nuit ma mie...
Je suis allongé dans la fraîcheur volubile de la nuit et je
saigne. Je suis arrivé au bout, même si tout est calme
encore : moi et le ciel, le ciel et moi, nous, ce mot chéri, je
suis haut, et tous les deux nous sommes indemnes, à la MÉDITERRANÉE 11
frontière même de l'immobilité, basculant au-delà de tout
savoir, nous sommes vide. La nuit sera longue. Ou trop
courte. Je ne suis pas pressé. Je n'ai pas envie d'en finir,
d'ôter ce poids. Je profite de mes derniers instants de paix.
Tout désormais se désagrègera, s'empressera dans la
longue, ou courte, déliquescence du temps, tout tendu vers
le marécage final, l

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