Petits cochons noirs d Haïti
75 pages
Français

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Petits cochons noirs d'Haïti , livre ebook

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Description

En Haïti, au début des années 80, le gouvernement de Duvalier, avec la complicité des Etats-Unis, fait abattre les cochons créoles, cochons noirs qu'on surnomme la tirelire du pauvre, pour les remplacer par des cochons roses. A partir de cet événement historique, l'auteur campe le personnage d'une femme emblématique, Myrtha Mexil, qui se révolte contre cette injustice et fera tout pour sauver la race des cochons créoles.

Sujets

Informations

Publié par
Date de parution 01 mars 2008
Nombre de lectures 61
EAN13 9782336252667
Langue Français

Informations légales : prix de location à la page 0,0424€. Cette information est donnée uniquement à titre indicatif conformément à la législation en vigueur.

Extrait

© L’Harmattan, 2008
5-7, rue de l’Ecole polytechnique ; 75005 Paris
http://www.librairieharmattan.com diftusion.harmattan@wanadoo.fr harmattan I cû wanadoo.fr
9782296050747
EAN : 9782296050747
Sommaire
Page de Copyright Page de titre Du même auteur Dedicace Postface Iconographie
Petits cochons noirs d'Haïti

Mireille Nicolas
Du même auteur
Jistis, murs peints d ’ Haïti — Essai — Editions Alternatives, Paris, mai 1994.
Arioi — roman — sous le pseudonyme maohi de Vairaumati no R’aiatea. Editions Au Vent des Iles, Papeete, Tahiti, 2001.
Le plus long voyage — roman — Editions l’Harmattan, Paris, mai 2003.
De ma terrasse d ’ Ibn - Khaldoun — Lettres d’Algérie de 1961 à 1964 — Editions Manuscrit.com , Paris. Prix 2003 des Nuits de la Correspondance de Manosque, dans la série Non Fiction.
Moemoea , l ’ aïeule des Marquises — roman — Editions Jeunesse Harmattan, avril 2004.
Man Anthologie de littérature untillaise, quatre tomes : (De la culture. De la politique. De l’économie. La femme antillaise, de l’humiliation à la libération), Editions L’ Harmattan, juin 2005.
Haïti, d’un coup d’Etat à l’autre — essai — Editions L’Harmattan, février 2006.
A Louis—Martin, Foucauld, Marie-Scholastique, Cassien et Kolbe ainsi qu’à leurs parents Agnès et Jean - Marie Gauthier, arec mon estime et très affectueuçement.
Et bien sûr, à ma Carla et à son autre grand mère, Claudie Mory, ma complice.
Dieulifait Prospè Pierrette Auguste rentre chez lui, à peine un peu plus harassé que d’habitude quand, de loin, il voit sa compagne dans le lacou 1 en grande conversation avec un beau monsieur bien mis.
Son sang ne fait qu’un tour. Il a déjà la main sur la poignée de corne de sa machette ; Myrtha Mexil, l’apercevant, lui crie joyeusement de loin « viens vite, mon cher, ce monsieur veut nous acheter notre cochon ».
Acheter le cochon, non, mais des fois, de quoi se mêle-t-il, ce bougre ?
Le beau monsieur a vu la machette à demi brandie. Myrtha aussi. Il ne s’agit pas d’insister. Dieulifait a trop bu. Il faudra attendre demain. On entend pétarader dans le lointain la camionnette du quémandeur.
Un coq chante. Des poules passent en picorant la terre rouge devant la porte. Que picorent-elles ? Le sol est rouge et lisse comme un dallage lustré. La paysanne s’assied, lasse, sur une petite chaise à la paille rongée. Les enfants la regardent, sept, silencieux. On ne leur propose rien à manger. Alors, ils ne demandent rien. Ils disparaissent dans la lumière parfaite de cette après-midi d’Haïti.
Dieulifait, on l’entend déjà ronfler sur l’unique paillasse de l’unique pièce.

Le cochon arrive, moins silencieux que les enfants. C’est une truie. Ses mamelles pendent, flasques, vides. Deux porcelets trépignent de ne pouvoir se les approprier. Le groin au ras du sol, il n’y a pas meilleure ménagère qu’elle. Tout lui est bon. Myrtha l’a même vue happer des moustiques. Il n’y a plus rien, vraiment plus rien sur le sol rouge et si bien balayé. La truie s’éloigne. Sécheresse. Plus rien non plus sur le carreau de terre que Dieulifait. loue à Compè Net. La récolte n’a fatigué personne. Merci bon Dieu seul maître. Il faut même remercier Dieu si on ne se fatigue pas au moment de la récolte. Un peu de millet, un peu de maïs, un peu de haricot. Et une mangue prise au manguier.

C’est septembre. Myrtha se répète que si on veut que les deux plus grands garçons aillent à l’école, il n’y a rien d’autre à faire : il faut vendre le cochon. Myrtha sait calculer : les petits uniformes, les chaussures, deux cahiers, deux crayons et quinze gourdes 2 par mois, pour chaque garçon, pour qu’il les donne au maître qui enseigne... Il faut vendre le cochon... Dieulifait, à chaque fois, c’est pareil, il dit qu’il ne veut pas vendre le cochon. Il attend le dernier moment puis il se rend compte qu’il ne peut rien. Il cherche tout ce qu’il peut vendre. Mais pas le cochon. Et après il est obligé de le vendre moins cher que les autres, car tout le monde a vendu le sien et les prix sont tombés.

Bien sûr qu’elle le comprend pourtant, son Dieulifait, Myrtha Mexil, sa compagne! Qu’est-ce qu’il reste chez un paysan sans terre quand le cochon a disparu ? Rien, vraiment rien !

Le lendemain, bien plus tôt que la veille, pour éviter le retour intempestif de Dieulifait, le beau monsieur est là. Myrtha Mexil qui écrase quelques grains de café pour essayer d’en faire un breuvage, le voit venir de loin. Il a prudemment laissé sa voiture sur le chemin en position de départ ; il arrive raide dans un costume blanc, le teint recuit par le grand soleil. Il a de si grosses lunettes noires que Myrtha en frémit. Un macoute 3  ? On a eu la bêtise de le renvoyer durement la veille, il vient se venger ; et les deux acolytes qui l’encadrent vont faire la sale besogne. Hier, il voulait acheter le cochon ; aujourd’hui, on va le prendre, brûler la cabane.

Elle sait trop bien, Myrtha Mexil, comment les choses se passent. Comme tous les pauvres, elle a espéré quand le bon docteur Duvalier est arrivé au pouvoir. Un homme si bon, si généreux. Noir comme elle. Qui avait soigné gratuitement les gens dans les campagnes.
Elle l’avait vu de ses yeux. Une épidémie de pian décimait le village. Sa mère allait mourir. Elle grelottait, cassée en deux sur son grabat. Et il était venu. Il avait dit qu’il était normal que les pauvres soient soignés gratuitement puisque personne ne cherchait à les aider. Bien au contraire. Les pauvres avaient tout donné. On leur avait tout pris. A pied pendant des heures, sur les cailloux des mauvais sentiers, ils dévalaient et montaient les mornes 4 la tête courageusement dressée sous les corbeilles de fruits, de fleurs, de légumes, sous les fagots de bois et les seaux d’eau. Et pour eux-mêmes, ils mêleraient quelques grains de riz et de pois 5 alors qu’ils apportaient aux riches de la ville toute l’abondance d’une terre généreuse qu’on leur demandait d’épuiser.

Le bon docteur noir parlait doucement en soignant les plaies purulentes qu’occasionne le pian. Myrtha Mexil, toute jeune et fraîche, dans l’éclat de ses quinze ans, s’émerveillait qu’on pût dire si clairement ce qu’elle ne savait même pas qu’elle pensait, et qu’elle découvrait en hochant la tête, c’est ça, c’est bien ça...

La mère n’avait pas été guérie mais Myrtha Mexil avait applaudi quand le bon papa docteur, Papa Doc, disait-on tendrement, était devenu président et plus encore quand il s’était proclamé président à vie. Car, qui connaît le bonheur, un moment, veut le conserver, la vie durant. Myrtha Mexil, maintenant qu’elle y repensait, ne se souvenait pas quand s’était développé le bonheur.
Avait-il effectivement été ? Quels lieux, quelles réalisations pouvait-on montrer en affirmant : là sont les lieux où nous avons été heureux, là sont les réalisations qui nous ont rendus heureux. Non ! On devait même affirmer que la misère s’était accrue au point que les villages s’étaient peu à peu vidés. Les gens partaient pour Port-au-Prince ; ou bien des parents y envoyaient leurs enfants qu’ils ne retrouvaient plus. On parlait de plus en plus d’hommes et de femmes qu’on enfermait dans des prisons. Et on finit par donner le nom de l’Ogre du Carnaval — Tonton Macoute — à ces soldats aux lunettes noires qui, jusqu’au fond des plus humbles chaumières venaient arrêter les innocents.
Bien du temps avait passé. Le docteur président était mort. Son fils s’étalait à sa place, soutenu de la même clique sauvage.
C’est à ces tontons macoutes que Myrtha Mexil pense soudain en voyant s’avancer les trois hommes qui ont laissé leur voiture sur le chemin de terre. Paralysée de frayeur, elle ne parvient pas à s’enfuir, les yeux rivés sur un objet noir qu’un des hommes tient à bout de bras.

Mais c’est une radio portative qu’on lui tend. Et les jeunes gens lui parlent un bon langage bien clair, bien suave... On lui dit que la veille, elle n’avait pas pris la peine d’écouter, que l’arrivée de son mari furieux l’avait privée de comprendre la portée des événements. Elle n’a pas compris car elle ne se tient pas au courant des informations. Elle ne sait rien parce qu’elle n’écoute pas la radio : le nouveau Président à Vie souhaite que son peuple écoute et comprenne ce qui vient d’arriver. Alors il offre à chaque famille un poste de radio. Interdiction absolue de le vendre. Obligation absolue de l’écouter, tous les jours, à trois heures de l’après-midi. Et comme c’est l’heure, on va l’écouter ensemble.

Le Président parle. Myrtha Mexil reconnaît sa voix parce que jadis elle avait une radio. Elle l’avait vendue. Elle est bien contente d’en retrouver une autre. Et voici à peu près ce qu’elle entend : une terrible épidémie de peste porcine s’est abattue sur le pays ; no

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