Milosz
135 pages
Français

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Milosz , livre ebook

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Description

"... Ce fut les yeux fermés qu'il se dirigea vers Louise, comme un aveugle qui connaît les moindres recoins d'une pièce, chaque encoignure de meuble. Il arrivait maintenant à hauteur du lit. On lui prit la main, doucement, ensuite, terriblement. On l'attirait contre lui et les yeux toujours clos, il s'abandonna. Ils restèrent ainsi, dans un pur instant d'éternité. Et l'éternité ne fut pas de trop." On l'a surnommé l'idiot, et elle la vieille fille. La bêtise des hommes les a séparés. Désormais il vit seul à Désert-Plaisance, quant à la vieille fille, à Saint -Alban, elle s'est enfermée dans sa folie...

Sujets

Informations

Publié par
Date de parution 02 mai 2007
Nombre de lectures 176
EAN13 9782336272795
Langue Français

Informations légales : prix de location à la page 0,0500€. Cette information est donnée uniquement à titre indicatif conformément à la législation en vigueur.

Extrait

© L’HARMATTAN, 2007
5-7, rue de l’École-Polytechnique ; 75005 Paris
L’HARMATTAN, ITALIA s.r.l. Via Degli Artisti 15 ; 10124 Torino L’HARMATTAN HONGRIE Könyvesbolt ; Kossuth L. u. 14-15 ; 1053 Budapest L’HARMATTAN BURKINA FASO 1200 logements villa 96 ; 12B2260 ; Ouagadougou 12 ESPACE L’HARMATTAN KINSHASA Faculté des Sciences Sociales, Politiques et Administratives BP243, KIN XI ; Université de Kinshasa-RDC
http://www.librairieharmattan.com harmattan 1 @wanadoo.fr diffsion.harmattan@wanadoo.fr
9782296031807
EAN : 978229603187
Sommaire
Page de Copyright Page de titre Ecritures
Milosz

Jaunay Clan
La lettre est arrivée ce matin. Elle a été glissée sous la porte...

Allongé sur son lit, Milosz a entendu la camionnette du facteur ralentir. La portière s’est ouverte, le moteur tourne toujours. Odysseus sort du véhicule, le contourne par l’arrière comme il en a l’habitude, remonte l’allée, grimpe les cinq marches, entre dans le hall d’entrée de l’immeuble, ne s’arrête pas devant les boîtes aux lettres, et monte les étages qui mènent à l’appartement de Milosz. Parvenu au septième, il glisse l’enveloppe sous sa porte, redescend, retraverse l’allée, et repart.
Milosz a entendu les pas dans l’escalier, le bruissement de la lettre que l’on a glissée sous sa porte. Comme une lagune entre deux tirants d’eau, son corps repose sur toute sa longueur et, bien qu’aucune pénombre ne pénètre la chambre, sa peau est baignée de reflets d’ombre. Seul son regard se fiche, avec la rigidité d’un clou, au cadran de la pendule sur laquelle les aiguilles se déplacent comme si un souffle invisible leur impulsait un rythme perpétuel. Les secondes s’écoulent. Les hommes ont imaginé le temps, et le temps file, sans vergogne, comme une eau sale.
Les cloches de l’église se mettent à sonner, un moteur de voiture s’emballe, des éclats de voix parviennent, fragmentées, au travers des vitres. Milosz se tourne lentement et son sexe se loge dans le creux de sa cuisse. Il jette enfin un coup d’oeil au bas de la porte et aperçoit le petit rectangle de papier. Il regarde la distance qui le sépare du pli. Il pourrait ne pas faire un geste, ne pas l’ouvrir, et ne jamais en connaître le contenu, à supposer qu’il y en ait un. Lui aurait-on fait une blague ? Oui, ce doit être cela. Une enveloppe vide pour se moquer de lui. Milosz est pris d’un fou rire : il aime les plaisanteries, même s’il ne les comprend que rarement ; il porte une affection toute particulière aux farceurs. Il a toujours envié ces hommes hilares se tenant les côtes et qui ne paraissent être sur terre que pour vivre parmi leurs bons gros rires.
Milosz fixe à nouveau la lettre, éclat blanc sur le plancher; elle semble se soulever, basculer imperceptiblement d’un côté, de l’autre. Dehors un vol d’hirondelles transperce le bas rosissant du ciel de leurs cris métalliques, tandis que les heures tombent, les unes après les autres. Puis, entièrement nu, il se lève et ramasse l’enveloppe. Son cœur bat un peu plus vite que de coutume. Il a reconnu les lettres qui forment son nom. Ses doigts en tremblent légèrement. À l’intérieur il trouve un papier noirci par une succession de signes qui lui semblent réguliers et bien formés. Et il reste là, debout, la lettre entre les mains. Il la parcourt, la retourne, la parcourt une seconde fois ; il a beau l’examiner, elle est une énigme. Milosz ne sait pas lire et il est presque gêné, comme si elle se rendait compte de son ignorance. On dirait que la page s’agrandit, qu’elle prend plus de place. Il faut la poser sur la table, cesser de se préoccuper d’elle, faire comme si elle n’était jamais arrivée. Il doit tout simplement l’ignorer. Quelle meilleure solution que de lui tourner le dos pour regarder les arbres qui s’enracinent tout en essayant de toucher le firmament comme eux seuls savent le faire ? Milosz ouvre la croisée et suit les nuages au travers des feuillages ; à se plonger les yeux ainsi dans le ciel, il se souvient de sa vie d’autrefois, des odeurs moites de la terre après l’orage, celles des herbes chaudes et du foin piquant qui fait tousser...
Le soir descend. La fraîcheur entre et le saisit peu à peu, et quand il finit par sentir venir le froid, alors il se précipite dans son lit et s’enroule dans les couvertures en se positionnant en chien de fusil. Il peut encore voir le ciel où les étoiles sont posées comme promesses de songes. Avant de se laisser sombrer, il repense à la lettre. Demain il doit voir Odysseus. Il saura la déchiffrer, lui, il sait lire. Milosz ne doit pas avoir peur des mots. Quelques instants plus tard, la bouche entrouverte, il flotte dans sa nuit et les cieux peuvent continuer à scintiller, traversés de grands vents glacés.
C’est la sonnerie du réveil qui le tire du sommeil. Dans la cour le givre recouvre les branches des arbres et le petit jour s’en trouve éclairé. Tout endormi, Milosz se rend dans la salle d’eau en refermant avec soin la porte derrière lui. Il entre, en robe de chambre, dans la cabine de douche carrelée de blanc, tourne le robinet et, appuyé contre le mur, attend que la vapeur envahisse la pièce. À ce moment-là il se dévêt, accroche son vêtement à la patère et se place sous le pommeau de la douche.De longues mèches brunes se plaquent par paquets sur ses yeux, et il incline légèrement la tête en avant. Son corps reçoit avec bonheur le jet d’eau chaude et Milosz, immobile, s’abandonne. Sa peau s’amollit de plus en plus, il a l’impression que la plante de ses pieds devient terre détrempée et qu’elle fait partie intégrante du carrelage. L’atmosphère maintenant est parfaitement irrespirable ; encore ruisselant, il sort précipitamment, et sans prendre le temps de se sécher, il enfile en grelottant un tricot bien chaud, un caleçon épais, son pull-over et son pantalon en laine grise.
La lettre est là, à sa place, indifférente à tout ce qui se passe ou pourrait advenir. Milosz, lui, éprouve un léger pincement au coeur. Il la prend, la met dans la poche intérieure de son manteau, relève le col, noue son cache-col, et se retrouve dans un petit matin de sèche froidure dans les rues de Désert-Plaisance.

Les commerces sont fermés à l’exception des Trois Tilleuls, et Milosz s’y dirige. Sur les pavés mal ajustés, ses godillots ferrés scandent sa marche presque militaire. En poussant la porte, la chaleur le gagne et le brouhaha contraste avec le calme des rues. Des ouvriers sont là, installés devant des cafés brûlants ; leur visage respire le repos de leur nuit. Milosz commande en grimpant sur l’un des tabourets. Il lui semble qu’il domine la salle, et que tous le regardent : il jette un oeil furtif sur les consommateurs. Tous l’ignorent et cela le rassure. Peu à peu les hommes partent à leur travail et il se retrouve l’unique client.
Derrière le comptoir, Paco, le patron, essuie les verres. Milosz se demande un instant si sa respiration est audible pour l’autre. Cette pensée lui apparaît stupide et en même temps le fait sourire. Il a une sympathie naturelle pour cet homme, venu, dit-on, d’un lointain village du sud de l’Espagne. Il l’a toujours connu aux Trois Tilleuls. Paco est un homme qui parle peu, mais, quand il donne son avis, il le fait avec une telle assurance que l’on ne peut qu’acquiescer. De plus, sous un aspect austère, il n’est pas dépourvu d’humour et de charme. Milosz l’a surpris un jour, alors qu’il était seul, en train d’esquisser quelques pas de danse, et a été étonné par la grâce et l’élégance qui émanaient de ce corps.
Milosz lève les yeux vers la pendule ; elle indique quinze heures cinquante-sept, il l’observe une fois encore et se souvient cette fois-ci qu’elle ne fonctionne pas. C’est Paco lui-même qui l’a achetée à un marchand ambulant entré se réchauffer par un jour de froid. Et bien que le mécanisme de l’horloge soit cassé, Paco a tenu à l’acquérir. Tout simplement parce qu’elle lui a rappelé celle qui trônait sur le buffet de la maison de Maria, sa mère. Ce fut la seule fois qu’il fit allusion à elle mais chacun comprit ce jour-là qu’il lui vouait une affection sans borne ; tous, secrètement, admirent Maria d’avoir un fils si aimant. Ainsi l’horloge a pris place. Et la pendule qui n’avait jamais indiqué l’heure exacte donna naissance à l’expression « l’heure de Maria ». C’est devenu la formule que les habitués utilisent quand l’un des habitants de Désert-Plaisance ne parvient pas à justifier son emploi du temp

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