Pages parallèles
132 pages
Français

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Pages parallèles , livre ebook

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Description

Pages parallèles est un récit à plusieurs voix entre réminiscence et réflexion sur la beauté, l'amour et le sexe, où la vie d'une jeune Casablancaise, écrivain, secrète et libérée brise les tabous.

Sujets

Informations

Publié par
Date de parution 01 juillet 2009
Nombre de lectures 63
EAN13 9782336279626
Langue Français

Informations légales : prix de location à la page 0,0500€. Cette information est donnée uniquement à titre indicatif conformément à la législation en vigueur.

Extrait

Pages parallèles

Leïla Hafyane
© L’HARMATTAN, 2009
5-7, rue de l’École-Polytechnique ; 75005 Paris
http://www.librairieharmattan.com diffusion.harmattan@wanadoo.fr harmattan1@wanadoo.fr
9782296091269
EAN : 9782296091269
Sommaire
Page de titre Page de Copyright Epigraphe Journal d’un homme sans réalité
La beauté n’a pas le droit de penser au bonheur. Encore moins au bonheur d’autrui ... mais c’est précisément pourquoi la beauté a le pouvoir de rendre heureux celui qui est prêt à en mourir dans la souffrance.
Yukio Mishima, Les Amours interdites
Je l’ai fait. Enfin. Je l’ai fait.

Je l’ai senti remuer en moi et puis, doucement, plus rien. Un léger frisson traverse ton corps. Avait-il conscience de ce qui lui arrivait ou était-ce une réaction involontaire d’un organisme en abandon. Je n’ai pas de réponse. Et à beaucoup de questions, je n’aurai pas de réponses. Est-il si important de tout comprendre ? L’expérience de la vie m’a montré que je pouvais voir sans comprendre et comprendre sans intelligence. C’est peut-être la pire des duperies et je suis l’illustre imbécile.

Tu es beau, sans expression et beau. Je me rends compte que l’exercice de l’esprit crispait et enlaidissait les traits du visage. Comme le reflet d’une onde trouble, il en dessine mal les contours. Tu es comme heureux dans mes bras, heureux que j’aie enfin compris ce qu’il te fallait. Tu ne m’as rien demandé, j’en conviens. Avons-nous besoin de paroles dans certaines situations. Non, elles agissent comme de la crasse qui souille.
En finir. Quel soulagement et quelle légèreté dans l’air. Je vois des jupons rire et des voix flotter. Le bonheur dans son somptueux apparat déballe ses atouts, qu’il est doux son sourire lorsqu’il me frôle.
Oui, je devais écrire le dernier acte et ordonner la fin de ton spectacle. N’est-il pas beau ? Féérique même ? Tu n’avais jamais été aussi beau, délivré des affres de ta comédie. Je ne t’ai jamais autant désiré qu’à ce moment. Ton sexe d’un brun pur repose docilement sur ta cuisse imberbe. Le repos d’un guerrier devait certainement ressembler à ce que mes yeux percevaient à cet instant. Les membres détendus, la tête tournée de côté, le corps en offrande et puis ce drap, ce drap rouge sur lequel tu reposes flatte ton teint. Je prends ce membre et remarque que son gland n’est pas uniformément rond. Tiens, il s’agit probablement d’un défaut de naissance ou est-ce le résultat du coiffeur dont la main avait tremblé au moment crucial. Était-ce tes yeux hagards qui l’auraient arraché à sa sainte mutilation ou encore tes ongles sales ? Oh pardon ! ils ne peuvent pas l’être, car en pareille occasion on fait laver à grande eau les bambins ; tes ongles longs ou mal taillés se seraient plantés profondément dans son bras, dont la réaction brusque aurait fait dévier le coup de ciseaux. T’avait-il giflé pour que tu le relâches ? Non, ses mains étaient toutes dans le sang et le fer et toi tu perdis connaissance dès que cette chose indicible te tomba dessus. Tu ne devais pas savoir ce qui t’arrivait. Tes jambes s’étaient tétanisées et les youyous emportèrent ta conscience dans une spirale étrange. Tu avais mal mais ne savais trop comment nommer cet état. À force de te répéter que tu réussissais avec panache le passage à l’âge d’être un homme, tu associais la douleur à la virilité.
« J’ai mal donc je suis. » Plus tard, cette maxime a dû se nourrir de ce que ta vie t’offrait et devint : « Je fais du mal donc je suis. »
Au fait, qu’utilisent les coiffeurs pour vous circoncire, des ciseaux ou des lames de rasoir? Découpent-ils cette peau comme le font nos mères le jour de la grande fête lorsqu’elles deviennent toutes bouchères? Tiennent-ils le prépuce comme une côtelette pour lui retirer sa partie superflue ? La voix de la mémoire résonne et le mot ciseaux revient. C’est à coup de gros ciseaux métalliques et grinçants que vous revenez pour une seconde fois à la vie.
Cette digression m’amusa beaucoup. Tu te rends compte que nous n’avons jamais eu le temps de nous voir sous toutes nos coutures. Une si longue amitié sans rien savoir l’un sur l’autre, l’un de l’autre. Je n’ai jamais su de quoi tu vivais. Les revenus de ton seul roman étaient-ils suffisants pour te permettre le confort que tu affichais ? Quelle performance! Et avec quel brio avons-nous déjoué les pièges des vies simples et préméditées !
J’ai l’esprit brouillé. Je ne sais plus où je suis ni ce que je fais là allongée près de toi, de ce corps inerte et de plus en plus froid. J’ai pensé ouvrir les fenêtres, le peu de soleil qui demeurait encore réchaufferait le sang de mon dormeur, mais je ne fis rien. Il n’y avait plus rien à faire. J’avais tout accompli. Proprement, sans heurts ni râle. Le foulard enroule toujours ton cou d’homme fort. On aurait dit une coquetterie d’amant.
L’esprit a-t-il gagné le pari de l’amour? Mais de quel amour? Nommerait-on amour cette relation qui nous mettait en laisse comme un chien qu’on a attaché à un arbre et oublié de libérer? À force d’attendre, il a fini par s’accommoder de cette semi-liberté. Heureusement que la corde est assez longue pour lui permettre les cent pas à la ronde. Il rêve de grands espaces, de courses effrénées, du départ sans retour, mais au moindre entrebâillement de sa paupière, l’image de la laisse lui rappelle son destin de chien enchaîné et oublié. Et nous sentions la rudesse de la chaîne dès que nous nous rapprochions trop l’un de l’autre.
S’éloigner. Comme remède.
Nous étions mal à l’aise avec ce sentiment. Il était destiné aux autres. Nous n’étions pas ces autres.
Nous aimions-nous ? Nous nous aimions à travers mon Miller, ton Genet, un Faust ou notre Chopin. Tu étais pendant un certain temps mon Yuchan 1 , puis à d’autres moments mon voleur dont le journal de Genet décrivait si bien les travers. Tes travers. Humains. J’en riais lorsque je surprenais dans ta voix la fausse vérité, changeante, vibrante mais combien tienne. Elle serpentait langoureusement le long de ta gorge robuste, allait puiser dans le creux de ton ventre la sonorité du réel pour se déverser de tes lèvres en gouttelettes fluides et dansantes. Je t’ai vu souvent appuyer d’un regard lointain cette posture. Attendrissant oui, tu l’étais.
On ne s’aimait pas. Quelle raillerie de s’entendre dire « je t’aime », non, nous n’étions pas dupes. Ce sentiment bêtifie et on se refusait la bêtise plus que la peste, évidemment celle racontée dans les livres; la vraie nous ne la connaîtrons jamais. Par notre siècle aseptisé, nous devinons les choses, nous ne les vivons pas.
Nous étions tout aussi mal à l’aise dans l’acte de cet amour. Exécuter par le corps l’émotion de la jubilation exige de désinhiber le regard de l’esprit. Or le mien n’en était que plus éveillé; critique et moqueur. Qu’en était-il du tien ?
Nos corps se désiraient diablement. De loin. Au loin. Mais leurs contacts nous ont toujours frustrés; ils ne savaient pas s’aimer. Nos corps lisaient d’autres histoires, certainement pas celles que nos sens chérissaient et les histoires de nos vies révélaient un énorme fossé.
Ton sexe dans ma bouche avait le goût d’une phrase lue qu’on aurait pu écrire soi-même mais qui n’est plus nôtre dès lors qu’elle émane d’autrui. On est partagé entre une fierté bouffonne et un remords fat. Tu bandas mais ne jouis point. Écervelée que j’étais! L’inverse aurait été un miracle. Encore un dernier sursaut de la vie. Involontaire. Décidément tu t’accroches encore. Et puis nous ne sommes plus au temps des miracles. A-t-il au moins existé un jour, ce temps des miracles ? Moïse s’est-il frayé un chemin dans la mer et Jésus a-t-il vraiment apaisé la tempête? Et comment confirmer le pouvoir de multiplier la nourriture dont Mohamed serait le détenteur? Est-il révolu, ce temps des croyances? Sommes-nous devenus moins crédules ou n’avons-nous plus besoin de preuve d’existence des pouvoirs surnaturels ? L’esprit moderne s’est barricadé ; il est moins perméable et beaucoup moins tolérant à l’égard de l’insensé. Il cède difficilement à l’abstrait, l’absurde o

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