Si mon père m était conté ...
229 pages
Français

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Si mon père m'était conté ... , livre ebook

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Description

Caissier pendant trente ans à la banque commerciale de Casablanca, prieur professionnel encore trente ans de plus à la synagogue du coin, mon père a toujours adoré le cinéma. Il a vécu cent ans en bonne santé. Mon père n'avait rien d'un personnage de légende ou même d'un héros très discret. Ceci est l'histoire d'une conversation. Elle évoque des moments de la vie d'un Juif espagnol du Maroc pas comme les autres, une vie incroyablement marquée par le septième art.

Sujets

Informations

Publié par
Date de parution 01 décembre 2009
Nombre de lectures 88
EAN13 9782296930575
Langue Français

Informations légales : prix de location à la page 0,0000€. Cette information est donnée uniquement à titre indicatif conformément à la législation en vigueur.

Extrait

Si mon père m’était conté…
Judaïsmes
Collection dirigée par Ariane Kalfa

Dernières parutions


DELMAIRE Danielle, Les communautés juives de la France septentrionale au XIXe siècle (1791-1914). L’entrée dans la Nation, 2008.
DARMON Richard, L’ombre, le seuil et le chant, 2008.
WEISZ Georges, Theodor Herzl, une nouvelle lecture , 2006
BOTBOL Elie, Quel avenir pour le judaïsme ? , 2006.
CLAPAREDE-ALBERNHE Brigitte, Amos Oz, une écriture de paix, 2005.
BAILLY Francis, Pouvoir et société, 2005.
VALDMAN Edouard, Dieu n’est pas mort. Le malentendu des Lumières, 2003.
STORPER PEREZ Danielle, Chronique du religieux à Jérusalem, 2002.
PEREZ Felix, D’une sensibilité à l’autre dans la pensée d’Emmanuel Levinas, 2001.
HANDELI Jack, De la tour Blanche aux portes d’Auschwitz, un Juif grec de Salonique se souvient, 2001.
PEREZ Félix, En découvrant le quotidien avec Emmanuel Levinas. Ce n’est pas moi, c’est l’être. 2000.
VIGÉE Claude, Vision et silence dans la poétique juive. Demain, ma seule demeure, 1999.
GUETTA Alessandro, Philosophie et kabbale. Essai sur la pensée d’Elie Benamozegh, 1998.
AYOUN Richard, Les Juifs de France. De l’émancipation à l’intégration (1787-1812), 1997.
Félix M. Perez


Si mon père m’était conté…

Un Juif du Maroc peu ordinaire


L’H armattan
© L’Harmattan, 2009
5-7, rue de l’Ecole polytechnique, 75005 Paris

http://www.librairieharmattan.com
dififtision.harmattan@wanadoo.fr
harmattan1@wanadoo.fr

ISBN : 978-2-296-10390-0
EAN : 9782296103900

Fabrication numérique : Socprest, 2012
Ouvrage numérisé avec le soutien du Centre National du Livre
À Claire, supplément d’âme de ce récit.
À Linda, Judith, Sophie, cœur d’un monde sans père,
et à tous ceux qui auront bien aimé mon père.
C’est compliqué d’écrire quelque chose surtout si ce n’est pas de la philosophie. Avec elle, on peut se défausser de la confidence, on fabrique, on commente ou on déchire des concepts. Mais lorsqu’il s’agit d’une personne, on est précipité vers la singularité d’un être et d’une relation. Tout philosophe aussi est une personne mais toute personne n’est pas philosophe. Pour parler de quelqu’un qui n’est pas un philosophe, il ne s’agit plus d’être compétent ou d’avoir autorité en la matière. C’est mon père. Ce n’est pas un objet de savoir. Qui peut en parler si ce n’est ses enfants ? Il existe donc trois spécialistes mondiaux pour parler de Perez Joseph puisque nous sommes trois enfants. L’enjeu est de ne pas édulcorer, ne pas chercher à se montrer dans des postures flatteuses, ne pas non plus se flageller ou crier au grand jour ses turpitudes pour avoir l’air d’être vrai.

Mais est-ce que ce que je raconte est un peu vrai ? Durant le deuil de mon père, je crois avoir aménagé des histoires pour prendre en charge le réel dans des scénarios qui ne se sont pas toujours passés ainsi mais qui sont ancrés dans des situations toujours exactes et une réalité qui ressemblait un peu à cela, et en ce sens rien n’est inventé.

En l’an 2000, j’ai dédicacé mon premier livre de philosophie à tous ceux qui m’ont soutenu dans mon travail et également à mon père en finissant par ces mots : « Merci aussi à papa pour m’avoir très tôt appris à préférer le cinéma aux devoirs d’école. Mais ceci est une autre histoire… » Voici cette autre histoire quelques années après. L’essentiel se déroule après que papa a eu quatre-vingts ans.
Il y a un autre enjeu à l’écrire au moment où je l’écris : garder mon père auprès de moi encore un peu…
À ma naissance, le docteur Costa, pédiatre de la famille, demande à mon père :
Comment l’avez-vous appelé ?
Messod ! Bien sûr !
Vous êtes sérieux ?
Ah ! C’est le nom de son grand-père du côté de sa mère. David, mon premier fils, c’était du côté de son père ! No hay mâs remedio ! (Il n’y a pas d’autres solutions !)
Déjà, votre fille, vous vouliez l’appeler uniquement Orovida, ce n’était pas un cadeau ! On en a fait Hortense, un nom qui vient du côté jardin !
Mais c’était le nom de sa grand-mère !
Vous voulez des enfants ou des grands-parents ? Vous n’allez pas laisser votre fils traîner à l’école et dans les rues affublé d’un nom pareil : Messod, vous ne vous rendez pas compte !
Non, on l’appellera Messod uniquement à l’extérieur ! À la maison, Messodito ou bien Fortunato ! dit mon père croyant rassurer le docteur (Chez les Perez, tous les prénoms tournaient fatalement en « ito », zone espagnole oblige ! David, c’était Davito, José, c’était Josélito ou Pepito, Fortuné, c’était Fortunato. Moi, au final, on m’appela tantôt Messodito tantôt Fortunato).
Et qu’est-ce que ça veut dire Messod ? Ça veut bien dire quelque chose ?
Ah oui ! Ça veut dire heureux, prospère, fortuné !
Eh bien ! Appelez le Félix, ça veut dire la même chose et ça fera moins de dégâts !
Félix, ce n’est pas comme Messod ! Personne ne va comprendre ce prénom !
Félix, c’est « heureux » en latin !
Ah ! C’est comme Féliz en espagnol ! Va pour Félix, mais alors Messod dit Félix !
Ava Gardner, mon père et moi
Je n’ai jamais su quel âge avait vraiment mon père. Officiellement, il est né le 8 mai 1913 à Tanger. C’est ce que disent ses papiers. Il a des souvenirs de la guerre de 1914 et le rav Israël (rabbin) du tribunal de Casablanca m’a dit récemment que mon père se trouvait à l’enterrement du rav Benjo à Tanger en 1916 ! Et qui m’a dit, peut-être est-ce mon frère, que sur la première page du livre de prières de mon grand-père figurait la date de naissance de mon père ? C’était en 1905 ou 1906.
Lorsque je demandais son âge à papa, la réponse n’était pas toujours la même, il était changeant : soit il me disait qu’il avait cinq ans de plus que le passeport, mais qu’il avait dû se rajeunir pour être accepté à la banque, soit il me disait, créant ainsi la confusion : « Quel âge me donnes-tu ? », avec un brin de coquetterie. Je lui disais alors :
Quatre-vingt !
Eh bien c’est cela !
Et comment David, mon frère, peut-il avoir soixante-quatre ans ?
Ne m’embête pas avec ces histoires !
Mais il y a deux ou trois ans à Montréal, il m’avait pris à part et m’avait dit comme le chroniqueur d’une mort annoncée :
Tu sais Félix, il ne me reste que cinq ans !
Pourquoi ?
Dans cinq ans j’aurai cent ans !
Tu crois que c’est la retraite ou quoi ?
Voilà ! La retraite pour le travail, c’est soixante, la retraite générale, c’est cent !
Les gens de sa génération qui lui étaient proches sont tous morts avant lui, lorsque je lui demandais de leurs nouvelles, il me disait : « Il est mort et s’il est mort, c’est qu’il veillait trop », pour un autre, « c’est qu’il fumait trop », pour un autre encore, « c’est qu’il buvait trop », ou bien, « c’est qu’il travaillait trop », ou enfin « c’est qu’il s’énervait trop »… Chaque mort avait sa raison. Avec un peu de sagesse selon lui, il était possible d’éviter de mourir pendant longtemps. Mais un jour ou l’autre, tout le monde meurt, il n’y a pas d’autre solution ! disait-il.
S’il avait été là, il aurait dit : « Même Gérard Oury est mort ! » En effet, il est mort le même mois que lui.
Quand ma mère est morte, à une dame qu’il connaissait peu et qui se lamentait trop, il avait dit : « Même Ava Gardner est morte, et le même jour que ma femme, vous voyez? » Il avait ainsi stoppé net les condoléances.
Un jour de rochachana (jour de l’an juif) quelques années plus tard, où j’étais avec lui à la synagogue des Cordelières, au moment de la hachkabba (la prière pour les morts), je suis allé vers le rabbin Claude Sultan et je lui ai donné deux noms qu’il a accueillis en souriant mais qu’il n’a pas répétés dans sa prière à haute

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