Un garçon sans séduction
62 pages
Français

Vous pourrez modifier la taille du texte de cet ouvrage

Un garçon sans séduction , livre ebook

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62 pages
Français

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Description


Jeune trentenaire que sa petite amie vient de quitter pour un trader, Thomas Loiseau décide d'appliquer le modèle de calcul des cotations boursières à son propre pouvoir de séduction. Brillant, drôle et caustique, un récit atypique qui dénonce la marchandisation des corps et des esprits.






Thomas Loiseau est ingénieur en automation, métier noble, mais peu " sexy ". Sybille vient de le quitter pour un trader au train de vie nettement plus séduisant. Assailli de doutes quant aux raisons de cette rupture, Thomas échafaude un raisonnement économique susceptible d'évaluer son quotient de séduction. Pour commencer, il doit établir une liste de critères mettant en balance ses qualités et défauts sur la même échelle que celle utilisée par les agences de cotation. Une fois évaluées ses capacités de charme, et après avoir découvert que sa marge de manœuvre sur le marché de la séduction est assez faible, il lui faut définir, selon les mêmes calculs, les qualités et défauts de " la fille faite pour lui ". Passé cette étape, ne lui reste plus, en guise de stratégie amoureuse, qu'à trouver le " stratagème d'acquisition " le plus efficace... Pour s'apercevoir au final qu'aucun mode de calcul n'est jamais fiable, et que ce à quoi il aspire est bien au-delà du marché. Tournant en dérision l'emprise nébuleuse de l'économie sur nos vies, ce texte inventorie les critères de séduction imposés par la société de consommation. Hormis le commentaire social sur l'influence de la publicité dans notre imaginaire, et la dénonciation du mensonge sur lequel elle repose, ce récit offre une réflexion à la fois érudite et humoristique sur les dérives sémantiques du mot " séduction ", sur le donjuanisme moderne, mais aussi sur la nature parfois inavouable de nos désirs. Entre la démonstration philosophique, le précis d'économie et le traité de séduction, ce récit, truffé de références à Laclos, Casanova ou Kant, est un livre ovni, pétri d'humour, à lire, bien sûr, au second degré.





Sujets

Informations

Publié par
Date de parution 26 janvier 2012
Nombre de lectures 57
EAN13 9782260020097
Langue Français

Informations légales : prix de location à la page 0,0090€. Cette information est donnée uniquement à titre indicatif conformément à la législation en vigueur.

Extrait

couverture
CHRISTOPHE MOUTON

UN GARÇON
 SANS SÉDUCTION

Feuilles de calculs

images

À M. L.

La mathématique est une science dangereuse : elle dévoile les supercheries et les erreurs de calcul.

GALILÉE

I

La séduction comme demande

Elle m’avait souvent demandé de la séduire. J’ai toujours refusé, elle n’avait qu’à se débrouiller seule pour trouver en moi ce qu’il y avait d’aimable. Elle est partie vivre avec un trader, voler d’un penthouse à New York jusqu’à une maison à Londres, me laissant en souvenir l’avenir que j’aurais dû avoir avec elle.

 

Pour elle, j’étais allé m’acheter un nouveau manteau, j’avais remisé mes vieilles bottes allemandes ou fait le mariole mondain, mais je ne lui allais plus. Sybille voulait rêver, pouvoir imaginer « plus haut » et « plus vaste ». L’éclat de ses yeux m’empêchait de voir que son regard était devenu dur.

 

Analyste financière chez Goldman Sachs, elle s’est, assez logiquement, collée avec un garçon issu d’une école similaire à la mienne mais qui, plutôt que la résistance des matériaux, a choisi la finance comme majeure et s’est donc retrouvé, sans talent particulier, esprit d’aventure ou d’entreprise, membre d’une classe différente, les très riches.

 

Je connaissais son peu étincelant golden boy pour avoir joué aux cartes avec lui. Nous formions d’ailleurs une bonne paire, passé les premières foirades où ma faible aversion au risque rencontrait la sienne et nous faisait demander six piques quand il n’y avait pas mieux que cinq trèfles. Mais loin d’un tournoi officiel où tous jouent le même jeu, la finance est plus proche d’une partie de cartes sauvage où prendre tous les contrats suffit à assurer la victoire. Les frais de transaction ne sont pas les mêmes pour le desk de la Deutsche Bank ou pour les boursicoteurs et il n’est pas difficile de prévoir qui volera les blindes.

 

Sybille a néanmoins raison, un minable ne fait pas rêver. Personne n’est excité par un loser qui regarde, envieux, les riches et les talentueux ayant su y faire, bâtir quelque chose et prouver leurs capacités.

 

J’ai bien songé à devenir un gagnant moi aussi, à lâcher mon boulot de consultant en automation industrielle pour passer à la finance. J’ai le niveau en maths, le réseau et j’ai même passé un entretien. Mais je ne suis pas si gêné par la pauvreté. Je ne vois pas pourquoi je devrais me consacrer au vent sous prétexte que c’est bien payé.

 

De toute façon, pour Sybille, le cash n’était pas seul en cause. Ce n’était pas un calcul économique de fille vénale ou si proche de la misère qu’elle aurait été sensible à la garantie d’avoir un repas chaud tous les jours. Il lui manquait le rêve, l’impression d’en être, de faire partie de ce qu’il faut désirer.

 

N’importe quel journal féminin montre au lecteur peu fortuné qu’il est loin du niveau de la vie à laquelle il devrait aspirer, existence qui n’a pourtant rien d’extraordinaire puisqu’on la retrouve la semaine suivante dans le même magazine. Sybille ne voulait plus vivre dans l’aigreur, le ressentiment, la constante constatation de ne pas faire ce qu’il faut et de ne pas vivre la vie belle.

 

Il fallait à Sybille une cellule économique cohérente dont les deux membres participent à maintenir le train de vie nécessaire pour pouvoir lire un journal féminin sans se sentir insultés de n’être pas au bon échelon, classe sociale par trop inférieure, bouffée d’agressivité marxiste et filet de bave concupiscente aux lèvres ; dépasser le million d’euros de revenu annuel.

 

Avec mes 65 k€ et les 190 k€ de Sybille, on était loin du compte. Avec les 600 ou 800 k€ de l’autre, c’est déjà moins ridicule.

 

J’aurais peut-être pu compenser, posséder d’autres qualités pour me hisser au niveau. J’aurais pu m’excuser de ne pas correspondre aux pages de publicité, où les paysages sont si beaux et les peaux veloutées, en fréquentant les rubriques chics, comme celles de l’art contemporain : ce moment mystique des magazines, apparente récréation dans la consommation, mais qui peut s’acheter quand même. Cela aurait été un bon moyen de retrouver du prestige. Il n’y a pas que l’argent quand on veut exister. J’aurais pu construire des chaînes de montage artistiques qui découpent des pizzas en 44 parts, compressent des feuilles de papier en boule avant de les jeter à la corbeille, ou triturent de la matière organique pour la décomposer en merde ; proposer un rutilant objet de fer et de chrome très seyant dans la grange de Bernard Arnault, le salon d’un mafieux russe, ou la salle du bas du penthouse new-yorkais d’un bouffon de financier qui sauterait Sybille entre les bras mécaniques que j’aurais assemblés.

 

Il n’y a qu’une voie possible, tout le monde est d’accord, les objectifs d’une vie réussie ont été dévoilés. Sybille voulait ce que tous veulent, voyages à Miami pour une foire de l’art, escales à Tokyo en soirée Fashion Week et raouts en bord de piscines. Le style ne suffit pas, il faut avoir le bon et être rebelle comme il faut, en prenant des lignes de cocaïne dans les toilettes de l’Élysée, pas en allant en cravate à la fête de L’Huma. Sybille me le rappelle, il y a les losers et les autres, ceux qui ont compris ce qui faisait rêver et se sont donné les moyens de réaliser leur rêve. Qu’il ne soit pas le leur n’a pas d’importance, c’est celui de tout le monde, il ne peut être mauvais. J’étais sous-informé.

 

Sybille n’avait pas envie de contester la norme d’aujourd’hui. De toute façon, j’aimais qu’elle soit comme elle voulait. Émettre des doutes chaque fois qu’elle s’achetait un sac Dior ou était flattée d’être invitée à un dîner avec des stars de proximité n’était pas mon but. Je ne voulais pas gâcher la vie, ni entamer de grands débats, simplement la voir rire, danser et s’amuser. Elle le faisait très bien, je voulais qu’elle continue. J’aimais la regarder, l’écouter et rire à ses plaisanteries. Mais à un moment ou un autre, le fossé a dû se creuser entre ma posture consistant à ne faire que passer dans les univers de la branchouillerie, des trend-setters ou des leaders d’opinion, et sa prétention à en être un vrai membre, qui finit toujours par naître d’avoir enchaîné quatre cocktails en deux jours.

 

Sybille voulait voir sa valeur reconnue, passer en entrefilets dans les pages pipoles ou au moins asseoir sa position sociale un cran au-dessus des Français moyens accrochés à leurs amitiés Facebook et aux logos qui disent leurs personnalités. Elle était une fille chic, invitée, mais il lui manquait une aura de jet-set qui ne collait guère avec moi. Nos panoplies devenaient trop dissemblables. Je n’avais rien contre être d’accord avec elle, mais je nous voulais différents. Ni complémentaires ou bonne paire de double-mixte, je nous imaginais persistant dans une altérité qui n’empêchait ni la communauté, ni l’amour, mais qui, au contraire, les permettait en ne nous réduisant pas à une cellule maximisatrice de nos efficacités sociales ou mondaines.

 

Il lui fallait mieux, pouvoir imaginer plus que ce que j’étais.

 

Tenter de la séduire comme elle me le demandait m’aurait fait perdre mon dernier pré carré, la prétention à être moi ou à être tout court. Imbécile incapable de mettre son orgueil de côté pour garder celle qu’il aimait, j’en paye le prix aujourd’hui.

 

Mes considérations existentielles étaient, de toute façon, ridicules, je n’étais pas au niveau. La magie de Sybille, d’un être très au-dessus des autres, était pour moi une évidence, mais je n’avais pas pensé à mon infériorité. Sybille n’a fait qu’ouvrir les yeux, constater sa valeur et vouloir simplement se tourner vers des produits plus proches de son rayon ou de son linéaire, vers le haut du panier.

 

J’aurais dû mieux appréhender l’écart entre nous, peser les qualités pour estimer plus précisément le fossé qui nous séparait. En prenant aujourd’hui la mesure de nos prix, je pourrais ainsi vérifier que Sybille ne mentait pas en se sentant dévaluée.

 

Sur 1 000. D’abord il y aurait le physique – beauté des muscles, finesse des traits et santé du corps – qui doit compter pour 300 points. Le plus simple est de mettre une note sur 20 et de l’affecter d’un coefficient 15.

 

L’argent, la capacité à nourrir une famille, serait l’autre facteur majeur avec au moins 200 points.

 

La capacité sexuelle et ses attributs doivent valoir 100 points, les filles attachant aujourd’hui beaucoup d’importance à l’entente sexuelle, peut-être à cause du grand teint que le plaisir leur donne.

 

Un niveau d’études ou une capacité à parler d’autre chose que de foot ou de sa santé doivent pouvoir se valoriser à 100 points.

 

Après les capitaux physiques, économiques, et culturels, il reste le patrimoine social. Baronnies ou duchés, fils de et autres snobismes de la naissance, comme le fait d’être allié avec les Sarfati qui avaient 20 épiceries à Tunis, doivent compter pour 50.

 

Popularité et adéquation avec ce qui est considéré comme recherché permettraient de compléter de 100.

 

Humour, intelligence, esprit et style doivent en mériter 100.

 

Les 50 derniers points seraient pour les qualités morales : fiabilité ou droiture.

images

Armé de cette grille, je peux maintenant calculer mon prix, savoir où me ranger et retrouver ma place.

THOMAS LOISEAU (Moi, quoi)

Note/20

Coefficient

Points possibles

Points

Physique

8/20

(Je me sens beaucoup trop laid pour pouvoir me mettre la moyenne)

15

x/300

120

Argent

5/20

(Visiblement je n’en ai pas assez)

10

x/200

50

Attraction sexuelle

10/20

(Je ne suis pas un si mauvais coup)

5

x/100

50

(Je fais ici autant de points qu’avec mes quelques euros)

Niveau culturel

12/20

(Diplômé des Ponts et Chaussées, et j’ai lu quelques livres dont plusieurs jusqu’à la fin)

5

x/100

60

Naissance

3/20

(Pour mes baronnies inexistantes et la gloire sans pareille d’être un fils de bourge)

2,5

x/50

7,5

Bon genre et capacité mondaine

4/20

(Pour le prestige social d’être consultant en automation industrielle)

5

x/100

20

Style et esprit

10/20

(Pas des plus aériens mais qui existent quand même)

5

x/100

50

Moralité

12/20

(Balbutiante et imparfaite, mais de nos jours au-dessus de la moyenne)

2,5

x/50

30

TOTAL

x/1 000

387,5

Mon score n’est pas aussi mauvais que ce que je pouvais craindre. J’ai dû être trop indulgent, en particulier sur l’évaluation du pouvoir attractif de mes phéromones.

 

De toute façon, pour être objectif, l’essentiel n’est pas la sévérité mais la constance. Il me suffit d’être aussi arrangeant dans toutes mes notations. Pour Sybille, malgré mon ressentiment, cela ne m’est pas difficile.

 

Pour elle, cela ferait :

SYBILLE

(Cette garce)

Note/20

Coefficient

Points possibles

Points

Physique

15/20

(Et non pas 18 comme je l’aurais spontanément évalué. Sybille est une jolie fille, mais elle n’est la plus belle que pour moi et, en pratique, les filles sont souvent jolies)

15

x/300

225

Argent

15/20

10

x/200

150

Attraction sexuelle

15/20

(Elle aime le sexe et surtout, minaudant ou battant des cils, elle n’hésite jamais à proclamer combien elle est fille)

5

x/100

75

Niveau culturel

12/20

(ESSEC et elle a lu quelques livres)

5

x/100

60

Naissance

8/20

(Ses parents sont gentils)

2,5

x/50

20

Bon genre et prestige social

12/20

(Pour ses capacités mondaines)

5

x/100

60

Style et esprit

14/20

(Pour sa vivacité et ses blagues)

5

x/100

70

Moralité

8/20

(Mouais)

2,5

x/50

20

TOTAL

x/1 000

685

685/1 000. Voilà c’est clair. Elle est peut-être merveilleuse, mais surtout d’un prix bien plus élevé que le mien.

 

Je devrais ne plus y penser, me dire que cela n’a pas marché parce qu’on n’était tout simplement pas faits l’un pour l’autre, ou une autre faribole réconfortante, saveur vaguement sucrée pour finir le repas et pouvoir partir sur une note moins amère. Mais elle ne m’a pas quitté pour cette raison, elle est partie pour « mieux » que moi. Je dois ouvrir les yeux, évaluer son nouveau mec.

CE CRÉTIN DE TRADER MOISI

Note/20

Coefficient

Points possibles

Points

Physique

10/20

(Ce garçon n’est pas mal, pas beaucoup mieux que moi, mais tout à fait correct. Je n’ai aucune envie de me lancer dans un comparatif, et au moins j’aurai l’élégance de lui concéder 2 points de plus que moi)

15

x/300

150

Argent

19/20

10

x/200

190

(Indéniablement cela creuse un fossé)

Attraction sexuelle

8/20

(Je ne sais rien de ses performances, mais il est un chouïa moins viril)

5

x/100

40

Niveau culturel

4/20

(Parce qu’il n’est quand même qu’un abruti de trader inculte [même si ingénieur issu d’une bonne école presque aussi bien que la mienne])

5

x/100

20

Naissance

3/20

(Pour sa naissance dans une famille bourgeoise sans éclat particulier)

2,5

x/50

7,5

Bon genre et prestige social

12/20

(Pour son prestige social de riche, nouveau ou pas, aujourd’hui ça impressionne)

5

x/100

60

Style et esprit

5/20

(Il est plutôt sympathique même si assez bas du front)

5

x/100

25

Moralité

2/20

(Car il est trader [et m’a volé Sybille])

2,5

x/50

5

TOTAL

x/1 000

497,5

497,5. C’est plus que moi. Sybille avait raison ; elle s’est rapprochée de son rang.

 

Et même si mes catégories ne sont pas assez précises ou les facteurs mal équilibrés (j’ai un peu sous-estimé l’argent), de toute façon, le marché de l’amour ne fonctionne pas comme cela.

 

Dans la logique économique, le prix n’est pas lié à la valeur intrinsèque des choses. La cherté naît seulement de la confrontation entre une demande (forte) et une offre (rare).

 

De plus, je n’ai pas passé autant de temps avec une financière, avant de me l’être vu voler par un trader, pour pouvoir oublier que les marchés sont le lieu de spéculations.

 

D’après le modèle économique classique (et son renouveau néoclassique aujourd’hui dominant) ces spéculations (en démultipliant l’offre comme la demande) rendraient le marché plus fluide et permettraient ainsi de se rapprocher plus vite du vrai prix d’un bien.

 

Malheureusement pour les économistes stupides ou néoclassiques (deux qualificatifs rarement incompatibles), dans le monde réel, les spéculations introduisent massivement les anticipations de ce que seront (ou devraient être) les cours et, ce faisant, les modifient (plus que provisoirement) pour d’autres raisons que celles de la confrontation entre une offre et une demande réelles (la « vérité » du marché).

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