Pendant que vous dormiez
135 pages
Français

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Pendant que vous dormiez , livre ebook

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Description

Kabylie 1960. Un commando de soldats français engagé dans une action de chasse aux "rebelles". Ils rencontrent dans un village Nadine, une institutrice qui, au cours de cet épisode tragique, assume seule le poids de l'amour : par sa force et sa lumière, elle incarne pleinement la Vie qui, parfois, fait échec à l'Histoire. Voici le constat douloureux de jeunes existences saccagées et le rappel des exactions et crimes perpétrés au 19ème siècle par la colonisation de l'Algérie...

Sujets

Informations

Publié par
Date de parution 01 décembre 2009
Nombre de lectures 49
EAN13 9782336250458
Langue Français

Informations légales : prix de location à la page 0,0000€. Cette information est donnée uniquement à titre indicatif conformément à la législation en vigueur.

Extrait

CHEZ LE MÊME ÉDITEUR
Collection Théâtre des Cinq Continents

Le jour du diable (1998) J’ai l’honneur (2000) Le ciel dans les bras (2002) La tranchée (2003) Un pavé dans les nuages (2004) La Brise - l’âme (2006)
Collection Ecritures

Les cahiers du grenier (2004)
Hors collection

Vues sur la nuit (radiodrames 2008)
Pendant que vous dormiez

Robert Pouderou
© L’Harmattan, 2009
5-7, rue de l’Ecole polytechnique, 75005 Paris
http://www.librairieharmattan.com diffusion.harmattan@wanadoo.fr harmattan1@wanadoo.fr
9782296108769
EAN : 9782296108769
Sommaire
CHEZ LE MÊME ÉDITEUR Page de titre Page de Copyright I II III IV Écritures - Collection fondée par Maguy Albet Directeur : Daniel Cohen
O n a marché toute la nuit — ou presque. Seulement deux pauses d’une heure chacune, corps étendu à même la roche froide. Aller plus loin, gagner du temps, se battre et vivre à la façon et au rythme de l’ennemi, la mobilité c’est l’efficacité : les leitmotiv de Simon-les-ficelles. Et le refrain du sergent Mallet, dit Mallet-la-gégène : « Casser du fellagha, les gars ; moins il y en aura, mieux ça vaudra ! » Et de rire parfois à bêtise dépoitraillée, le sergent Mallet. Et de hurler souvent : « Tas de cons ! » à nous tous, les fistons de la patrie. Lui, il est de carrière. Lui, il tiendra le serment de l’ARMEE. Lui, c’est un élu de la race de l’Ordre, pas un touriste.
Mais il faut désormais bien plus que la bave et les injures de Mallet-la-gégène pour réveiller notre dignité. Et d’ailleurs, pourquoi parler d’elle : au bout de nos longues marches, la nuit, dans le froid corrodant des plateaux ou, le jour, sous le soleil qui brûle, sauvage et fou de son feu, à la seconde du dernier cri d’une vie qui se glace dans un regard, dans la matière fécale de notre peur, peut-être l’avons-nous définitivement perdue. Cons, salopes, crétins, dans l’ordre, dans le désordre, nous sommes tout cela pour le sergent Mallet-la-gégène. Et cela ne veut plus rien dire. Même pour Mallet qui se tient compagnie, qui se supporte en gueulant. On marche. On attend son trou, sa petite seconde d’éternité. On marche. On ne perçoit que des bruits confus, pas plus. On nous a sauvés des mots.
À cette armée qui, loin de sa patrie, a ce bonheur de ne connaître les discordes intestines de la France que pour les maudire, et qui servant d’asile à ceux qui la fuient, ne leur donne à combattre, pour les intérêts généraux de la France, que contre la nature, les Arabes et le climat.

Le duc d’Orléans, à un banquet sur la Place de Bab-el-oued.
I
L e ciel prend maintenant le jour par tous ses pores et l’air, insensiblement, s’amollit et se réchauffe. Pas lent, pas las, épaules repliées, en file, on continue de marcher, avec, ce matin sur notre flanc droit, trois de nos camarades qui, l’arme braquée mais à peine visible sous la djellaba, veillent sur notre progression ; avec, assez loin devant nous, trois éclaireurs dont l’un, Max, blondinet, tout rougeaud, rondouillard, porte, toujours ostensiblement, un fusil à lunette.
Pas un arbre à notre vue, pas un buisson, rien qu’une plate-forme rocheuse en pente douce dans le sens de notre marche, sans traces de convulsions ; elle n’en finit pas de s’étendre par delà nos regards brûlants et découragerait nos pas si le craquement à intervalles presque réguliers et mille et mille fois répété des pierres sous nos pieds n’avait enlisé profondément l’esprit dans l’énorme fatigue dont le corps de chacun de nous est chargé à craquer.
Cependant que dans le jour qui s’installe se dissolvent les derniers chiffons noirs de la nuit et que là-bas, au levant, un amas de nuages arrondis en balles et en rouleaux va, dans un moment, s’affaisser, s’empaler sur les dards du soleil, le café chauffe à feu doux dans un casque posé sur un petit réchaud à alcool tenu, a bout de bras quasiment par Pierre, le rouquin. Lui ? Grand, bien charpenté, cheveux roux et la peau du cou, des joues, rouge — et aussi : un œil bleu à l’éclat vif et dur.
Au passage, comme à la soupe populaire, chacun de nous trempe son quart dans le casque et le corps prenant au café sa chaleur peu à peu se requinque.
Mais surtout ne pas penser : facile, c’est facile. Écouter le chef et s’appliquer, voilà ce qu’il faut, s’appliquer : pied gauche, pied droit, pied qui achoppe une pierre, pied droit, pied gauche, pieds nus aux doigts noirs de crasse, puants, enflés, que les mains frottent, flattent, doigts de pieds qui battent, qui revivent, ça fait du bien, c’est bon... « François, ne traînez pas, nom de dieu!» hurle Mallet-la-gégène.

C’est vrai : je m’appelle François. François Meunier. On peut vérifier : j’ai une médaille de Lourdes sur la poitrine — une attention de ma mère — et, au revers de la médaille, c’est écrit « François Meunier. 12 Août 1937 ». Classe 57, donc. Sursitaire, Appelé. Soumis. Yeux marrons. Cheveux bruns. Je mesure un mètre soixante-dix centimètres. Je pèse soixante-cinq kilos. Pas de marque particulière. Je m’appelle François Meunier. Je suis bien fatigué. SP : 26.303.
Pied gauche, pied droit, « Courage, les gars ! » Simon qui commande, Simon-les-ficelles, un officier de pas trente ans, a bien dit, on a bien entendu, on ne lui demandait rien : « Courage, les gars ! »
C’est peut-être à cause de la montagne là-bas. Enfin la montagne qui chante sa beauté, sa puissance, en une cathédrale d’énormes saillies ébréchées qui piquent le ciel et nous le rendent plus proche. Là-bas, au bord d’une large fondrière, Max et ses deux camarades — ils ont les cheveux ras, noirs et frisés : des têtes de ralliés — viennent de suspendre leur pas ; et Max a levé le bras : la file aussitôt se resserre, on se regroupe autour de Simon-les-ficelles, et de la bouche de celui-ci coule profusément la science stratégique : en chacun de nous alors, chien conditionné, un loup dresse une oreille, et la meute éclatée en groupuscules entre dans la cathédrale, tous sens en éveil, après avoir contourné la fondrière au fond de laquelle un peu d’eau sale attend les appels du soleil.
Le silence est en cet endroit souverain, dilaté. Après les saillies, après quelques massives gibosités : un goulot ; il s’évase en son extrémité, ouvre sur une langue rocheuse surplombant une large et profonde cuvette aux apparences accueillantes : un oued en son milieu a fait une saignée, la végétation a poussé en désordre, il y a tout ce qui suffit à la vie des hommes. Simon-les-ficelles avec ses jumelles, Max avec son fusil à lunette, peuvent distinguer, clairsemés sur les rives de l’oued, des cèdres, des buissons touffus. Plus haut, en face, prenant pente à quelques pas de l’oued, se dresse un piton avec, fichées dans sa calotte, les maisons d’un village.
Le ciel bas a ses humeurs ; la masse des nuages au-dessus de la cuvette a levé comme la mousse d’un bain et brouillé la vue au soleil ; il semble même qu’il ait renoncé à briller car sa lumière en ce matin de mai ne s’infiltre nulle part.
On nous a dit : « Repos ! »
D’abord à découvert, plus bas sinuant entre les cèdres et les oléastres, un sentier par endroit buriné, taillé en escalier grossier, mène à la cuvette, ensuite au village qui, Simon-les-ficelles vient de le dire au chef Mallet-la-gégène : « … vu d’ici, il parait paisible ». Mais il a aussitôt ajouté : « il faut y aller voir de plus près ».
Et il se concerte en aparté avec son subordonné immédiat tandis que le rouquin essuie la paume de ses mains à la djellaba de Max, essuie son front avec sa casquette...
Tandis que Max se gratte et s’ébroue...
Tandis que d’autres camarades, surtout des ralliés, s’asseyent — et les ralliés, une fois assis, on se demande s’ils ne vont pas machinalement croiser leurs mains sur la nuque et attendre qu’on les parque quelque part ; vainqueurs ou vaincus, une fois assis, toujours ils s’emplissent d’un profond silence qui répond dignement à la seule certitude que nous ayons tous : il faut mourir...
Tandis que d’autres veillent, surveillent, placés ici et là...
Tandis que dans un coin, il est toujours dans un coin, Eric relit une lettre écrite sur papier vert — Eric émeut par son regard d’enfant triste, nous accable par son mutisme ; on le traîne derrière nous comme un cœur en trop, on aimerait bien qu’il nous dise quelque chose...
Tandis que François est venu à ma hauteur : confiant, il me sourit, je pose ma main sur son épaule...

Faut dire : je m’appelle Raymond Poitevin. Je suis né en 1936 dans un petit village de la Dordogne. Yeux noirs. Cheveux brun

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