Un coeur portuaire
45 pages
Français

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Un coeur portuaire , livre ebook

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45 pages
Français

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Description


Dans Un cœur portuaire, récit poétique d'une rare intensité, Jean-Luc Marty explore une géographie intime, à la recherche de l'Autre et d'un monde à réinventer.






Avec ce livre aux allures d'autobiographie poétique, Jean-Luc Marty retrace le voyage intérieur qui l'a conduit au plus intime de son être, là où prennent naissance les pulsations du cœur et le mouvement du corps. Ayant longtemps vécu à Lorient, Jean-Luc Marty s'est toujours senti proche de son univers portuaire. Un port avec ses quais où l'on se tient debout face à la mer, prêt au départ ou à l'accueil. Autrefois, il fallait partir pour rencontrer les autres, aujourd'hui, ils sont ici, parmi nous, multiples et singuliers. On peut les affronter, les combattre, les bannir ou tenter l'ouverture, la curiosité, l'échange. Les deux mouvements sont possibles : la guerre ou la danse. Jean-Luc Marty a choisi. Il le dit, il l'écrit, il le chante dans ces textes inspirés où s'exprime sa connaissance profonde et charnelle de l'extraordinaire et magnifique diversité des êtres et des peuples.
Auteur de la préface de ce recueil, l'écrivain Gilles Lapouge voit en Jean-Luc Marty un " homme dansant et amoureux du flou (...) cherchant l'aventure dans la banlieue des phrases (...) à travers une parole forte, tragique, urgente (...) des cascades d'images, de la beauté, de la poésie, en somme. "





Sujets

Informations

Publié par
Date de parution 12 avril 2012
Nombre de lectures 25
EAN13 9782260020431
Langue Français

Informations légales : prix de location à la page 0,0082€. Cette information est donnée uniquement à titre indicatif conformément à la législation en vigueur.

Extrait

DU MÊME AUTEUR
Haute lune , récit, 1987, Éditions Bernard Barrault

La Dépression des Açores , roman, 2001, Julliard

Rumba , roman, 2008, Julliard
JEAN-LUC MARTY
UN CŒUR PORTUAIRE
Suivi de La Danse des miens et Au registre d’Orient

Préface de Gilles Lapouge
Julliard
24, avenue Marceau
75008 Paris
© Éditions Julliard, Paris, 2012
ISBN 978-2-260-02043-1
En couverture : © Bruno Boudjelal / Agence VU’
Préface
Sa biographie trompe son monde. Comme il vient de Bretagne, de Lorient même, qui veut dire l’Orient, et qu’il a dirigé la superbe revue Géo , familière de tous les équateurs et des beaux exotismes, on s’attend à ce que ses voyages nous emportent sur les mers étincelantes ou bien dans ces trains de luxe « à l’allure si douce » où allait Valery Larbaud. Or les navigations qu’il accomplit dans ce livre et les précédents, les exils qui le hantent, ne sont pas sur papier glacé. Ce qu’il aime et qui l’envoûte, ce sont les navires marchands fatigués et remplis à ras bord de mémoires. Ce sont les quais, les rumbas, la fraternité des ténèbres, les dépressions des Açores et les chemins de traverse. Tout cela à travers une parole forte, tragique, urgente, et aussi des cascades d’images. De la beauté. La poésie en somme.
S’il fait relâche, c’est de préférence dans les ports de commerce avec leurs odeurs d’huiles lourdes et leurs couleurs de rouille – et qui dira les beautés de la rouille ? – où les mains sèches et brunes des hommes indistincts déposent leur baluchon parmi les brouillards, l’exil, l’obscur et la danse. C’est là que ces errants oublient leurs fatigues. Ils écoutent les chants repris par tellement de bouches et de lèvres que toutes les voix du monde s’emmêlent et fabriquent une autre voix. Et cette voix est inouïe comme est inouïe la voix du vieux Ramon Camacho Basaura, le Cubain, qui n’avait plus de gorge et parlait en battant la peau de cabri de son tambour.
Jean-Luc Marty aime les géographies. Ce sont des géographies ivres. Elles ressemblent à ces proues qui se balancent dans les ressacs, au bout des quais et des brumes chaudes. Et comment dessiner des pays quand ceux-ci sont lieux de passage, toujours, et composés d’espaces intermédiaires, de marais et de plateaux, de lisières, de maquis et de deltas, de paysages en déroute, de « géologies charnières et métisses », et de péninsules démarrées .
Il y a, dans ces textes, l’attente folle, palpitante d’une vie ou d’un monde re-né, ré-inventé. « Nos royaumes sont à venir », « le geste qui m’ouvrirait l’espace », « nous partageons d’avoir quitté nos centres, puis nos périphéries ». Toute une famille de mots qui installent partout cette volonté de desserrer les frontières, les lointains même. Et le désir inassouvi de la vie, de l’éveil, du souple et du neuf (oublier les paupières immatures, le ventre inachevé). Enfin tout ce que la danse joue dans cette naissance, renaissance.
Jean-Luc Marty parle : « Me sentir partout chez moi, là où je devrais être étranger », un peu comme Aragon proclame : « J’arrive où je suis étranger. » Étrange et familier. Frère des soirs créoles et des arbres apatrides. Orphelin de ses habits d’Occident. Anxieux de trouver le gué inattendu, qui lui permettra de passer la ligne infranchissable, vers les « registres d’Orient » peut-être. Homme dansant et amoureux du flou, et rôdant, et cherchant l’aventure « dans la banlieue des phrases », dans les zones blanches où se fait la rencontre des « mots vastes », pendant que soufflent, ensemble, les vents revenus des quatre points cardinaux.

Gilles Lapouge
À Nadia, fille de Mokrane et Khokha
(C) OUVERTURE
D’abord il y a la couleur, rouge et sombre, cardiaque. Un espace clos, un décor inattendu, que l’on imagine aristocratique, aussi des peintures ôtées de leurs cadres, peut-être un lustre aux perles éteintes. L’impossibilité de fixer quoi que ce soit oblige à lire le vacillement des silhouettes, à interroger le drapé des ombres... « La vie dans ce qu’elle ne peut avoir de cristallin », pour reprendre les mots de mon ami, l’écrivain Sami Tchak. Dans le hors-champ de la couverture, à la verticale gauche du cadre, un homme solitaire se tient, immobile, sans attente particulière. Une posture comme une clé de lecture : il ne se jouerait dans ce lieu ni promesse ni hasard. Et l’objectif du photographe Bruno Boudjelal ne manipule rien, ne surjoue rien : « Je l’ai prise au port de la Madrague, à côté d’Alger. Un café clandestin. Pendant le couvre-feu, les gens s’y faisaient enfermer et y passaient toute la nuit jusqu’au petit matin... »
Lorsque je repérai la photographie de Bruno dans son livre, Jours intranquilles (Éditions Autograph), j’eus l’impression que ma mémoire l’avait déjà stockée, qu’elle y existait bien avant sa découverte. Que ce danseur invitant m’était proche, intérieurement et physiquement proche, et aussi ces femmes ou filles, recluses dans une géographie d’exception. Par-dessus tout, j’y sentis battre le tremblé du monde, son temps fragile. Un café d’Algérie, inaugural à sa manière de toutes les minuscules topographies, « petites formes » physiques et mentales où se jouent – ici et ailleurs – nos renaissances. Loin des centres, à quai de nos vies respectives et partagées, ou juste devinées.
C’est dans le détail, le ténu, que l’on reconnaît ses proches. L’image de Bruno Boudjelal – à la fois dans sa tension proche de la rupture et ses sueurs d’humanité – n’est pas simplement une couverture mais une probante ouverture à l’esprit des textes qui suivent.
UN CŒUR PORTUAIRE
« Il y a dans la vie des événements, des rencontres, des lueurs qui semblent mettre brusquement un terme à tout un passé. C’est un choc bruyant comme celui d’une porte refermée derrière vous par la main perfide du destin. Allez chercher un autre paradis, fous ou sages ! C’est un moment d’épouvante muette, et il faut se remettre à errer... »

Joseph Conrad, Histoires inquiètes
1
(...
J’ai débarqué une première fois de la vie sans que quiconque s’en aperçoive. Sur les raisons, prélude à cette situation impromptue, nul besoin de s’étendre. Une seule question valait d’être posée : qu’avais-je vraiment vu, à ce moment-là, qui ne s’était pas révélé à mes yeux ? Sachant que l’émotion emporte souvent dans son tournis la part aveugle de l’image, au final la plus importante.
Je raconterai donc : le jour se levait par la fenêtre est de la maison quand les deux hommes en civil ont pénétré chez nous, le visage trop grave pour ne pas trahir leur malaise, presque en état de faute lorsqu’ils ont, après un bref échange, passé les menottes à mon père. Je n’avais rien entendu de ce qu’ils s’étaient dit. En repartant, ils avaient pris soin de le pousser devant eux. Je me souviens des restes d’un vent de noroît s’engouffrant dans le vestibule, qui avait obligé ma mère à vite refermer la porte. Du seuil de ma chambre, j’avais suivi l’action sans un battement de cœur, sans dérobade physique, rien sur quoi mettre un mot, une larme . Longtemps après, je m’étais fait la réflexion que le désarroi devait ressembler à une absence de cette sorte .
L’unique manifestation vitale, palpable, d’une intensité quasi physique, avait été la présence de la lumière du matin avec son curieux mélange d’énergie et d’épuisement. C’est elle qui, en définitive, avait déclenché l’émotion. Je n’avais su si j’allais me perdre dans son éclat mais l’idée d’une sorte d’aboutissement, de fin de parcours – alors que j’avais l’âge du contraire – , s’imposa.

À peine avais-je éprouvé une sorte de glissade intime, donnant l’impression de traverser le flot de lumière sans que mes yeux ne s’obscurcissent une seule seconde.
Le passage accompli, je m’étais réveillé doué d’égarement. Une partie de moi laissée dans une existence précédente dont je n’avais pas une conscience suffisamment aiguë pour qu’elle se transforme en mémoire franche. Peut-être me restait-il du corps héroïque de mon père la violence issue d’une guerre mondiale passée dans les maquis. De ma mère, un regard d’automne déjà enclin à la Pensée. Et par-ci par-là, quelques airs sur un tourne-disque : des musiques militaires et des cha-cha-cha d’époque. Déjà, rien qui n’allait avec rien. Il n’y eut, d’un coup, plus de promesse d’origine, de parole certaine de son fait, redevable d’un territoire affectif. Avait-il vraiment existé d’ailleurs ? Peu importait, puisque le délit obscur – ainsi fut-il vécu – me libéra de toutes sortes de liens : de l’obéissance, d’une certaine inquiétude à regagner chaque soir la

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