Photos manquées
111 pages
Français

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Photos manquées , livre ebook

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Description

Ce sont des photos dont l'instant a été manqué, mais qui sont paradoxalement réussies au sens où l'aide que le cliché devait apporter à la mémoire se trouve centuplée. Le souvenir ne semble pas, contrairement à nombre de photographies dont on range le tirage après un bref coup d'oeil, destiné à pâlir et à tomber dans un oubli définitif.

Sujets

Informations

Publié par
Date de parution 15 octobre 2010
Nombre de lectures 314
EAN13 9782296706873
Langue Français

Informations légales : prix de location à la page 0,0474€. Cette information est donnée uniquement à titre indicatif conformément à la législation en vigueur.

Extrait

Photos manquées
© L’Harmattan, 2010
5-7, rue de l’École-polytechnique ; 75005 Paris

http://www.librairieharmattan.com
diffusion.harmattan@wanadoo.fr
harmattan1@wanadoo.fr

ISBN : 978-2-296-12805-7
EAN : 9782296128057

Fabrication numérique : Socprest, 2012
Ouvrage numérisé avec le soutien du Centre National du Livre
Michel Jamet


Photos manquées


Suivi de
Clichés anciens
Du même auteur
aux éditions L’Harmattan
dans la collection Écritures
Le dernier mot , roman
Les sept glaives, roman
Toutes les choses , roman
Tendre absence , roman

dans la collection
Poètes des cinq continents
Haute soit la rive
Dans l’azur nos mains
Les bras chargés de livres
I
Marché

Je vais au marché pour le plaisir de l’œil et la satisfaction du nécessaire. Pour protester aussi contre les progrès de la dématérialisation, pour m’assurer que les choses gardent volume, odeur et consistance. Pour photographier en me promenant. Le poulet aux herbes m’accueille sur le quai du métro. J’en ai la bouche remplie, avant de le découvrir sur la broche. Packs et boîtes de bière, de lessive, de savon ou de couches, cartons d’eau minérale, de jus de fruit ou d’huile s’entassent. Toujours plus haut s’élèvent, défiant pesanteur et règles, pyramides ou tétraèdres. Tout au sommet, au-dessus des vins rouges et blancs, pyramidion vermeil, trônent les rosés.
Semoules, riz et céréales dessinent des ergs et des dunes miniatures. Je goûte le plaisir de la main enfoncée, couverte et recouverte par ce qui s’éboule et s’écroule dans un frisson de matière. Sacs, couffins, jattes, jarres, bols, vases de toutes formes, de toutes dimensions et de toutes contenances évoquent des profusions inédites. Olives noires et vertes, barracudas farcis, boudin antillais, igname, manioc, patate douce, poivre, paprika, gingembre s’offrent dans une abondance, qui dépasse celle des souks les mieux achalandés.
Des mains féminines plongent jusqu’au coude dans les parapluies renversés. L’œil mi-clos, le marchand laisse faire. Dentelles mécaniques prodiguant ombres et couleurs. Bonnets donnant consistance et goût. Bretelles pour surprendre et agacer. Bonneterie peuplée de souffles, d’espoirs, d’images et de souvenirs, ombres violettes et lumières roses. Promesse des fruits mûrs, des ivresses étincelantes, caressants épidermes, silicones rendus nature, nature siliconée ! Affirmer du doigt le dessin, souligner le décolleté, produire en plein jour vallons et montagnes, renouveler l’attrait, submerger retenue et restrictions !
Plonger mains et avant-bras dans dentelles, froufrous et sous-vêtements, maillots string ou démodés revenus à la mode, d’autant plus coûteux que moins gourmands en matière. « Rien qu’une pièce, qui n’a pas une pièce ? », répète le marchand. Reins tendus, croupes allongées, poitrines pesant, torse contre torse, coude à coude, quatre continents assemblés, picorant fébriles, plongeant au fond du parapluie ! Un cri, un râle presque, une bousculade, un attroupement, orange, rouge saumon, mauve, la couleur du plus retiré, du plus convoité !
Transpiration douce, rythme emporté ou lent, machinerie subtile ou complexe, rouages délicats ou grossiers, lointains arpèges ou notes écrasées, orgue mécanique ou de barbarie, alarmes suspendues, soupçons éludés, soins prodigués, l’enfantement réussi, le fruit jalousé vient à terme ! Quel rein creuser, quelle cambrure adopter, quelle taille, quel sein élire ? Quelle publicité honorer, quelle actrice singer, quelle séduction revendiquer ? Tâter les profondeurs encore inhabitées, caresser du doigt les surfaces non encore révélées, espérer le miracle, se plaire de se désirer, joie de se consacrer, jeunes statues, le sein redressé !
Le boucher joue du petit couteau et de la forte lame pour prélever le muscle sans entamer ni écorcher. J’observe son manège, l’appareil photo à la main, tandis qu’il donne goût à la viande d’un revers de main et la jette sur la balance, roulée dans le papier huilé. Je m’arrête devant l’étal du poissonnier. Je demande le nom des poissons aperçus pour la première fois, j’admire leur robe.
Je découvre le premier magistrat en pleine pâte humaine. Il prend, sans en avoir l’air, le pouls des électeurs, porté par une sympathie, une qualité de communication sans rapport avec le profit immédiat. Il a dans les citoyens son chez-soi. Il s’y déplace aussi librement que dans son privé. C’est un homme à son affaire, faisant ses affaires en faisant ses courses. Il possède une manière de s’exprimer, un geste, une parole et un ton traversés de quelques accents, de quelques manières ou de quelques allures que n’aurait pas désavoués Georges Marchais. C’est un amoureux du verbe, l’homme d’un charisme populaire, un politique devant à son double mandat de voir sa ville dans la France et la France dans sa ville. Je le photographie, tandis qu’il échange quelques propos avec un marchand des Quatre Saisons. « As-tu l’autorisation de photographier ? Montre le papier, s’écrie, indigné, quelques travées plus loin, un commerçant en cuirs. On te l’a déjà défendu et tu reviens ! » Et l’homme de m’empoigner au col, offensé par la grosseur de l’objectif, alarmé par ce qu’il croit être la qualité de l’appareil.

II
Marché aux puces

Sacs, malles, valises, cartons, sacs-poubelles, couvertures, brancards, tables de fortune, camionnettes cabossées et taguées, barbes de plusieurs jours, mines sourcilleuses. Disparue la brocante qui a fait la réputation passée des Puces. De la fripe, de la fringue, du métal. Visserie, ferblanterie et pieds à coulisses sont rangés dans des valises compartimentées et des meubles casiers. Une hydre de métal argenté jaillit des robinets et des longs cordons annelés des flexibles. Riches ou pauvres, le métal reflète ceux qui se pressent. Jantes, enjoliveurs, phares, feux arrière, rétroviseurs, volants, sièges, ressource des garages en plein air, réserve du tuning, rien ne manque aux amateurs de véhicules customisés.
Toutes marques, tous modèles, toutes couleurs et toutes formes, les portables pleuvent dans les profondeurs des parapluies. Les bracelets-montres défilent en ordre serré sur les tréteaux. Bijoux fantaisie, bagues, breloques, pendentifs, boucles d’oreille, foulards, fichus et voiles, le semi-précieux et le kitsch s’offrent sous vitrine, sous tente ou sur des portants fléchissant sous le poids. Murs de vêtements et de tissés, rangement et alignement impeccables, les baskets sont disposés en gradins, une chaussure par paire pour décourager le vol.
Casquette enfoncée ou redressée, jogging blanc ou gris, capuchon rabattu, Nike aux pieds, Ipod ou Mp3 à l’oreille, les cités portent l’uniforme et arborent les accessoires. Sautillement Stade de France puisé dans les amortisseurs des baskets, crachats de côté ou en arrière imités des matchs télévisés, petits mouvements de la cheville, faible ondulation du bassin, léger trémoussement, petite course des jambes, ils se reconnaissent à la manière dont ils arpentent les trottoirs.
Jeunes étudiantes, lycéennes, employées ou apprenties, en famille, en bandes ou en groupes, seules ou accompagnées, se répandent dans les travées. Délaisser les distingués, mais blessants trente-six pour chausser les confortables pointures, baskets dès le premier âge. Un corps par génération, celui-là, beurettes, dans sa fraîche nouveauté ! Tout faire et mieux que les hommes, se plaire et, d’abord, effacer les hanches, affirmer la poitrine, allonger le torse, garder la cambrure, lorgner vers le sculptural, lui ajouter la finesse des traits, conjuguer l’exotisme des quatre continents.
« Tu fais quoi ? Tu photographies quoi ?, proteste un marchand. Ni les gens, ni les étals ! » « Il ne faut pas photographier. Il pourrait arriver malheur à ton appareil !, m’apostrophe un autre. Va voir le loueur de places, il n’est pas loin. C’est le conseil que je te donne ! » Elle est un peu plus clémente l’humeur de la marchande, qui distribue les places. L’œil plus serein, le regard plus équitable, elle découvre qu’il s’agit d’un appareil argentique. Une mécanique tout juste bonne à figurer dans un bric-à-brac, un appareil démodé, qui ne trouverait même pas un voleur !
III
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Loin d’amortir les sons

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