Nos fils aimés
206 pages
Français

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Nos fils aimés , livre ebook

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206 pages
Français

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Description

A 18 ans, Samuel mène une existence marginale rythmée par ses prises d'héroïne. Il puise sa seule lumière dans l'écriture d'une biographie de Cyrano de Bergerac, son maître à penser. Jusqu'au jour où deux infirmiers se présentent à son domicile. Samuel est interné de force en hôpital psychiatrique. Mais Cyrano veille et apparaît régulièrement en songe. Dans la douleur et la confusion, Samuel découvre l'amour et l'amitié. Et le pouvoir des mots. De simple conteur, il devient prophète des égarés. La violence est prête à éclore, jusqu'à la révolte finale.

Sujets

Informations

Publié par
Date de parution 01 avril 2010
Nombre de lectures 210
EAN13 9782336267357
Langue Français

Informations légales : prix de location à la page 0,0800€. Cette information est donnée uniquement à titre indicatif conformément à la législation en vigueur.

Extrait

© L’Harmattan, 2010
5-7, rue de l’Ecole polytechnique, 75005 Paris
http://www.librairieharmattan.com diffusion.harmattan@wanadoo.fr harmattan1@wanadoo.fr
9782296118737
EAN : 9782296118737
Sommaire
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Nos fils aimés

Arthur Loustalot
Je veux remercier mon père pour ses critiques, ses conseils, et pour tout le courage insufflé pendant l’écriture de ce roman. Ma mère, également, pour toutes ses corrections, et à titre plus général pour ses petites attentions et sa présence au quotidien. Enfin, je souhaite remercier mes deux sœurs, Marie et Sophie, que j’aime infiniment, d’être mes meilleures amies.
T’es comme une bougie Qu’on a oublié d’éteindre dans une chambre vide, Tu brilles entouré de gens sombres voulant te souffler. Celui qui a le moins de jouets, le moins de chouchous Celui qu’on fait chier Le cœur meurtri, meurtrière est ta jalousie. L’enfant seul se méfie de tout le monde, Pas par choix, mais dépit, pense qu’en guise d’amie Son ombre suffit.
L’enfant seul , Oxmo Puccino.
À mon amour, Julie.
1
D ’un battement d’ailes frénétique le pigeon vint se poser sur le banc près de Valentin. Le soufre jaune et tremblant de son œil dans la nuit guettait l’immobilité de l’étranger. Il étendit lentement son cou gris mâtiné de blanc, comme un ressort sur lequel il tirait, puis commença à becqueter l’air. Valentin ne montra pas la force de déloger l’oiseau, et l’observa avec une distraction paniquée. Il imagina les fientes acides ronger le bois vert et verni du banc, les rats et les insectes attirés par les nids aux becs grêles et les maladies, la vie du peuple ingrat, triste, solitaire. Le pigeon gagna en confiance et déambula sur son coin de banc, explorant les griffures du bois et sondant le calme alentour. Sa démarche boiteuse dévoilait les pattes aux quatre doigts roses, sales et rognés, un plumage épais et fécond qui, dans sa générosité, dispersait ça et là quelques plumes mortes étouffées par les autres. Valentin décida de prêter son attention fébrile à un autre décor. Il offrit son regard vide à la rue déserte, le poussa un peu jusqu’au feu de la circulation, qui devint vert, puis rouge, puis vert. Seule la montre au bracelet de cuir filandreux répercutait le rythme d’une vie. Le pigeon caracoula et Valentin sentit son âme aspirée dans la gorge convulsée et glaireuse du ramier. Le feu passa au rouge, le pigeon roucoula de nouveau. Valentin tendit son bras gauche pour le faire taire, prolonger le silence de l’intimité épuisée dans la nuit. Alarmé, le pigeon fit claquer ses ailes, et le feu passa au vert. Valentin, otage de la mécanique des couleurs et du hasard agressif du chant de l’oiseau, voulut crier et trouver enfin le ton juste de sa confusion. Il avait vu les choses, foulé les cicatrices brûlantes des vies charriées sur le bitume. Il se sentit atteindre les ultimes frontières des territoires sombres qu’il avait explorés. Il n’aurait jamais plus l’énergie d’envelopper la vie, et la vie après tout n’était pas grand-chose. Il rentra chez lui et trouva le tube de Valium de son père. Il referma doucement la porte en sortant et se dirigea vers l’escalier de l’immeuble. Il s’assit sur une marche et prépara un fixe en pleurant. Il noua le garrot autour de son bras, prit sa tête dans ses deux mains tremblantes. Il puisa le courage nécessaire, sans fierté, de rire entre deux sanglots. Il renversa le tube de Valium dans sa bouche ouverte, et résista plusieurs secondes à la tentation de tout recracher. Il pleura une dernière fois et eut juste le temps de se piquer pour partir sur une montée d’héroïne. Elle rendrait à toutes ses tentatives de lutte échouées l’hommage de l’achèvement. Valentin serait retrouvé le lendemain matin la tête délicatement posée contre le plâtre granulé d’un mur de la cage d’escalier. Son père ne découvrirait jamais de lettre et connaîtrait pour la deuxième fois, après le décès de sa femme, la douleur d’un deuil prématuré. Sur son cercueil il y aurait écrit « À notre fils aimé ». Son jeune frère Samuel allait reprendre avec fermeté le lourd héritage de l’intraveineux.
2
À quatre heures du matin, Samuel ne dormait toujours pas. Son avant-bras tuméfié martelait son cerveau d’une fièvre sans fin. Depuis six jours, n’osant pas retrousser la manche gauche de sa chemise blanche, il se privait de douche et épongeait régulièrement le pus qui jaunissait le coton. Il avait manqué la veine, et l’abcès chaud progressait d’heure en heure, repoussant les tissus et les cellules mortes, rongeant la chair. Samuel se leva péniblement à l’aide de son bras droit, et se dirigea en gémissant vers la salle de bain. Il s’enferma et s’assit sur la cuvette écaillée des toilettes. La sueur perlait sur son front et troublait sa vue. Il déboutonna lentement la chemise et se cambra pour l’ôter. Au moment de libérer son bras gauche, il poussa un cri éraillé qui résonna dans le moindre recoin de sa tête. Il osa porter l’infection à sa vue, et lorsqu’il découvrit la veine sèche et flétrie posée sur la viande bleue, morte et purulente qui s’étendait sur une quinzaine de centimètres, il vomit sur le sol carrelé. Il pleura en se demandant à plusieurs reprises ce qui lui arrivait. La veine grise gonflait puis se contractait au rythme des pulsations cardiaques, et le passage du sang faisait trembler les amas de pus et de tissus morts. Samuel se rapprocha et les miasmes brûlants libérés par l’abcès agressèrent ses narines. Il cria son dégoût et résista à l’envie de vomir de nouveau. Il se leva et saisit la paire de ciseaux sur l’étagère. Il cala son épaule droite contre le mur et enfonça d’une main tremblante les lames jumelles dans sa chair, qui plia, plia encore avant d’être percée. Samuel hurla lorsque la poche explosa et que le pus fut projeté dans la pièce. Il perdit connaissance quelques instants debout contre le mur. Lorsqu’il recouvrit ses esprits, il commença à découper les tissus refoulés autour de la plaie. Chaque fois qu’il aventurait la pointe des ciseaux près de l’abcès crevé, sa chair le brûlait et de nouvelles quantités de pus noir et blanc jaillissaient. Il désinfecta la périphérie de la contusion, puis s’attaqua au noyau. Il fit levier avec la paire de ciseaux pour soulever la veine, bravant les arcanes souterrains de son corps, et tenta de rabattre le pus solidifié et les morceaux de peau flasques. Sa mâchoire rompait sous le poids de la contraction et il sanglotait violemment pour se donner courage. Il parvint à déloger une bonne moitié du gonflement mort de son infection, et la veine se reposa, lâche, sur la chair à vif. Il embauma son avant-bras d’une crème antiseptique et enroula une bande stérilisée autour de la plaie. Il prit deux Valium dans le placard à pharmacie et les déposa sous sa langue pour qu’ils agissent plus vite. Il attendit une minute, et lorsque les cachets furent dissous, il contracta le plus fort qu’il put ses muscles abdominaux et s’arrêta de respirer pour faire monter le sang dans sa tête. Alors il sentit l’effluve chaud se déverser et morceler son cerveau.
3
I l avait pris l’habitude de se lever très tôt pour écrire dans le petit carnet noir qu’il destinait à ses esquisses biographiques. Il alluma une cigarette au sortir du lit, et il alla s’asseoir à son bureau. Il rangea le désordre qui le parsemait, et ouvrit glorieusement son petit carnet. Il mit à jour ses notes.
« Savinien arrive donc à Paris en 1641, où il se lie rapidement d’amitié avec Le Bret et le jeune poète Tristan l’Hermitte. Il y fréquente assidûment les cabarets, comme celui de la Mule ou de la Pomme de Pin, où la mode est aux lausquenets, reversis, et autres plaisirs accordés à cette jeunesse mineure. Il ajoute alors le patronyme Bergerac à son nom, pour mystifier son entourage et pouvoir multiplier les fausses signatures de créance : il commence dès lors à modifier continuellement l’ordre de ses noms. Hercule de Bergerac, Alexandre de Cyrano de Bergerac, de Bergerac Cyrano ou encore Savinien de Cyrano ».
Samuel contempla quelques secondes la cicatrice sèche et blanche de son abcès crevé trois semaines plus tôt, puis enfonça sa main dans son caleçon et caressa son sexe ordinairement endurci par ses réveils matinaux. Il se masturbait tous les matins avant de partir au lycée, mais il estima que le temps n’était pas encore au plaisir. Il éprouvait la nécessité d’écrire plusieurs pages avant d’accomplir ces gestes connus de lui seul. Il poursuivit.
« Le chevalier de Lignières, adolescent pâlot et fluet, avait raillé le puissant Comte de Guiche dans des vers plus insouciants qu’audacieux. Cent spadassins l’attendaient Porte de Nesles pour l’enferrailler

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