Monologue du prince déchiré
56 pages
Français

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Monologue du prince déchiré , livre ebook

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Description

Sur le point de se retirer des affaires de l'Etat à l'approche de la vieillesse, un prince se penche sur son passé, sur son action, en manière d'examen de conscience. Esprit sensible, scrupuleux, compatissant, quelque peu philosophe, il porte sa réflexion sur le pouvoir lui-même, sa justification, ses limites, sa solitude, son éthique, et tout ce sur quoi le pouvoir a prise : la liberté, l'ordre et le désordre, la guerre, la loi, les agents du pouvoir, les sujets du pouvoir.

Sujets

Informations

Publié par
Date de parution 01 mars 2011
Nombre de lectures 89
EAN13 9782296801745
Langue Français

Informations légales : prix de location à la page 0,0424€. Cette information est donnée uniquement à titre indicatif conformément à la législation en vigueur.

Extrait

Monologue du prince déchiré
 
 
© L’Harmattan, 2011
5-7, rue de l’Ecole polytechnique, 75005 Paris
 
Fabrication numérique : Socprest, 2012
Ouvrage numérisé avec le soutien du Centre National du Livre
 
http://www.librairieharmattan.com
diffusion.harmattan@wanadoo.fr
harmattan1@wanadoo.fr
ISBN : 978-2-296-54242-6
EAN : 9782296542426
 
Bertrand Hutteau
 
 
Monologue du prince déchiré
Le champ d’épreuves
 
 
L’Harmattan
 
A la mémoire de Georges Emmanuel
 
 
N’est-ce pas beaucoup, pour celui qui se trouve en place par un droit héréditaire, de supporter d’être né roi ?
La Bruyère, Du souverain ou de la république
 
L e hasard de la naissance me fit prince de ce royaume ; j’en assume la conduite sans l’avoir recherché.
J’avais beau jeu de tenir l’ambition pour vulgaire ; le pouvoir m’était échu sans combat ; point de Rubicon à franchir, soit qu’il projette l’ambitieux vers les cimes, soit qu’il mette un terme à ses espérances. Le pouvoir n’est accomplissement que pour qui doit le conquérir ; pour moi, d’emblée, il fut devoir. Je n’eus pas à m’interroger sur sa légitimité ; il m’était donné par hérédité ; je ne me dérobai pas.
Ce pouvoir n’était pas de la nature de ceux qui firent la gloire et la perte de la Grèce antique où, par alternance, une moitié de la nation opprime l’autre sans les préserver pour autant de la tyrannie d’un seul, où l’une s’emploie aussitôt à détruire ce que l’autre a édifié, où l’art de la parole tient lieu de celui de gouverner, où les meilleures énergies s’épuisent en luttes, en haines et en humiliations, et où chaque homme, enfin, réputé souverain, sape l’autorité des lois qu’il s’est données.
 
***
 
Privé de compagnons de lutte, je n’en suis que plus seul et c’est sans doute bien ainsi ; je ne dois rien à personne, je n’eus pas à flatter un peuple versatile, je n’eus pas à me montrer ingrat envers qui m’eut aidé.
J’ai des ministres, exécutants habiles et de grand mérite ; il s’est établi entre nous cette relation de confiance nécessaire au bon gouvernement de l’Etat. Soigneusement choisis pour leur diversité, mais fidèles par conviction et par éducation, ils sont au nombre de ceux sur qui l’on peut compter ; si confiant que je sois, je reste éveillé car je crains qu’un peu de complaisance à mon égard ou au leur ne les conduise parfois à orner la vérité.
L’être qui m’est le plus proche et le plus cher, la reine, ma femme, m’est souvent un guide ; elle est une des rares personnes avec qui je peux m’entretenir des choses essentielles ; mais elle m’intimide et je redoute parfois de me livrer, non, certes, par défiance, mais par crainte d’incompréhension ; son caractère altier et son âme espagnole ne tolèrent pas que l’on compose ; or, la sagesse et le bien de l’Etat commandent parfois au prince de renier sa parole ou son idéal, de transiger avec sa conscience.
Ainsi, puisque vous venez à moi avec bienveillance, c’est à vous que je dirai mes incertitudes, mes bonheurs et mes échecs.
 
***
 
En apparence, je suis un prince heureux ; j’ai, au bout du compte et en bon père de famille, conservé au royaume la tranquillité et la sécurité ; il est aujourd’hui en paix avec lui-même, en paix avec les autres nations sans que son honneur en ait souffert.
Mon règne, cependant, ne fut pas constamment paisible ; j’aime autant qu’il en ait été ainsi ; une trop grande quiétude attire souvent la tempête le bonheur des peuples est fragile et je n’aurais pas souhaité que mes successeurs aient à endosser des difficultés qui m’auraient été épargnées.
J’ai trop donné de moi-même, trop œuvré pour le bien public et la cohésion de la nation pour ne pas espérer la reconnaissance de l’histoire. Je n’en ai pas moins été sujet à l’erreur : le pouvoir solitaire fait l’erreur solitaire ; et si le monarque est au-dessus des lois, doit-il, pour autant, ne pas répondre de ses erreurs ? En répondre sur quel fondement, l’intention, l’ignorance, ou les seules conséquences de ses décrets ? Mais l’histoire est notre seul juge ; m’estimera-t-elle sur ce que j’aurai fait, ou sur l’image qu’elle aura retenue de moi ? Dira-t-elle ce que, derrière le masque des faits, peut véritablement être un roi ?
 
***
 
Je fus vieux avant d’être jeune ; la reine, ma mère, ne me marchanda pas son affection, mais, prise par le constant devoir de représentation que la nation exige des souverains, elle confia mon éducation à des gouverneurs ; ces gens rassis, estimables, m’enseignèrent tout, me protégèrent de tout, y compris des jeux et des rêves ; ils ne me permirent pas d’être ce que j’aurais dû être, un enfant. Je n’ai pas connu cet âge où parait immuable l’ordre des choses ; je savais déjà qu’il est contingent et que tout est toujours à recommencer. Au moins n’étais-je pas comme ces aveugles de naissance qui, accédant miraculeusement à la vue, découvrent le monde moins beau qu’ils ne l’avaient imaginé. Cette éducation fit de moi un jeune homme timide et effacé ; j’étais né prince, je n’étais pas né roi ; on attendait peu de moi, ce fut ma chance. Qui sait cependant si, privé de cette éducation rigoureuse, je n’aurais pas été un adolescent insignifiant et, plus tard, un souverain médiocre ?
Jeune, j’aurais aimé tout savoir pour tout rêver, connaître tout ce que la science des chiffres et celle des astres recèlent de poésie, cette poésie de la matière que l’homme a subrepticement dérangée. Plus tard, seulement, je compris que la vie est succession de choix, donc de renoncements, et je sus vite, d’instinct, ce qu’il fallait ne pas connaître. Aussi le prince ne peut-il rêver qu’à la gloire de son pays, au bien-être de son peuple ; l’histoire est toute sa poésie.
J’avais alors raillé la manie des monuments dont tant de princes furent saisis ; j’estimais que seuls nos actes devaient nous être comptés et qu’il y avait malhonnêteté à confier à ce qui n’est pas notre œuvre le soin de perpétuer notre souvenir. Par la suite, je m’étais ravisé, car les monuments attestent la grandeur de la nation tout autant que celle du monarque.

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